Makery

Open Source Body à corps ouvert

A la santé d'Open Source Body, les performeurs HardGlam boivent à même le flacon de fluorescéine. © Makery

Et voilà, c’est fini! Retour sur le festival Makery à la Paillasse et à la Gaîté lyrique, où pour la première fois en France les acteurs du matériel open source pour la santé se sont rencontrés et confrontés au public.

Le medialab Makery organisait son premier grand événement dans la vraie vie en cette fin janvier, Open Source Body, avec d’indispensables partenaires : Echopen, la Paillasse, le Centre de recherches interdisciplinaires (CRI) et la Gaîté lyrique. Temps fort de cette manifestation, la journée publique du 27 janvier à la Gaîté lyrique a rassemblé plusieurs centaines de visiteurs entre espace de démos, conférences et performances.

Merci le public! © Makery

L’événement n’a pas versé dans le body-hacking ou l’implantation de puces RFID comme semblaient le souhaiter quelques personnes ayant contacté Makery en amont. Open Source Body a plutôt permis de découvrir un ensemble de petits équipements open source utilisables en biologie ou médecine et des pratiques de détournement artistiques, de design ou performatives. Microscopes numériques à base de webcams, échographie sur smartphone, centrifugeuses de fluides à partir de disques durs ou de moteurs de drones, prothèses imprimées en 3D, outils sensoriels pour l’audition ou le toucher, wearables, etc. Le spectre était large…

Il faut dire qu’Open Source Body entendait mettre en avant l’interdisciplinarité et la créativité dans le domaine du développement de matériel électronique ouvert pour la santé. Sans oublier de discuter des enjeux du mouvement de l’Open Science Hardware pour la santé : réduction des inégalités d’accès aux soins par l’ultraportabilité des technologies numériques ; outils open source facilitant l’orientation du diagnostic ; customisation et DiY dans le champ du matériel biologique et médical ; biopolitique de la santé publique, bioéthique et démocratie sanitaire ; design et interactivité dans le champ de l’accompagnement médical et de l’écologie ; nouveaux médiums pour l’art corporel et la création…

Des ateliers menés tambour battant

Le festival a démarré le 22 janvier par trois ateliers interdisciplinaires à la Paillasse. On ne remerciera jamais assez l’engagement et la patience de l’équipe du lab écocitoyen (Marc, Zoé, Jonathan, Cléa…) !

Dès lundi, le groupe rassemblé autour du projet Unborn0x9 de l’artiste Shu Lea Cheang se met au travail et mène une semaine intense de hacking et développement de patchs Pure Data autour de la sonification des ultrasons. L’équipe fait phosphorer les bidouilleurs en chef de Labomedia d’Orléans, Jérôme Dubois, l’ingénieur acousticien de l’association d’écho-stéthoscopie Echopen, et les musiciens et artistes sonores invités par Shu Lea.

Atelier pour imaginer un jeu de plateau sur les perturbateurs endocriniens. © Makery

Un autre groupe rassemblé autour de Xavier Fourt du collectif Bureau d’études concevait pour le projet de théâtre tactique Aliens in Green un jeu de plateau sur la controverse des perturbateurs endocriniens. Bilan par Xavier : « On a considérablement avancé cette semaine, grâce aux participants des ateliers. » La première mouture du jeu sera d’ailleurs testée cette fin de semaine lors de l’événement « Nous ne sommes pas le nombre que nous croyons être » les 2 et 3 février à la Cité internationale des arts.

Avec un peu de retard au démarrage pour cause d’intempéries mettant en péril leur véhicule, l’artiste barcelonaise Paula Pin et son équipe ont fini par débarquer en fanfare noise à la Paillasse. Beaucoup de bruit et de participants dès leur entrée en matière : « On avait bien dit qu’il y aurait de la noise disturbance », s’amuse Marc Dusseiller.

La semaine a été aussi active en discussions qu’en construction d’outils : centrifugeuses biologiques détournant des disques durs, sonification de champignons, bidouille laser et cristallographie, Open Theremin, microscopes DiY, 8bit mix tapes et autres microsynthétiseurs, récupération de vêtements au potentiel « HardGlam » (dont de faux diamants) dans la rue Saint-Denis et recyclage des rebuts de la Paillasse dans des appareillages DiY sans utilité aucune… si ce n’est produire du bruit.

En milieu de semaine au CRI dans les locaux de la tour Montparnasse et devant une cinquantaine de participants, André Maia Chagas a présenté son microscope FlyPi imprimé en 3D et développé à partir notamment d’un Raspberry Pi et d’une minicaméra numérique. Le rendez-vous donné dans le cadre du programme européen Doing It Together Science était aussi l’occasion de découvrir le protocole à bas coût de détection de présence d’OGM dans les aliments conçu par l’Israélien Guy Aidelberg, ou encore PreemieAlert, un wearable frugal d’alerte pour enfants prématurés.

