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Le festival Databit.me cloue le travail au pilori

Vue de l'expo «Jouer du Systaime» à l'enclos Saint-Césaire. © Carine Claude

Impertinence, bidouille et bonne humeur au rendez-vous de la 7ème édition du festival arlésien Databit.me, du 9 au 11 novembre. Ou comment tirer à boulets rouges sur le travail et son aliénation.

Arles, envoyée spéciale (texte et photos)

Databit.me, c’est une sorte de grande famille. Depuis huit ans, ce festival arlésien mixant curiosités électro et autres machins glitchés se construit en mode DiY, le vrai, avec le coup de main des amis et des bénévoles. Aux manettes, les artistes David Lepolard et Lucie Ferlin, sa compagne, fédèrent un noyau d’artistes fidèles. Ambiance subversive et fun garantis. Bref, une sorte de poil à gratter en plein cœur d’un territoire très axé art et patrimoine (les Romains, les Rencontres, Van Gogh et les autres), mais pas franchement versé dans le numérique.

David Lepolard (au centre), initiateur et coorganisateur de Databit.me.

Pour sa 7ème édition du 9 au 11 novembre (la première, il y a huit ans, était une édition 0), les organisateurs se sont attaqués au thème « J'<3 bien travailler, mais ça dépend des jours ». La loi travail étant passée par là, autant dire que politique et économie de marché en ont pris pour leur grade. Ça tombe bien, puisque le fief historique du festival est justement la Bourse du travail, un bâtiment de la CGT.

A la Bourse du travail, on trouve des platines et des revendications.

Programmé dans le cadre d’Octobre numérique, sorte de label de la ville d’Arles chapeautant plusieurs événements digitaux, le festival a bien failli ne pas se faire. « Compte tenu des incertitudes que nous avions pour boucler le budget, nous avons hésité jusqu’en septembre, explique Lucie Ferlin. Mais même si on fait ça à l’arrache, comme on peut, avec plein de galères et les moyens du bord, c’est plus fort que nous : on ne peut pas se passer de ce festival ! »

Le net-artiste Systaime lance la soirée de clôture du festival à la Bourse du travail le 11 novembre.

Pour pallier un timing serré, le duo a tablé sur une formule plus courte et une programmation réduite. « On est partis sur une plus petite forme, concentrée sur trois jours, sans résidences, avec deux gros lieux : l’un que l’on a entièrement confié à Systaime, et la Bourse du travail, qui nous sert à la fois de lieu d’expo et de salle de concert pour la soirée de clôture », précise Lucie Ferlin.

De la friterie du coin à la fondation Luma

Le système D, c’est bien la marque de fabrique de Databit.me. A la dernière minute, le lieu sur Tarascon qui devait accueillir une soirée du festival annule. Pas de souci : les organisateurs se sont réfugiés dans la friterie du coin pour y organiser leur fiesta électro au milieu des clients médusés, à la plus grande joie de la restauratrice « qui a passé 90kg de patates et veut recommencer l’an prochain », s’esclaffe David Lepolard.

Un sacré contraste avec la très chic fondation Luma et son atelier, qui accueillaient pour la première fois un événement Databit.me. « Ce sont eux qui sont venus vers nous l’an passé, dit Lucie Ferlin. Je pense qu’ils ont sondé ce qui se passait sur le territoire et au fur et à mesure, nous nous sommes mis d’accord sur le principe d’organiser un hackathon à l’atelier Luma pendant le festival .»

La tour de la fondation Luma, toujours en construction.

Lancé en 2016, l’atelier Luma est l’un des équipements opérationnels du chantier pharaonique de Maja Hoffmann, une institution culturelle XXL plantée au milieu de 10 hectares de friche industrielle, le tout dominé par la tour en construction de Frank Gehry.

Défini comme « un cercle de réflexion, une structure de production et un réseau d’apprentissage de la fondation Luma », l’atelier fonctionne à la manière d’un vaste makerspace où se côtoient ingénieurs, botanistes, artisans et designers. Leur principale piste de travail ? La valorisation des ressources et déchets agricoles de la région, du sel de Camargue en passant par les biomatériaux.

