Interaction, improvisation et transdisciplinarité : entretien avec Simon Berz à Home Made 2025
Publié le 7 septembre 2025 par la rédaction
Nous avons rencontré Simon Berz cet été à Salenstein-Mannenbach, sur la rive suisse du lac de Constance, où SGMK organisait la 20e édition de son summercamp Home Made. Makery et PING y avaient installé un studio de radio. Simon, compagnon de longue date de SGMK, nous a parlé de sa carrière de musicien et d’artiste multidisciplinaire, ainsi que des projets qu’il développe dans son centre d’art, Combination Space. Entretien.
Makery : Pouvez-vous vous présenter ?
Simon Berz: Je suis Simon Berz. Je suis batteur. J’ai d’abord joué dans des groupes de punk jazz, de musique improvisée. Puis je me suis intéressé à l’électronique et à l’amplification de la batterie. J’ai fait partie de groupes comme Apparat à Berlin, où nous jouions de la musique électronique avec des instruments acoustiques il y a 20 ans. Cela m’a profondément marqué et m’a donné envie d’explorer cette voie. À l’époque, à Berlin, il était très courant de jouer avec un ordinateur. On ne savait pas ce que faisaient le DJ ou le musicien derrière son écran. En tant que batteur, cela m’ennuyait. Mais ensuite, j’ai trouvé un album d’Apparat dans un magasin de disques et je lui ai écrit un e-mail disant : « Je suis batteur et je recherche des musiciens électroniques. » Il s’avère qu’il cherchait justement un batteur et nous avons formé un groupe. Ce fut une très belle expérience que de pouvoir enfin associer des instruments acoustiques et de l’électro-techno.
Mais je trouvais de plus en plus ennuyeux de porter des écouteurs. Je me suis rendu compte que je n’étais pas « un appareil » (« Apparat » en allemand, ndt) – il est assez amusant de noter qu’il existe un livre écrit par l’ancien batteur de Kraftwerk, Wolfgang Flür, lorsqu’il a quitté le groupe, intitulé « I Was a Robot » (rires).
Puis je me suis davantage impliqué dans la scène DIY. J’ai rencontré SGMK et j’ai commencé à fabriquer des instruments artisanaux. J’ai fait un workshop très sympa avec Nic Collins. Il est également venu une fois à Home Made. Je n’oublierai jamais ce moment où une batterie électrique, un haut-parleur et quelques trombones ont changé ma vie. J’ai réalisé que je pouvais le faire moi-même : jouer ces interactions électroacoustiques avec une batterie et un haut-parleur. J’étais surexcité et j’ai réalisé que j’étais – et que je suis toujours – un petit garçon profondément influencé par Jimi Hendrix et Deep Purple. J’ai accepté cela et je me suis rendu compte qu’il manquait un maillon : Nous avions des guitares électriques, des instruments électrifiés, mais nous n’avions pas de batterie électrifiée. À l’époque, j’avais ma propre école de musique et nous venions de recevoir des batteries MIDI. Je me suis dit : « Et si je commençais à amplifier le son avec des micros piézo et à créer des larsens ? » J’ai donc commencé à construire ce rocking desk. J’avais une batterie normale avec des baguettes amplifiées et beaucoup de punch grâce aux capteurs piézo sur les toms, ainsi que des effets et un amplificateur derrière.
Je me suis rendu compte que je n’avais rien à faire. Je pouvais poser les baguettes sur les peaux et la fête commençait déjà. J’ai commencé à jouer en solo et dans des groupes : Fell, qui a duré 10 ans, Superterz qui a tourné avec Nils Petter Molvær et Kondo Toshinori, entre autres.
Cela m’a profondément marqué, mais après 15 ans, j’ai réalisé que c’était fini. Je voulais approfondir mes recherches : j’ai décidé d’étudier les beaux-arts transdisciplinaires à Zurich. J’ai commencé par fabriquer des baguettes wireless pour me débarrasser de tous ces câbles. J’ai travaillé avec deux universités où j’ai eu la chance d’obtenir une baguette en carbone qui peut vraiment frapper fort et détecter les mouvements. Je me suis retrouvé à nouveau avec Ableton Live. Je connaissais Ableton depuis le début, car Apparat était proche des inventeurs, Gerhard Beles et Robert Henke, alias Monolake. Il était clair pour moi que le logiciel était bon. Je pouvais jouer des rythmes et obtenir les données. Avec les baguettes, par exemple, on peut récupérer les données X, Y, Z d’un mouvement. Nous avions un prototype fonctionnel. Mais finalement, je me suis désintéressé du projet, car beaucoup de ces nouveaux instruments sont arrivés rapidement sur le marché cette année-là, en provenanace du SuperBooth à Berlin.
