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Covid-19 : Vannina Bernard-Léoni témoigne pour les makers de Corse

Remerciement aux makers corses. Crédit : Fablab de Corti

Vannina Bernard-Léoni est à la tête du pôle Innovation et Développement de l’Université de Corse, à Corte, depuis 10 ans. Référente sur son territoire pour le Réseau Français des Fablabs pendant la crise sanitaire, elle témoigne pour les fablabs et makers corses mobilisés.

Makery s’est associé au site Covid-Initiatives dans les premières semaines du confinement. Aujourd’hui le site a donné naissance à l’association Solidaires pour Faire et cette dernière travaille avec L’Atelier des chercheurs et leur outil « do*doc » pour collecter des récits de la mobilisation des makers et fablabs. Ce récit en fait partie.

Pouvez-vous vous présenter et présenter votre structure ?

Je suis responsable du pôle Innovation et développement de l’Université de Corse à Corte. Je travaille pour cette université depuis 10 ans et j’ai proposé de créer un  fablab universitaire il y a 5 ans (inauguré début 2016).  Je dirigeais depuis quelques années la fondation universitaire et j’étais arrivée à l’idée que la création d’un fablab serait intéressante, dans la continuité d’autres projets développés au fil des années, comme la mise en place d’une chaire d’Economie Sociale et Solidaire.

Matériauthèque du Fablab de Corti. Crédit : Fablab de Corti

Faisant partie d’un tiers-lieu, le fablab a pris le devant de la scène car il était l’élément le moins connu du public, et a donc bénéficié d’une forte communication de la part de l’Université. Ce tiers-lieu s’est installé au pied de la citadelle de Corte, au sein d’un bâtiment historique, le Palazzu Naziunale, le siège du gouvernement à l’époque de la Corse Indépendante. Ce lieu a donc une très forte charge patrimoniale et politique, une belle manière pour les institutionnels locaux de démontrer leur soutien à cette initiative. Le pôle universitaire de l’île étant situé à Corte, ce fablab universitaire a endossé un rôle particulier dès le début. Il est ouvert sur tout le territoire et c’est ce qui lui a permis de mettre en place la coordination du réseau des makers sur l’île.

Quel type de matériel avez-vous produit ?

Très rapidement, nous avons décidé de produire des visières anti-projection et l’ensemble du réseau, qui s’est progressivement structuré, a été mobilisé là-dessus. En partenariat avec un autre fablab, nous avons également fabriqué des valves de kit VNI (ventilation non-invasive) pour l’hôpital d’Ajaccio, mais cela était à bien moindre ampleur et nous avons moins communiqué là-dessus, notamment en raison des enjeux juridiques lourds que cela implique. En vue du déconfinement, nous avons également plus récemment commencé à fabriquer des crochets ouvre-portes multi-fonctions et d’autres objets pour préparer l’après.

Vos fournisseurs vous ont-ils fait payer la matière première ? Avez-vous donné ou vendu votre matériel ? Comment réussissez-vous à couvrir vos coûts ?

Plus que financière, la difficulté au niveau des matières premières relevait de l’approvisionnement en Corse. En effet, le financement des matières premières a été prise en charge immédiatement par l’université de Corte pour notre fablab mais aussi pour le reste du réseau (des bobines ont par exemple été envoyées à Bastia).

Qu’est-ce qui vous a encouragé à vous engager dans cette action ?

La fabrication de visières a été dès le début de la crise sanitaire insufflée par nos échanges avec des soignants qui ont très vite repéré ce besoin. Puis j’ai eu un déclic lorsque j’ai commencé à appeler mes amis médecins et j’ai compris que les visières pouvaient correspondre à leur besoin. Les hôpitaux ont validé et nous avons contacté tous les fablabs pour organiser cette production.

Visières fabriquées au Fablab de Corti. Crédit : Vannina Bernard-Léoni

Il y a eu plusieurs étapes en terme de production et distribution : au départ nous les fournissions seulement aux soignants, aux aidants et aux personnels en première ligne, ce qui représentait déjà une demande très importante. Nous avons ensuite été débordés par les demandes d’entreprises qui ont repris le travail rapidement, comme le BTP. Nous avons donc préparé un communiqué de presse mi-avril en précisant que nous n’étions en mesure de fournir nos visières gratuitement qu’aux personnes en première ligne. Nous avons tout de même souhaité mettre en place une réponse pour les entreprises et nos réseaux de makers se sont organisés pour proposer des offres commerciales en parallèle, destinées aux entreprises marchandes. Par ailleurs, le fablab a également décidé de  fournir des visières (10 maximum par commerce) aux commerçants de la ville de Corte à titre gracieux, et ce dans la logique locale qu’il porte depuis le début.