La designer Coralie Gourguechon (à g.) et Henriëtte Waal, responsable de l’atelier Luma.

« Ici, on développe un projet pour imprimer de l’électronique sur des matériaux organiques avec de l’encre conductrice », explique la designer Coralie Gourguechon, l’une des mentors du hackathon Databit.me qui a rassemblé une quinzaine de participants toute la journée du 9 novembre. Objectif : fabriquer un synthétiseur en papier grâce à de l’encre conductrice et faire jouer sa partition à un bras robotisé industriel appartenant à la fondation. « C’était le premier programme grand public que nous organisions. A la fondation, tout est neuf et en construction mais c’est aussi la volonté de Maja Hoffmann que de connecter le monde de l’art avec le territoire », s’enthousiasme Henriëtte Waal, responsable de l’atelier Luma, annonçant qu’un fablab devrait y voir le jour en 2018.

Le robot jouait du synthétiseur sur papier électronique pendant le hackathon Databit.me.

Tchatcher et jouer du Systaime

Autre atmosphère du côté de l’enclos Saint-Césaire, en plein cœur du centre historique d’Arles, avec le fatras d’écrans, de chaises et de cartons installés par le net-artiste Systaime. Pour cette carte blanche intitulée « Jouer du Systaime », il remixe ses GIFs et glitchs activistes, sortes de collages superposant images de la pop culture, porno et pluie de dollars. En fond sonore, des femmes susurrent « Je t’aime Systaime » par webcam interposée, tandis que des moniteurs éparpillés font tourner en boucle des cartes postales vidéo de son dernier tour d’Europe.

«Jouer du Systaime», une exposition dérangeante, éclairante, et poétique.

Toujours en centre-ville, à deux pas de la fondation Van Gogh, la galerie du Collectif E3, collectif d’artistes auquel appartient David Lepolard, accueillait des « Tchatches », discussions ouvertes en petit comité pour réfléchir à l’organisation du travail ou encore au financement de la création artistique. Vaste chantier notamment entrepris par l’ingénieur et designer Eric Lacombe venu présenter ses « graines d’information » (sorte de réseau social hybride redonnant du sens à l’info) ou encore par un membre de Réso-nance, l’association numérique marseillaise porteuse du fablab LFO en train de travailler sur un outil de reconnaissance des compétences.

Eric Lacombe expose une nouvelle méthode d’organisation de l’information.

Au boulot à la Bourse du travail

Formule raccourcie oblige, le festival a dû se délester d’une partie de sa programmation nocturne pour concentrer le feu des opérations sur une seule soirée de clôture à la Bourse du travail le 11 novembre.

La Bourse du travail accueille œuvres d’art numérique et performances sur le thème «J'<3 bien travailler, mais ça dépend des jours».
David Lepolard, Monsieur Loyal de la soirée de clôture.

« Généralement, nous organisons une soirée prototype qui est une sorte de sortie de résidence des artistes et une soirée grand public, précise Lucie Ferlin. Cette année, la durée du festival était trop courte pour mettre en place des résidences d’artistes à proprement parler, et donc la soirée protos. Tout le monde retient les soirées mais pourtant, ce sont les résidences qui sont le point fort du festival. Ce n’est pas grave, les artistes ont quand même eu le temps de bidouiller des trucs qu’ils présenteront à la soirée de clôture. »

Résultat : une programmation finale intense où se seront succédé une quinzaine d’artistes et performeurs pour clore le festival devant un public nombreux. Comme le dit David Lepolard : « On sait plus ou moins quand ça commence, jamais quand ça finit ! »

Concert de bidouille électro pour perceuses, scies et Brutbox avec les membres de Réso-nance.
Pour la performance «Monkey Turn», l’artiste Nao projette du mapping dynamique sur son robot téléguidé.

Le site Databit.me