En guise de mise en bouche pour entamer le week-end public, la Gaîté lyrique accueillait le vendredi une soirée de restitution des ateliers de la semaine.

Restitution des workshops vendredi 26 à la Gaîté. Shu Lea Cheang au micro. © Makery

Urs Gaudenz (Hackteria, GaudiLabs) à Open Source Body 2018 (en anglais):

A la découverte de protos DiYbio

L’après-midi du dernier jour d’Open Source Body offrait l’opportunité d’assister à plusieurs démonstrations de prototypes au centre de ressources de la Gaîté lyrique en présence de leurs concepteurs. Cette rencontre entre scientifiques, professionnels de la santé, designers et artistes donnait le champ libre à toute une gamme de dispositifs à la lisière de la truculence ludique et de l’innovation paramédicale.

Zoom sur le matériel bidouillé des biohackers sonores. © Makery
La valise HardGlam sous observation masculine au stand hispano-suisse. © Makery
Muriel Colagrande est résidente à la Paillasse où elle développe des objets tactiles sonores à destination des autistes. © Makery

Outre ceux émanant des biohackers de GaudiLabs, Hackteria et Pechblenda, on pouvait ainsi manipuler les instruments-jouets de musique à toucher à base de capteurs tactiles élaborés notamment pour un public de jeunes autistes par Muriel Colagrande, en résidence à la Paillasse avec son projet Ovaom.

My Human Kit défend «l’handicapowerment» où l’on fait partie de sa solution en la fabriquant. © Makery

Delphine Bézier de l’association My Human Kit nous guidait à la découverte des outils créés pour les personnes en situation de handicap, dont la main myoélectrique Hackberry du projet Bionico apportant de nouvelles fonctionnalités (comme la rotation du pouce) à la main bionique open source imprimée en 3D de la société japonaise Exiii ; un appuie-tête rotatif permettant de mouvoir sa tête conçu directement pour une jeune fille atteinte d’une maladie neurodégénérative ; ou un fauteuil roulant fabriqué à partir de palettes de bois avec carte Arduino, petit moteur et joystick récupéré, le tout pour moins de 80€. On (re)découvrait le kit d’objets de représentation par analogie des fonctions de l’appareil génital féminin conçu par la designer Fanny Prudhomme sous le nom de code Les Parleuses (on vous en parlait ici).

À l’image de cette dernière, diplômée de l’ENSCI (Ecole nationale supérieure de création industrielle), la valorisation du travail des étudiants de cette école, en partenariat avec une institution aussi reconnue que l’Institut Pasteur, était mise en exergue par la présentation de leur projet conjoint Æther, primé au concours 2017 de l’iGEM, une compétition en biologie synthétique organisée chaque année par le MIT américain. Æther se présente comme un kit de dépollution de l’air intérieur et de ces fameux perturbateurs endocriniens procédant de la combustion incomplète d’un certain nombre de matières toxiques et pouvant, par un phénomène de « leurre hormonal », provoquer dysfonctionnements organiques et cancers chez l’homme.

Chercheur à l’Institut Pasteur, Deshmukh Gopaul met en avant l’efficacité et le bas coût de fabrication de cet objet fonctionnant comme un ventilateur doté d’un filtre et d’enzymes biodégradant les particules indésirables. « Le ventilateur lui-même provient d’un PC et ne nécessite que quelques watts, précise-t-il. La surface externe qui l’alimente fonctionne comme un panneau solaire. Mais comme elle marche avec des photons, une particule élémentaire permettant le transport des ondes électromagnétiques comme la lumière, il n’a même pas besoin d’être mis au soleil pour être opérationnel. »

La palme du projet le plus insolite et low-cost revenait cependant à Guy Aidelberg et son proto Open GMO Gene Detection, une véritable station détectrice d’OGM réalisée à partir d’une simple bouilloire et d’une carte à LEDs. Introduit dans une pipette avec un peu d’eau et d’enzymes, l’extrait alimentaire analysé est porté à 63°C pendant une heure avant d’être placé au révélateur des LEDs à l’ombre d’une boîte en carton. Plus le contenu de la pipette s’avère fluorescent et plus le niveau d’OGM détecté est important. Un dispositif qui devrait donc potentiellement… faire un carton !

Professionnels de santé et biohackers

L’auditorium de la Gaîté accueillait en conférence une rencontre entre professionnels de santé et développeurs de matériel dans le cadre des Journées nationales de l’innovation en santé. Jean-Yves Fagon, délégué ministériel à l’innovation en santé, inaugurait les conférences : « Vous êtes en train de créer un mode de développement des innovations original et intéressant. » Le professeur encourageait à renouveler l’expérience l’an prochain (à bon entendeur…) : « Je souhaite qu’on refasse nos trois Journées nationales de l’innovation en santé à la même période [qu’Open Source Body]. On a tout intérêt à échanger en gardant vos spécificités pour atteindre l’objectif commun » d’innovation en santé.

