A Marseille, année 2 du Tiers-Lab des Transitions : s’enraciner et fleurir
Publié le 30 juillet 2025 par Elsa Ferreira
Dans le dynamique paysage des tiers-lieux de Marseille, c’est l’un des derniers nés. Positionné sur un secteur porteur – les transitions écologiques, sociales et numériques mais aussi l’IA -, la coopérative est également propriétaire de ses murs. Un beau départ.
6000 m2 carré de verdure en pleine ère urbaine ; forcément, le projet nous fait de l’œil. Et si la chaleur de l’été a fait jaunir l’herbe des sols, les tables posées devant la bastide, où quelques coworkers estivaux profitent du psithurisme (ce doux murmure du vent dans les feuillages), n’en sont pas moins agréables.


Ici, c’est le Tiers-Lab des Transitions. Le lieu a été ouvert en janvier 2024 dans une ancienne demeure provençale privée. Les membres du Laboratoire d’intelligence collective et artificielle, le LICA, porteurs du projet du Tiers-Lab, y vivaient et organisaient déjà des formations et événements. Lorsque la maison est mise en vente, ouvrir ce lieu au public est une évidence pour ces partisans du collectif.
La SCIC pour un modèle de gérance ouvert
Ils créent une Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) et invitent 200 coopérateurs à prendre part à l’aventure : des citoyens, des entreprises, des organismes engagés comme la foncière solidaire Bellevilles ou la Cité de l’Agriculture, des établissements publics comme la Banque des Territoires ou l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU) et la Région et la ville de Marseille. Ils réussissent à lever 3,5 millions d’euros pour acheter le bâtiment et son jardin. La forme SCIC, ouverte aux coopérateurs externes contrairement à la SCOP détenue par ses salariés, « correspondait bien à la philosophie du modèle ouvert porté par le LICA », explique Julie Telfour, coordinatrice au Tiers-Lab des Transitions.
Depuis, le Tiers-Lab accueille une quinzaine d’entreprises et associations résidentes, toutes porteuses de projets pour une société en transition. Parmi elles, Cultures Permanentes, organisme de formation et bureau d’études autour de projets agro-socio-environnementaux, Par Ailleurs – Paysages, société coopérative de paysagistes, Impact Studio, collectif qui accompagne et développe des lieux et des démarches d’utilité sociale et territoriale, ou encore Cycle Up la plateforme de réemploie des matériaux.
Il accueille aussi des coworkers et des usagers qui, à force de rencontres, lancent aussi leurs projets : ici, un Repair Café informel se consolide, là, un jardin pédagogique est en discussion.

Transitions plurielles
Au Tiers-Lab, les transitions se déclinent au pluriel : la transition écologique, avec des formations destinées notamment aux personnes éloignées de l’emploi. « On les invite à découvrir les nouveaux métiers de la transition », présente Julie Telfour, de l’artisanat à l’économie circulaire ou le bâtiment durable.
Transition sociale, pour « intégrer le plus grand nombre dans la transition écologique », avec l’accent mis sur la rencontre : dans une même journée, le tiers-lab accueille des groupes scolaires, des entreprises, des coworkers, des habitants du quartier… Le jardin est ouvert à tous et la guinguette solaire Le Présage agit comme pôle d’attraction pour les voisins du quartier.

Transition numérique aussi, objet de recherche historique du LICA. Le récent regain d’intérêt pour l’intelligence artificielle a amené les membres du LICA à s’interroger plus encore sur la place de l’éthique dans le domaine. Dans les formations qu’il prodigue, le LICA utilise les méthodes d’intelligence collective pour designer des IA éthiques. Audrey Vermeulen, cofondatrice du laboratoire, s’apprête à publier une thèse sur la jonction de ces deux formes d’intelligence qu’elle estime complémentaires. « Historiquement, l’approche du LICA est plutôt technocritique, présente Julie Telfour. Mais il est essentiel de continuer à comprendre ces technologies pour conserver notre capacité de faire. Il s’agit de se demander où ces outils peuvent avoir le plus d’impacts, à quels besoins ils pourraient répondre et ce qui pourrait être faire différemment », conclue la coordinatrice.
Un paysage des tiers-lieux en réseau
Désormais porté par trois salariés à temps plein et deux services civiques, le Tiers-Lab s’implante dans un écosystème dynamique et noue des alliances. Le Couvent, tiers-lieu culturel qui abrite des résidences d’artistes, est situé à quelques centaines de mètres ; de même pour La Friche Belle-de-Mai, lieu culturel marseillais bien identifié depuis 1992 ans et avec qui le Tiers-Lab des transitions porte des projets communs. « Il y a une grande diversité dans la typologie de ces lieux, se réjouit Julie Telfour. Ce sont des lieux qui ont une couleur différente, à taille humaine. » Ces dernières années ont certes vu la fermeture du bien aimé tiers-lieu artistique et solidaire Coco Velten, mais ont laissé place aux nouveaux venus Tiers-lieu de la Mer, ouvert au printemps 2024 sur le Vieux Port, à la Cité des Transitions, réseau d’acteurs engagés dans la transition socio-économique et écologique installé fin 2024 ou encore La Cômerie, ancien couvent que l’association Yes We Camp réouvre progressivement jusqu’à 2026.
Le Tiers-lab a également rejoint les réseaux qui animent ce paysage : Sud Tiers Lieux, Sud Impact Event ou encore Opération Milliard, association dont l’objectif est de créer un fonds d’investissement de 1 milliard d’euros à destination des structures d’économie sociale et solidaire.
Un projet sur le temps long
Si le Tiers-Lab a su conquérir ses publics – plus de 10 000 usagers ont passé le portail la première année – reste à consolider ses bases. « On tourne, mais on a encore des enjeux financiers, reconnait Julie Telfour. Les charges augmentent, on a eu des retards de travaux que l’on paye encore et il nous reste à collectivement imaginer d’autres modèles économiques en dehors des financements publics et européens. » Mais en achetant les murs, le Tiers-lab s’est aussi acheté du temps. « C’est un projet à long terme et résilient. En 2040, on sera normalement toujours ancré. »