Quelle a été l’ampleur de la production de visières ?

Au plus fort de la production, mi-avril, le réseau a produit environ 900 visières par jour, avec trois découpeuses laser qui tournaient, en plus de toutes les imprimantes 3D mobilisées. Le Fablab de Corti à lui seul en produisait environ 300 par jour. A la clôture du bilan des makers Corse (3 juin 2020), 17 800 visières et autres produits (hygiaphones, crochets ouvre porte, VNI…) ont été fabriqués et distribués par le réseau, ce qui n’est pas négligeable à l’échelle de notre île !

Ouvre-portes produits par le Fablab de Corti. Crédit : Vannina Bernard-Leoni

Comment avez-vous pris contact avec les entités locales (entreprises, commerces, hôpitaux) si vous l’avez-fait ?

Du point de vue institutionnel, le réseau a été très bien accompagné par l’Université de Corte. Le Fablab d’Ajaccio a également été soutenu institutionnellement.

Par ailleurs, un travail est depuis peu en cours avec la Région pour mettre en place une forme de reconnaissance et de dédommagement pour les makers individuels qui ont fait tourner leurs machines à plein lorsque l’on avait plus que jamais besoin d’eux. Nous souhaitons donc dès à présent travailler sur la documentation et la reconnaissance de ce qui a été accompli.

Que vous a appris cette expérience ?

Juste avant la crise, nous préparions une réponse à l’AMI Fabriques de Territoire car cela faisait plusieurs mois que nous travaillions sur l’organisation d’un réseau de tiers-lieux et de fablabs sur le territoire. La crise a eu l’effet de lancer ce réseau à grande échelle et a permis de montrer que la coopération pouvait être efficace : en rapprochant les fablabs entre eux, en lançant les petits et en faisant connaissance avec les makers individuels jusque dans les petits villages.

« Makers Uniti – Anti Covid 19 ». Cartographie de la mobilisation.

De ces belles rencontres humaines, nous garderons un relationnel fort qui permettra de faire vivre le réseau plus durablement par la suite. Sur le plan politique, cette crise a également donné de la visibilité aux questions de la production locale et de la relocalisation de la production puisque la mobilisation de tous les makers et des appareils de production a été l’occasion d’en faire la démonstration.

Avez-vous été appuyé par des réseaux ou des institutions ?

Nous faisons notamment partie du Réseau Français des FabLabs et du Réseau national des tiers-lieux (France Tiers-Lieux). En échangeant régulièrement avec eux, nous nous sommes rendus compte que certaines régions ont aidé leurs réseaux de fablabs immédiatement et fortement.

De notre côté, nous avons été soutenu localement par Ajaccio et Corte. Certains politiques ont également réalisé des levées de fonds auprès du public pour nous aider au plus fort de la crise mais nous avons manqué de support au niveau logistique. Pour le moment, les relations du réseau avec la Région sont plus de l’ordre de l’échange d’informations et cela gagnerait à être doublé d’un réel appui financier et logistique.

Avez-vous rencontré des difficultés ?

La question de l’approvisionnement des matériaux a été un réel problème à un moment donné. S’il est possible de se débrouiller pour se fournir de l’élastique, certains matériaux comme les bobines de PLA et les plaques de polypropylènes (les visières étant réalisées au laser) sont indispensables et difficilement substituables. Une autre difficulté a également été, au plus fort de la crise, la coordination du réseau lorsqu’il y a eu recrudescence de commandes : c’est très difficile de se retrouver à dire non à des travailleurs du monde sanitaire et social, ça va à l’encontre de notre engagement donc ça peut créer des frustrations.

Pourriez-vous me citer deux ou trois valeurs que vous portez et que vous souhaiteriez voir dans la société de demain ?

Je vois trois ensembles de valeurs qui ont porté notre action et qui sont ce pourquoi nous sommes engagés : le partage et la solidarité, la réactivité et l’agilité qui ont été une réelle force dans ce contexte exceptionnel, et enfin la relocalisation de la production qui guide notre action.

En savoir plus sur le Fablab Corti.

Les récits de Solidaires pour Faire et de l’Atelier des chercheurs.