Et un délégué ministériel qui dit son intérêt pour l’innovation open source! © Makery

Les tables rondes se sont enchaînées à un rythme soutenu (on a presque regretté de ne pas avoir assez de temps pour les échanges), sur les laboratoires collaboratifs, ou encore sur les laboratoires portatifs à bas coût pour les pays émergents. François Piuzzi de Physique sans frontière a fourni un panorama des équipements à bas coût ou recyclés, valorisant notamment ceux développés par les réseaux Hackteria et Global Open Science Hardware. Jean-Baptiste Ronat y a présenté le MiniLab de Médecins sans frontières : « Je suis un peu périphérique à votre événement mais si ce n’est pas possible pour nous de développer un laboratoire opérationnel 100% libre, nous utilisons cependant des briques d’open source. » Marc Dusseiller, le biohacker « historique » à mi-chemin entre le bioart et le développement de matériel générique de laboratoire, a raconté comment, au fil des ans, il a « formé dans des dizaines d’ateliers peut-être 5.000 personnes à la fabrication de microscopes à partir de webcams, qui eux-mêmes ont sans doute formé jusqu’à 20.000 autres personnes aujourd’hui ». Et de conclure : « Nous avons toujours été des biohackers ».

Marc Dusseiller invite l’audience à traduire en français la feuille de route GOSH pour le prochain OSH Africa en avril. © Makery

La dernière table ronde a porté sur le matériel pour l’orientation diagnostique en santé gynécologique. Isabelle Giami de Gynécologie sans frontières a expliqué la précarité et le manque de matériel parfois problématique des interventions de sages-femmes auprès des femmes migrantes ou réfugiées, soulignant l’intérêt potentiel d’un échographe portatif pour le dépistage du cancer du sein. Hélène le Bail, coordinatrice des bénévoles du Lotus Bus de Médecins du monde intervenant auprès des travailleuses du sexe chinoises dans les quartiers de Belleville ou Strasbourg-Saint-Denis à Paris expliquait comment, bien qu’elles utilisent le Trod (test rapide d’orientation diagnostique) pour dépister le VIH, le VHC et d’autres infections, il reste difficile de mener ces tests sur le terrain, compte tenu de la possible stigmatisation sociale dans la communauté des femmes se prostituant et du caractère abrupt de l’information personnelle délivrée sans accompagnement psychologique suffisant. Ouvertes aux outils à venir, ces expertes du terrain ont écouté le docteur Mehdi Benchoufi d’Echopen expliquer les phases du développement de l’écho-stéthoscope open source et ses espoirs pour le mettre entre les mains d’ONG d’ici deux ou trois ans.

Assauts biosonores en soirée

Performance sonore à partir des bidouilles de la semaine par Paula Pin et consorts. © Makery

En matière de performances live, plusieurs des dispositifs musicaux bricodés au cours de l’atelier « Open Science Friction and Noise Disturbance » la semaine à la Paillasse se sont retrouvés en première ligne du show post-porn concocté par Paula Pin et Hackteria.

Des instruments fignolés en mode circuit-bending qui, associés à l’arsenal du Bio-trans.lab mobile, la mallette HardGlam de Paula et l’Open Theremin d’Urs Gaudenz, ont mené des assauts (b)ruts soniques consentis dans une mise en scène audiovisuelle forcément très electronic body music.

Plus disciplinée, la performance Unborn0x9 imaginée par l’artiste Shu Lea Cheang dans le sillage de l’atelier du même nom est parvenue à concilier un process multimédia complexe dans l’écriture (reliant procédés de captations en temps réel de données échographiques à partir d’une sonde open source sous l’égide de l’équipe des labs Echopen et Labomedia, transformation/restitution musicale et sonore live par Joachim Montessuis, Gaël Segalen, Paula Vélez, David Bair, et intégration de textes féministes lus par Catherine Lenoble et Jérémie Bordelot et de récits enregistrés de femmes enceintes).

Bébé fantôme et figurine 3D, écho-stéthoscope Echopen et création live: «Unborn0X9». © Makery

Un véritable tour de force narratif vu le peu de temps octroyé à la réalisation d’un projet dont la nature enchevêtrée et live des différents composants – particulièrement intrusifs, voire perturbants dans leur dimension sonore ou psychologique – a constitué le véritable corps de chauffe d’Open Source Body. Un grand merci aux artistes, biohackers et performeurs !

Retrouvez ceux qui ont fait le festival Open Source Body en huit portraits