J’avais déjà fondé ma propre école et je ne voulais pas être un fabricant de nouveaux instruments au SuperBooth, je ne voulais pas me lancer dans ce business de la musique. Mon frère a fondé le premier parti vert en Suisse, ce qui m’a également influencé dans ma décision de dire non. Et mes études d’arts plastiques m’avaient complètement orienté vers une autre voie. J’ai trempé mes baguettes dans de l’encre – je suis allé plusieurs fois en Chine et au Japon en tournée – et j’ai commencé à dessiner avec. Puis je suis revenu à la SGMK où j’ai rencontré tous ces fous (rires), cette culture du partage.
Il y a des pierres sur votre batterie. Est-ce une pratique artistique habituelle pour vous de mélanger des éléments naturels et la technologie ?
Absolument. Une chose très simple m’est arrivée une fois, alors que j’étais en vacances dans les Alpes françaises. Je rentrais chez moi à vélo quand soudain, une partition de Steve Reich s’est mise à jouer sous mes roues. J’ai arrêté mon vélo, j’ai ramassé 30 kilos de pierres et, de retour en Suisse, j’ai commencé à construire une installation sonore. Après plusieurs essais, j’ai amplifié les pierres qui produisaient un son très doux. J’ai beaucoup appris grâce à cela. J’ai fabriqué ce petit instrument appelé Tectonic, grâce à une bourse que j’ai obtenue de la ville de Zurich pour me rendre à Husafell, en Islande, où Pall Gudmundsson fabrique ce type d’instruments, pour Sigur Rós, Arvo Pärt, Evelyn Glennie…
C’était complètement fou. J’ai trouvé ces cinq pierres que j’ai ici maintenant dans des tempêtes de neige. Vous n’avez que cinq minutes pour survivre au milieu d’une tempête de neige, vous savez. Artistiquement, cela m’a beaucoup intéressé, c’est comme rencontrer une belle partenaire lors d’une fête, tomber immédiatement amoureux et ensuite travailler ensemble sur cet amour. Ce ne sont que des pierres trouvées. Tout tournait autour de ce moment très court et difficile dans le paysage islandais : « ding dong dong dong dong. C’est ça. » (Simon mime le geste de taper sur les pierres pour les faire résonner, ndt). Ce n’est qu’après que vous commencez à réfléchir à ce qu’elles peuvent faire. Et c’est tellement drôle, ces pierres tournent maintenant entre Cuba et le Japon. En Indonésie, par exemple, elles s’intègrent parfaitement à la musique de gamelan, car elles sont naturellement accordées. Nous sommes transdisciplinaires. Cela m’ouvre tellement de perspectives, en tant qu’homme blanc venu en Indonésie, de dire : « Collaborons ensemble, j’apporte des pierres vieilles de cinq millions d’années. Personne ne sait quel son elles produisent. Moi non plus. Nous allons simplement expérimenter, pour découvrir votre son et votre nature, pour communiquer. »
Parlons de votre lieu, le centre d’art Combination Space, où vous développez le concept de « permacircularité ». Qu’est-ce que c’est ?
Je voyageais beaucoup, j’avais mon espace à Berlin et mon école à Zoug, mais je ne me sentais chez moi nulle part, je ne trouvais pas ma place. J’avais envie d’avoir un atelier où je pourrais conserver et observer mon art, c’est vraiment important de sédimenter cela. J’ai trouvé cette ancienne chocolaterie, Cima Norma à Val de Plenio, et j’ai récupéré par hasard leur ancienne usine de bois. J’ai commencé à la rénover, j’avais également accès au jardin. Et puis la pandémie est arrivée. Pendant le confinement, je me suis mis au jardinage, je ne connaissais rien à la permaculture, mais j’y ai immédiatement pensé, j’ai lu quelques livres sur le sujet et j’ai commencé à créer un biotope. Ce qui s’est passé était incroyable : tant d’animaux, des serpents, des lézards, des insectes énormes, de nouvelles fleurs, de nouvelles plantes sont apparus.

J’ai eu l’idée d’organiser un événement dans le jardin permaculturel sur le thème de la diversité. Nous savons que la monoculture pose un énorme problème dans le monde : nous perdons des espaces, nous perdons notre créativité à cause de Spotify, nous perdons les expressions originales des êtres humains, et pour moi, c’est similaire, cela rejoint évidemment les concepts de monoculture et de permaculture. J’ai lancé ce que j’ai appelé les Kombinat sessions. Je trouve très intéressant de demander aux gens ce qu’ils pensent, comment nous pouvons développer la diversité. Par exemple, ce que nous voyons ici, c’est un biotope de folie (rires), mais sérieusement, nous devons nous demander comment protéger cela dans ce monde de Spotify, d’intelligence artificielle et de commercialisation. J’ai une formation en pédagogie, j’ai étudié la pédagogie pour les personnes handicapées. J’ai créé ma propre école. Je pense que ce qui compte aujourd’hui, c’est l’environnement et, sur le plan psychologique, l’autonomisation personnelle. Je vois beaucoup de jeunes issus du monde du son, des écoles d’art, qui sont extrêmement perdus, très instruits, très compétents, mais sans orientation. Nous devons prendre soin de toutes les différentes générations et découvrir ensemble ce dont nous avons besoin.

