10 ans de Parisculteurs. © Le Jardin des Traverses
Samedi 17 mai, au Jardin des Traverses à Paris, les agriculteurs urbains franciliens se réunissaient pour fêter les 10 ans de Parisculteurs et des 48 heures de l’agriculture urbaine. Un double anniversaire et l’occasion de revenir sur le chemin parcouru par ce secteur de proximité, maillon essentiel de la transition agricole.
Nadine Lahoud a tellement raconté cette anecdote qu’elle en est lasse. N’empêche, l’énergique agricultrice urbaine, pionnière du secteur avec son association d’agriculture de proximité et pédagogique Veni Verdi, qu’elle a montée en 2010, se prête au jeu : « je m’occupais de haricots beurre dans un jardin communautaire. Un gamin est venu vers moi et m’a dit : ‘tiens, je ne savais pas que ça poussait comme ça les frites !’». C’est le déclic : elle accompagnera les enfants pour qu’ils sachent que les frites poussent dans la terre et les artichauts dans l’air. 15 ans plus tard, Veni Verdi réunit 17 salariés, 900 bénévoles, 7000 enfants et adultes autour des 14 000 m2 exploités pour 4,4 tonnes de récoltes.
Si cette histoire a été usée jusqu’à la corde, c’est qu’elle est symbolique de ce que l’agriculture urbaine propose de faire dans ces territoires éloignés de la culture des terres et autres affaires de la nature : de la pédagogie. Faire comprendre pour se soucier – des paysans, de leurs conditions de travail, de la provenance des aliments, des saisonnalités… – et pourquoi pas, créer quelques vocations.
Des enjeux stratégiques cruciaux
Nous sommes dans une période de transition, pose Xavier Fourt, artiste-designer du duo Bureau d’études, venu apporter un éclairage géopolitique et historique. En l’espace de 30 ans, le nombre d’agriculteurs a été divisé par deux. Parmi ceux qui restent, la moitié devrait partir à la retraite d’ici 2030. Qui pour les remplacer ?
L’enjeu est multiple. D’abord, celui du type d’agriculture. « Les études montrent que l’efficacité de l’agriculture mécano-chimique est très faible par rapport à l’agriculture paysanne », rappelle l’artiste, auteur et coordinateur, au côté de Léonore Bonaccini et d’Ewen Chardronnet (artiste et rédacteur en chef de Makery), du livre-journal La Planète Laboratoire, sur les Paysans planétaires. « L’agriculture paysanne produit 70 à 75 % de la nourriture consommée mondiale sur un quart des terres cultivées, alors que l’agriculture industrielle en produit de 25 à 30 % sur trois quarts des terres cultivées », rappelle ainsi l’économiste Hélène Torjdman, autrice de La croissance verte contre la nature. Critique de l’écologie marchande (La Découverte, 2021).
De son côté, l’agriculture paysanne est très consommatrice de main-d’œuvre. Or, si en 2023, le collectif Nourrir a lancé la manifeste « 1 million de paysans » pour former et accompagner 1 million de paysans d’ici 2050, la tâche n’est pas simple.
Car le deuxième enjeu de taille guette : celui du foncier. S’installer dans une activité agricole est dur et les exploitations sont de plus en plus chères : de 280 130 euros en moyenne en 2010 à 569 020 euros en 2022, selon Le Monde. Des associations comme Terre de liens s’affairent à aider les nouveaux agriculteurs à trouver des parcelles. Mais ce sont des groupes industriels – pas toujours français – qui remportent la part belle du gâteau agricole en rachetant les terres à des prix inaccessibles pour des particuliers, comme le démontre la journaliste Lucile Leclair, dans son livre Hold-up sur la terre (Seuil, 2022). Ce dilemme est un immense « chantier pour le futur », estime Xavier Fourt – sous peine d’entrer dans une dynamique de « néo-servage ». Une situation d’autant plus tendue que la majorité des villes françaises ont une autonomie alimentaire très faible : 5 à 7 jours pour Paris, 0,5 jour pour Nice.
C’est dans ce contexte hautement stratégique et pressant que l’agriculture urbaine prend racine. « Il ne s’agit pas tant de relocalisation, il s’agit de reconnexion, estime Michel, paysan du bocage Bourbonnais, qui partage la tribune avec Bureau d’étude. Les enfants d’agriculteurs ne veulent plus faire le métier de leurs parents. Il faut trouver les nouveaux paysans au-delà de nos communautés. » On appelle ces néo-paysans les NIMA, pour Non Issu du Milieu Agricole. Pour les recruter, encore faut-il « renouer des synergies entre les périphéries et la ville et recréer des vocations ».
