Makery

L’aventure tous azimuts du Porte Nef

Soleil de minuit et nuées de moustiques à Vorkouta, 2017. © Malo Lacroix

Récompensé d’une médaille de bronze à la Shenzhen Design Week 2019 en avril, le projet «Porte Nef» de Maxime Aumon est une aventure humaine surréaliste et même franchement dadaïste, mais c’est également une œuvre plurimédia qui fait appel à différents niveaux de compétences et d’esthétiques.

Au-delà de la performance indéniable, Porte Nef est avant tout le fruit d’une pulsion. L’aboutissement pour son auteur d’une série d’actions motivées par la quête du geste poétique et politique. Sa philosophie ? L’échappée, l’autonomie, l’indépendance, la passion du « faire », une certaine idée du chamanisme aussi. A l’origine du projet, Maxime Aumon, architecte de formation, est habité depuis toujours d’une envie : celle de construire des dispositifs sans à priori artistique dans un désir enfantin d’aventure. Des structures encombrantes symboliques avec lesquelles il voyage, explorant des zones peu visitées du monde. Maxime est habité d’une vision, le personnage est un passionné. A ce titre, Porte Nef s’inscrit dans une démarche globale entamée il y a quelques années, qui emmena son principal protagoniste toujours plus à l’Est.

Rivière Oussa, Sibérie, 2017. © Malo Lacroix

Tout commence avec une traversée du Luxembourg sur échasses (« Ce duché de la finance, paradis fiscal dans lequel j’avais décidé de ne « jamais mettre les pieds » » explique l’intéressé en riant), la saga se poursuit avec l’élaboration d’un cheval sur roues en ex-Yougoslavie (et une traversée de ses différentes enclaves) et enfin celle d’un bison roulant en Biélorussie, qui se mut rapidement en aventure chamanique et magique (le bison étant un puissant symbole dans ces régions en guerre, ainsi qu’un signe de ralliement, à l’époque, pour les rebelles séparatistes ukrainiens).

« Celui qui voulait croire au Bison » © Maxime Aumon

Comme un avion sans aile

C’est donc cette pulsion qui poussera son auteur à traverser la toundra désolée de l’Oural polaire en 2017, en embarquant dans l’aventure un cousin par alliance, l’artiste visuel Malo Lacroix, deux amis d’enfance et quelques compagnons supplémentaires « pour aider ». Au total six garçons perdus dans l’Oural Polaire, trainant cette machine surréaliste qu’est le Porte Nef : un chariot de cinq mètres de long sur un mètre de large (sans compter les sacoches latérales) en forme de cockpit d’avion de la Première Guerre Mondiale (à l’époque où ces machines étaient principalement composées de toiles et de bois), assemblé à partir de tubes en aluminium, de tissus et de cadres de vélos recyclés.

Note de montage du « Porte Nef » © Maxime Aumon
Assemblage de l’avion sans ailes dans le garage de Danil, à Vorkouta. 2017. © Malo Lacroix

Avec cet engin, monté sur place, transporté en train de Moscou aux plaines de l’Oural, l’équipe voyagera pendant trois semaines de Vorkouta, ancien Goulag jusqu’à la ville pénitentiaire de Kharp (Oural polaire). Une marche de plus de 150 km dans le Nord Sibérien, où pousser, trainer, traverser des rivières en crue dans la lumière blanche infinie – et contre le vent de la toundra – devient le quotidien de six Occidentaux, esclaves d’une machine inutile mais belle, à la fois hypnotisés par leur environnement et totalement dépaysés (forcément). Encore une fois c’est le geste artistique qui prime ici, car la structure sert moins d’abri que de moyen de transport de matériel.

Porte Nef, bande-annonce du documentaire :

L’approche documentaire

Habitué à documenter ses actions, Maxime demande à Malo Lacroix de réaliser un documentaire qui raconte la saga du Porte Nef. Envisagé comme un élément parmi d’autres dans une démarche transmedia plus vaste, le film du Lyonnais retransmet avec force l’ambiance du voyage. L’exploration, les découvertes, les rencontres et les épreuves vécues par cette équipe de copains lâchée dans la nature, parfois au bord de l’épuisement, toujours émerveillés, souvent sonnés par le décalage des paysages et du climat.