J’enseignais déjà la musique à l’école primaire, puis dans des cours de musique. J’ai étudié la pédagogie pour les personnes handicapées, mais malheureusement seulement la partie théorique, je n’ai pas pu mettre cela en pratique car j’ai obtenu une bourse pour aller étudier la batterie à New York. J’ai vécu des moments très difficiles là-bas, très dangereux, mais j’ai survécu. À mon retour en Suisse, j’ai décidé de m’investir à fond, convaincu que nous avions besoin d’un autre type d’éducation, d’une alternative au système éducatif actuel. J’ai fondé une école à Zoug, la ville la plus chère et la plus riche de Suisse. Glencore et Shell, par exemple, y sont implantés. Ce fut une expérience très amusante de voir des PDG dans mon école jouer du blues avec des réfugiés syriens, puis discuter de géopolitique du pétrole. J’ai réalisé que ce qui compte, c’est de rassembler les êtres humains pour qu’ils partagent. C’est une idée très idéaliste, mais elle fonctionne, et nous expérimentons cette pédagogie musicale transdisciplinaire créative depuis maintenant 25 ans. Je ne suis plus enseignant, j’enseigne désormais aux enseignants, donc je me concentre surtout sur l’énergie, la créativité et le chaos avec les enfants à la batterie. Je suis peut-être un navigateur culturel, certainement pas un coach. Mon credo serait : « Voyons ensemble où nous en sommes, qui nous sommes, ce que vous aimeriez faire. Nous ne pouvons pas prédire ce qui va se passer entre les gens, c’est une interaction constante. » Et nous en revenons à l’idée de permaculture.

Vous réalisez des projets et des performances qui impliquent parfois des centaines de personnes. Pouvez-vous nous en détailler un ou deux ?
J’ai mené de nombreux projets avec des enfants de toutes les générations, dans tout le pays. Une fois, à Zurich, nous avons construit des caddies, nous y avons mis des déchets, puis nous avons organisé un défilé pour montrer que nous utilisions une machine à sons fabriquée à partir de déchets et que nous jouions ensemble. 30 000 personnes sont venues. Ce projet a été profondément influencé par mes expériences en Afrique.
Autre exemple : j’étais en tournée à la Nouvelle-Orléans cinq ans après l’ouragan Katrina. J’ai réalisé que les gens étaient encore traumatisés, il y avait des montagnes de réfrigérateurs et d’autres objets dans les rues. Nous avons trouvé des instruments, des radios, des tonnes de choses. J’avais déjà un projet à Berlin et à Zurich pour construire et bricoler des instruments à partir de déchets. À la Nouvelle-Orléans, c’était fou. Nous avons invité des musiciens de jazz célèbres à jouer avec nous. C’était complètement hallucinant. Nous avions les meilleurs improvisateurs, les plus incroyables. C’est un projet appelé Liquid Land.
LIQUID LAND Documentation film
Je pense que nous sommes actuellement à un tournant en Europe. Une vague de créativité et de connaissances nous arrive d’Asie et d’Afrique, car les populations de ces régions savent comment gérer les catastrophes et le recyclage. Nous avons beaucoup à apprendre d’elles.
Disposez-vous de processus de médiation spécifiques pour permettre à des personnes d’origines et de cultures différentes de se rencontrer et de collaborer ?
Tout d’abord, nous devons sortir de la stigmatisation. Certaines personnes ont trop vite fait de supposer que, parce que vous travaillez avec une personne, vous pensez comme elle et partagez les mêmes opinions politiques. Ou que vous n’appartenez pas vraiment à l’endroit où vous vivez, que vous méprisez la population locale parce que vous voyagez beaucoup et n’êtes pas souvent chez vous. Je veux que les gens soient ici et autour de moi, je m’intéresse à leurs idées, mais nous faisons quelque chose ensemble, nous faisons du son, nous faisons des interactions visuelles (je pense à ce que nous faisons avec Andi Hoffmann qui dirige Combination Space avec moi). Manger et cuisiner ensemble est également très important. Faire des promenades ensemble… En un mot, interagir pour de vrai, ce qui est de plus en plus difficile dans les grandes villes, et en général partout, à cause des réseaux sociaux. A Combination Space, nous avons accroché des chaussettes sur les portes, nous demandons aux gens d’y mettre leurs téléphones. Je suis très intéressé par la détox numérique, je lis beaucoup sur les sciences du cerveau, la pédagogie et l’éducation… Je dirais que l’important est de partager et de rester aussi conscient que possible de ce qu’implique la transdisciplinarité à l’époque où nous vivons.
Ecoutez l’entretien sur P-Node radio
le site web de Combination Space
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