Sur le terrain, un secteur dynamique
Créer des vocations, les agriculteurs urbains s’y attèlent. A travers le programme Parisculteurs, la Ville de Paris aide les agriculteurs urbains à trouver des espaces à « ennourricer ». En 10 ans, la métropole a accompagné 80 projets, soit 24 hectares, portant la surface d’agriculture urbaine à 37 hectares à Paris sur des toits, des murs, dans des sous-sols et en pleine terre. La tendance prend partout sur le territoire : le festival des 48 heures de l’agriculture urbaine regroupe une centaine d’associations et collectivités dans une quarantaine de villes en France mais aussi en Belgique, en Suisse, au Luxembourg et même en République Tchèque.
Sur les centaines de mètres de la petite ceinture habités par le Jardin des Traverses, espace d’agriculture urbaine et de rencontres, public et paysans urbains sont aussi nombreux que multigénérationnels. A l’heure de célébrer ce double anniversaire, l’humeur est à la fête : l’agriculture urbaine se développe et tient ses promesses. Celle de lien social d’abord. Lors d’une table ronde qui réunit des bénévoles de différents jardins partagés, Seb, enfant d’ouvrier agricole et ancien travailleur de l’industrie de la musique en cours de reconversion dans le milieu de l’agriculture urbaine, se réjouit de la force de ces jardins à « rassembler des gens de générations différentes, de parcours différents, rassemblés autour d’un même engagement ». « Une forme de résistance », dit-il. Une résistance dans l’espoir, prône Zahra, cadre dans une grande entreprise et qui s’est reconstruite dans une période difficile de sa vie « en touchant la terre ». « Ce qu’on ne peut pas faire à grande échelle, on peut le faire dans notre quartier. On n’aura peut-être pas l’autonomie alimentaire, mais on aura tissé du lien. C’est déjà bien. »
La production de ces fermes n’a pas vocation à nourrir la ville, ni même à être une manne financière majeure – certaines d’entre elles donnent d’ailleurs leur production à des associations comme le Secours Populaire ou La Chorba. Mais en éduquant les populations urbaines « au bien manger et aux métiers verts », elles agissent comme marchepied vers les métiers agricoles, défend Marie Fiers, coordinatrice de l’Association française de l’agriculture urbaine professionnelle, lancée il y a 10 ans. Ainsi, la Ferme de Paris, ferme de 5 hectares gérée par la ville de Paris et ouverte au public depuis 1989, s’associe à l’école d’horticulture Du Breuil pour organiser des chantiers participatifs de permaculture et dans ses vergers. Pour parachever le lien entre agriculture urbaine et projets d’agroécologie, la Ferme de Paris, en partenariat avec la coopérative Les Champs des Possibles, couveuse d’activité agricole, permet à des maraîchers de tester leurs activités sur leurs 5800m2 de parcelles avant de s’installer en périurbain ou dans les territoires ruraux. En ce moment, Héloïse Claudé et Audrey Zandona mettent à l’épreuve leurs projets de maraichage.
Manifeste pour le futur
L’agriculture urbaine continue de se consolider. « C’est un secteur qui dépend beaucoup des subventions, or on sait qu’elles sont en baisse. Mais c’est aussi un secteur qui a l’habitude de faire beaucoup avec très peu. Nous sommes résilients malgré les difficultés », reste optimiste Marie Fiers. Pour elle, il s’agit désormais de « pérenniser les lieux qui existent. On finance beaucoup l’installation mais beaucoup moins le fonctionnement ». Pour quantifier et suivre les évolutions de l’agriculture urbaines, les acteurs du secteur, dont l’AFAUP, ont mis en place l’observatoire de l’agriculture urbaine. En trois ans, l’organisation a recensé 4153 lieux à travers le territoire et collecte des données (types d’agricultures, zonages PLU, statuts juridiques, financements…).
Ce samedi 17 mai, au Jardin des Traverses, Nadine Lahoud et Romain Guitet, de l’Afaup, présentait leur manifeste « Un quartier, une ferme », 10 mesures à destination des élus et des candidats aux élections municipales de 2026. Parmi celles-ci : nommer un élu chargé de mission d’agriculture urbaine, assurer un espace nourricier à chaque citoyen à moins de 15 minutes de son domicile ou encore installer des fermes municipales pour approvisionner la restauration collective. De quoi démocratiser un peu plus ces espaces, et accélérer la transition alimentaire. Pas avare en punchline, Nadine Lahoud conclut : « on nous dit de prendre notre mal en patience, et si on prenait notre bien en urgence ? ».