Makery

De l’art d’apprendre le machine learning

Le suivi du visage expérimenté lors du workshop Machine learning pour les artistes. © Guillaume Ribault

L’intelligence artificielle à portée des projets d’artistes, c’était l’objet d’un workshop organisé les 9 et 10 novembre par Stereolux à Nantes. On y était.

Nantes, envoyé spécial (texte et photos)

« Il y a quelque chose de quasiment mystique là-dedans », dit David, un des douze participants du workshop Machine learning pour les artistes, en évoquant les algorithmes de plus en plus performants au fur et à mesure de leur utilisation.

Ces algorithmes apprenant en autonomie, ce sont ceux utilisés en machine learning (apprentissage automatique), l’une des branches les plus actives de la recherche en intelligence artificielle. Ceux-là même qui nous ont permis d’expérimenter le potentiel du face tracking (suivi de visage), de la classification de données ou de l’apprentissage supervisé pendant les deux jours du workshop proposé par le labo Arts & Techs de Stereolux à Nantes, dans le cadre de son cycle thématique Art, design & intelligence artificielle (dont Makery est partenaire).

Connu pour sa programmation musicale, Stereolux a aussi l’art numérique dans ses gènes.

Et c’est vrai qu’à l’usage, quelque chose de magique semble émerger de ces algorithmes capables de reconnaître des occurrences parmi plusieurs milliers d’images ou d’identifier la syntaxe d’une langue pour transformer automatiquement la parole en écriture. « Voyez ça comme des outils », prévient pourtant assez vite Martial Geoffre-Rouland, l’animateur du workshop, designer interactif et fondateur du studio Screenclub. « Des outils pour aller plus vite. Le machine learning, ce n’est pas une fin en soi, juste un moyen pour explorer des voies complexes à atteindre avec les technos antérieures. » Nous voilà donc prêts à ouvrir une boîte de Pandore démystifiée pour tester par la pratique ses possibilités créatives.

Prêts pour deux jours de creative coding au labo Arts & Techs.

Après un tour de table (une majorité d’étudiants en design, des développeurs et ingénieurs), la première journée commence par un long temps d’installation (problème de compatibilité oblige) des logiciels qui nous seront utiles : Xcode ou Visual Studio et openFrameworks, une librairie open source en C++ orientée creative coding codéveloppée par l’artiste Zach Lieberman.

Des grappes de points colorés pour aider à comprendre la classification de données massives.

Une introduction rapide au langage C++ et nous voilà plongés dans une visualisation t-SNE, pour t-Distributed stochastic neighbor embedding, « intégration de voisins stochastiques distribués » en français, c’est-à-dire en moins barbare un programme de machine learning qui, dans notre cas, place les images de contenus similaires les unes à côté des autres, formant des clusters de dauphins, de drapeaux américains ou de globes terrestres. S’ensuit, en changeant le jeu de données, une expérimentation typographique basée sur le classement et la visualisation de groupes de lettres. On découvrira par la suite, un peu dépités, que Google a encore une longueur d’avance avec son projet Fontmap Ideo.

Et si on appliquait cela à nos photos de vacances?

Deuxième jour. Découverte de Processing, un environnement de programmation particulièrement adapté à la création graphique interactive, également développé par deux artistes, Ben Fry et Casey Reas. Martial Geoffre-Rouland en rappelle la syntaxe, la logique et présente les bases pour créer des formes simples. On passe alors à FaceOSC, un outil de tracking créé par Kyle McDonald pour prototyper des interactions basées sur la reconnaissance faciale. Processing est utilisé pour récupérer les données. Une fois la caméra activée (et quelques variables plus tard), on peut par exemple synchroniser des formes avec un mouvement de tête.

Le «face tracking» couplé à Processing, et c’est une infinité d’interactions qui sont à explorer.

Martial présente ensuite Convnet Predictor, créé par Gene Kogan, un réseau neuronal convolutif inspiré par le cortex visuel des animaux qui permet d’entraîner l’algorithme à reconnaître des signes pendant une phase d’apprentissage. On lui montre alors, via une caméra, des dessins de chaises et d’enceintes en lui indiquant la catégorie de chaque dessin. Une fois l’algorithme entraîné, quand on place devant la webcam une vraie chaise ou une vraie enceinte, l’algorithme les reconnaît et les catégorise correctement, passant du signe dessiné à l’objet réel.

Vient le temps final d’expérimentation par équipe de quatre. Un groupe planche sur un concept de beatbox visuelle où la reconnaissance de gestes active des sons. Un autre joue à altérer le discours présidentiel : une main sur les yeux figera l’image, deux mains sur les oreilles et c’est le son qui se coupe, Emmanuel Macron semble alors bien hésitant face à ces facéties. Le troisième groupe cherche à envoyer des emojis sur un écran distant à partir de signes correspondants.

Quand l’algorithme apprend les emojis, c’est ?.

Le workshop touche à sa fin alors que les idées continuent à fuser. Un peu de frustration se fait ressentir : c’est dans ce dernier temps d’expérimentation que l’ensemble des outils présentés sont réellement mis à profit. Et c’est dans leur globalité, dans les couplages possibles, que l’on perçoit l’étendue du potentiel créatif permis par le machine learning. A l’image de ce test d’opticien infernal réalisé en 5mn par Martial entre deux coups de pouce techniques, qui rend la lecture impossible, avec ou sans lunettes.

L’objectif est néanmoins atteint : se constituer une boîte à outils pour réaliser ses propres expérimentations et ouvrir le champ des possibles. « L’ambition de ce cycle est multiple : apporter de la réflexion, de la compréhension sur une problématique actuelle, mais aussi monter en compétences à travers ce type de workshop, avance Martin Lambert, responsable du labo Arts & Techs de Stereolux. Et pourquoi pas enclencher des projets, des collaborations. »

A l’origine du cycle Art, design & intelligence artificielle, le labo Arts & Techs de Stereolux propose aussi des résidences d’artistes et soutient des projets collaboratifs comme Cinetica, une représentation sensible des données de mobilité des Nantais, ou Unfold, une œuvre immersive à partir de données astrophysiques de l’artiste japonnais Ryoichi Kurokawa réalisée avec l’astrophysicien Vincent Minier.

Le cycle Art, design & intelligence artificielle se poursuit jusqu’à mi-décembre, avec un atelier Utop/dystop(IA) par le studio Design Friction (le 18/11), et un workshop Machine Jacking animé par le studio Chevalvert (le 30/11 et 1/12)