Makery

A Londres, Saraceno convoque sa communauté de hackers d’atmosphère

Dans les jardins de South Kensington, la sculpture volante de Tomás Saraceno prend son envol grâce aux rayons du soleil. © Elsa Ferreira

Les 26 et 27 novembre, l’artiste Tomás Saraceno réunissait des chercheurs des universités les plus prestigieuses au monde pour un hackathon pas comme les autres. Objectif: inventer l’ère de l’Aerocene.

Londres, de notre correspondante

L’art de Tomás Saraceno est un projet en constante évolution. Depuis plus de vingt ans, l’artiste italo-argentin mélange art et science et façonne une époque qu’il voudrait voir succéder à l’âge interglaciaire de l’Holocène, celle de l’Aerocene, une ère où l’homme explore et vit dans l’atmosphère en harmonie avec les autres êtres vivants, sans empreinte carbone.

L’année dernière, Tomás Saraceno et sa communauté se réunissaient dans le désert des White Sands, au Nouveau Mexique, pour l’envol de la première montgolfière aérosolaire zéro carbone. Makery y était

Cette fois-ci, c’est à Londres que la communauté se retrouve, au dernier étage du Royal College of Art, salle luxueuse et tapissée de tableaux de la prestigieuse école d’art. Tomás Saraceno est invité par The Exhibition Road Commission, un partenariat entre 17 des institutions scientifiques et culturelles les plus prestigieuses du chic South Kensigton. Tomás Saraceno est le premier artiste en résidence de la commission, qu’il a réinventée en hackathon.  

Tomás Saraceno et les nombreux participants du hackathon. © Elsa Ferreira

« D’habitude, je suis un artiste. Doucement, j’apprends à connaître la communauté open source et du hacking », se présente Tomás Saraceno devant la centaine de participants. C’est avec son projet Museo Aero Solar, il y a dix ans, que l’artiste a rencontré cette communauté, raconte-t-il à Makery. « J’ai été invité en Italie par un groupe très actif socialement et politiquement. Ils voulaient qu’on fasse une sculpture, quelque chose à faire tous ensemble. On a donc fait Museo Aero Solar, un musée flottant fait de sacs plastique réutilisés. » Cette sculpture « sans forme ni couleur qui peut être modifiée par une seule contribution » a depuis voyagé dans 21 villes à travers le monde, se réjouit-il. 

Un kit Aerocene Explorer en sac à dos

La nouvelle étape de l’Aerocene s’incarne dans le kit Aerocene Explorer, un sac à dos encore en version béta destiné à être utilisé « comme une plateforme et à être étendu à différents usages, comme par exemple échantilloner la vie en l’air », explique Sasha Engelmann, doctorante ethnographe et co-organisatrice du week-end. Il contient la sculpture flottante, un Raspberry Pi et son module caméra, des capteurs de pression barométrique, de température et d’humidité pour mesurer les conditions à l’intérieur et à l’extérieur de la sculpture, une clé wifi qui permet d’accéder à la caméra et aux données thermiques depuis le sol et un manuel d’instruction, détaille-t-elle. 

L’année prochaine, il devrait être à disposition du public, probablement dans des institutions d’Exhibition Road, pour qu’ils puissent eux-mêmes faire des expérimentations, des échantillonnages et des calculs et les partager. Les explications pour construire la structure flottante seront aussi rendues disponibles sur le site internet d’Aerocene.

Le contenu du kit en version béta. © Aerocene

Ce samedi 26 novembre, la communauté Aerocene se retrouve donc pour hacker le kit, autour de trois challenges : « le vol libre », « la vie en l’air » et « le son ». Pour en parler, Tomás Saraceno a convié les esprits les plus brillants de la communauté scientifique environnementaliste : Nick Shapiro, membre de la communauté open science Public Lab, venu parler des instruments de mesures de l’air DiY, Ronald Jones, artiste et critique venu parler d’interdisciplinarité, ou encore Bill McKenna, chercheur au MIT, venu parler des courants d’air et de leurs représentations sur le site qu’il développe pour suivre la trajectoire du ballon, encore en phase test.