Dernière route avant la toundra. 2017. © Maxime Aumon
Sur la seule piste qu’empruntent ceux qui s’aventurent dans la toundra. 2017. © Malo Lacroix
En Vezdekhod vers la ville abandonnée, Oural Polaire, 2017. Vezdekhod : véhicule tout terrain qui sillonne le Grand Nord russe. © Malo Lacroix
Monts de l’Oural Polaire. Entre Europe et Asie. 2017. © Maxime Aumon
Instant d’envol. 2017. © Maxime Aumon

L’Oural polaire est rude, l’environnement sans état d’âme pour l’être humain. En témoigne les nombreux bâtiments abandonnés, les villes fantômes, les machines pourrissantes dans la toundra. La vie aussi, est une épreuve, et seuls les nomades de la région, habitants des chums (sorte de tipis ou de yourtes) semblent aptes à s’adapter à la rigueur du territoire. Pour autant, ces images soulignent aussi l’universalité du projet, la philosophie de son concepteur (l’idée selon laquelle on doit « se jeter dans l’aventure ») ainsi qu’un certain esprit potache (cette performance a valeur de manifeste mais elle n’en a pas la prétention) et une dimension chamanique : la structure étant finalement abandonnée dans la toundra, objet ovni, métaphore de l’absurdité humaine, rejoignant les ruines industrielles qui rouillent paisiblement dans le paysage sauvage (un destin que partagent les autres dispositifs mécaniques de Maxime, partisan de l’enfouissement, du secret et admirateur du pouvoir de résilience de la nature).

Abandon de l’avion sans ailes dans la Taïga boréale, Latitude 66°89’17’’ N, Longitude 65°72’15’’ E. © Malo Lacroix

Entre Live AV et objet littéraire

L’aventure, qui se vit comme une narration, fera également l’objet d’un livre (accompagné de photos) actuellement en rédaction par Maxime Aumon. L’idée étant qu’un voyage, aussi absurde et irréel que celui du Porte Nef (ou du cheval et du bison) est avant tout une histoire. Depuis le début, son concepteur mise sur la volonté de mettre l’aventure en mots : « donner une portance aux ailes et une portée aux mots » dit-il. L’idée du live audiovisuel viendra de là. C’est Malo Lacroix, habitué de cette discipline, collaborateur des compositeurs de musiques électronique Murcof (Mexique) et Monolake (Allemagne), artiste composant des visuels pour les musées, les défilés de mode ou les festivals, qui aura l’idée d’utiliser la « matière image » du documentaire pour en faire un nouveau récit. Pour cela, les deux amis invitent Laurent Prot, musicien, compositeur et producteur connu sous l’alias In Aeternam Vale, afin d’habiller de sa « matière sonore », majoritairement ambient, les images et les textes du duo. Une bande son qui évoque l’environnement sonore unique de l’Oural, où le compositeur s’attache à traduire les caractéristiques d’un espace à la fois fragile et agressif, où les vibrations du vent à travers les toiles de « la nef » sont partie prenante de l’histoire. L’objet transmedia d’environ une heure porté par le label Visuaal, voit In Aeternam Vale et Malo Lacroix recréer sur scène et en direct la trame narrative et sonore de l’aventure du Porte Nef, accompagnés des textes de Maxime.

Extraits du live AV transmedia Porte Nef, joué au terme d’une résidence à l’ASCA Beauvais en mars 2019 :

Enfin, le projet se voit également récompensé en avril de la médaille de bronze de la Shenzhen Design Week, complétant ainsi la reconnaissance d’une démarche globale réellement inédite et passionnante.

Toundra. 2017. © Malo Lacroix

En savoir plus sur le Porte Nef.