On discute aussi de la diversité microbienne et autres êtres vivants de l’atmosphère, de la façon dont les bactéries flottent, de la différence entre aérodynamique et aérostatique – et par conséquent, de la pertinence d’appeler l’Explorer un « ballon » – et de la régulation de l’espace aérien, en présence du professeur de droit Andreas Philippopoulos-Mihalopoulos. Les partisans de l’Aerocene voudraient en effet transposer aux engins volants la règle de l’espace maritime selon laquelle les engins à voile ont priorité sur ceux à moteur. Si vous êtes d’accord, vous pouvez signer la pétition

Capture de papillons de nuit 

« On a hacké le hackathon », plaisante Tomás Saraceno alors que la fin de journée approche et que le hackathon n’a toujours pas commencé. Trop bavards, les universitaires ? Le panel échange sur la question, non sans en relever l’ironie. Conclusion : « La conversation est importante, soulève Bronislaw Szerszynski, professeur de sociologie à l’université de Lancaster. Mais combien de temps flottons-nous vraiment ? Moi je compte les 15 minutes où le ballon s’est envolé », référence à la balade dans les jardins de South Kensington, où le temps clément a permis aux participants d’observer l’énergie aérosolaire en action… avant que les nuages reviennent, occasion d’une présentation impromptue des différents types de cumulus, ces « graffitis célestes », comme les décrit poétiquement le professeur Brian Hoskins

Dés les premiers rayons de soleil, rendez-vous dans les jardins de Kensington pour observer l’Explorer s’envoler. © Elsa Ferreira

« La prochaine fois, on fera l’inverse : on construira, ensuite on parlera. Puis on fera à nouveau et on reparlera », tranche Saraceno. Direction le hackspace de l’Imperial College, où le hackathon commence donc avec près de six heures de retard ; pas de quoi fâcher Lucy Patterson, biologiste moléculaire, co-organisatrice de la communauté Berlin Science Hacking en charge du hackathon Aerocene. « C’est important et intéressant d’avoir ces discussions philosophiques et politiques. Si on essaie de résoudre de grands problèmes, il faut avoir le débat le plus large possible. » Même si, concède-t-elle, il faut que la théorie se frotte à la pratique. 

Le hackathon a tout de même été productif. Au programme, deux attrapeurs d’insectes. Le premier peut être débarqué en plein vol grâce à un parachute, le deuxième s’attarde spécifiquement sur les Autographa Gamma, ces papillons de nuit qui migrent deux fois par an. L’équipe du Cambridge University Space Flight (CUSF) a également perfectionné son prédicteur de vol, développé pour calculer le lieu d’atterrissage d’un ballon d’hélium. 

Le prototype d’attrapeur de papillons de nuit. Quand le ballon descend, et que la pression baisse, le bec se referme sur les insectes. © Elsa Ferreira

Ce hackathon est la suite d’une première édition organisée fin octobre, déjà sur les trois étages du hackspace de l’Imperial College. Les participants avaient mis au point plusieurs prototypes. Entre autres, un tableau de bord pour observer les points d’intérêt sur le passage de l’Explorer ou un hack qui permet d’utiliser la chaleur souterraine pour alimenter le ballon et le faire voler indépendamment de la météo. « C’est un projet qui se prête particulièrement bien au hacking, estime Lucy Patterson. Il est accessible, beau, artistique, inspirant et il y a beaucoup d’opportunités de fabriquer du matériel et de l’électronique DiY. » 

Pour Tomás Saraceno, le temps est venu de faire connaître l’Aerocene à un plus large public. Pour ce faire, le kit Aerocene Explorer sera mis à disposition pour emprunt dans l’un des lieux d’Exhibition Road. Et l’artiste a prévu un road trip en Argentine pour toucher d’autres communautés. « Vous êtes tous les bienvenus », lance-t-il à l’assemblée.

Le site d’Aerocene