Makery

Palais de la mémoire, laser show, radio fantôme… : que fabriquent les PIFcampeurs ? (2/2)

Les Pif Campeurs se remuent les méninges. © Simão Bessa

Mais que font 65 hackers, makers, artistes, musiciens et autres techno-explorateurs au milieu des montagnes slovènes ? Makery fait les présentations.

Pour comprendre PIFcamp, il faut connaître les PIFcampeurs. Le camp d’été pour hackers, makers, artistes et techno-explorateurs, niché au cœur des montagnes slovènes et qui se tenait cette année du 31 juillet au 6 aout, assume une joyeuse anarchie. Mis à part quelques règles de bonne conduite, ce sont les participants qui font la programmation en proposant workshops, projets solo ou communs, show et jams. Makery s’est lancé le défi de vous en présenter la plupart. Trombinoscope, partie 2.

Theun Karelse : le palais de la mémoire IRL

Theun Karelsa à son atelier pour ressentir la voix de l’animal. © Simão Bessa

« Je m’intéresse à comment la tech influence la nature », se présente Theun Karelse. Il est ici bien tombé et en profite pour développer deux projets. D’abord, un appareil qui vibre sur les fréquences des cris d’animaux (baleine, abeille, tigre…) que l’on place sur son organe vocal pour tenter de « sentir ce que cela fait de ressentir la voix de l’animal ». Ensuite, une expérience sur la façon dont les peuples indigènes intègrent leurs savoirs dans l’environnement. « Des savoirs ont été conservés ainsi pendant 8000 ans, explique-t-il. Un des exemples célèbres est une chanson aborigène qui décrit un chemin : lorsque vous marchez, vous passez à travers un inventaire des savoirs. » Un palais de la mémoire physique, et qui donc « existe pour tout le monde ». Dans cette formidable vallée de Soča, l’occasion pour lui de construire son propre palais.

Vivian Hernandez et David Unland : eau politique/poétique

David Unland et Vivian Hernandez réinventent la roue. © Simão Bessa

Et si la star du PIFcamp, la froide et hypnotisante rivière Soča, pouvait produire de l’énergie ? C’est le pari de Vivian Hernandez et David Unland, tous deux diplômés en arts numériques de l’Université d’Art de Bremen, en Allemagne. La première, colombienne d’origine, est intéressée par l’eau et en particulier les barrages dans une approche féministe et décoloniale – elle donnera en outre un « walkshop » autour de l’eau au splendide lac de Krn -, tandis que le second s’intéresse à la transformation de la nature et des paysages en signal sensoriel. Toute la semaine, ils ont ainsi créé un moulin à eau pour générer de l’électricité qu’ils pourront ensuite sonifier. « J’aime la simplicité de ce projet », conclut David Unland.

Miha Godec, Žiga Pavlovič et Gabriela Filipović : capturer l’eau 

Žiga Pavlovič essaie une version VR de son modèle 3D des gorges de Soča. © Simão Bessa

Eau toujours, avec Miha, Ziga et Gabriela. L’équipe a capturé par drone les gorges de Soča pour les modéliser en 3D via la technique de photogrammétrie. « L’idée était de prendre un élément de la nature pour le digitaliser », explique l’artiste média Miha Godec. En parallèle, il développe une installation sonore faite de « carafes glouglou » imprimées en 3D, en vue d’Ars Electronica. « L’eau qui bouge de manière rapide produit un son similaire au bruit blanc, présente-t-il. Ce son a des propriétés apaisantes car il annule toutes les autres fréquences. »

Bernhard Rasinger : l’énergie du camp

Bernhard Rasinger règle son poste électrique. © Simão Bessa

Bernhard connaît les lieux et les lieux connaissent Bernhard : c’est la sixième fois – sur huit éditions – qu’il se rend à PIFcamp. Il faut dire qu’il a gagné son entrée à vie : il a fabriqué le poste qui distribue l’électricité aux différents postes du camp. Avant son installation, l’électricité était distribuée par un seul canal. « Lorsque que quelqu’un faisait chauffer son café, ça pouvait tout faire sauter », raconte-t-il. Désormais, trois canaux alimentent le camp.

Cette année, il travaille sur sa dernière itération : un compteur pour quantifier la consommation d’électricité des PIFcampeurs et favoriser une prise de conscience. Il a aussi livré un show laser synesthésique et hypnotisant, à partir d’un oscillateur analogue. Un conseil d’initié ? « Se jeter à l’eau, littéralement et métaphoriquement ». Vu la température de la rivière, on préfère la métaphore.

Vaclav Peloušek : réhabilitateur d’autotune

Vaclav Peloušek et son micro autotune. © Simão Bessa

« Je veux vous montrer que l’autotune peut être vraiment cool, pas seulement génante », présente à l’assemblée Vaclav Peloušek. Designer de synthés dans l’entreprise qu’il a co-fondé, Bastl Instrument, et chanteur et compositeur sous le nom de scène Toyota Vangalis, Vaclav Peloušek est un habitué des lieux. « Je n’ai raté que la première édition », dit-il. Depuis 2019, il développe son appareil autotune, un micro génial et hyper personnalisé grâce auquel il peut moduler sa voix selon différentes combinaisons qu’il active par ses doigts, « comme une trompette ». « L’autotune a été libérateur pour moi et m’a permis de finir mes projets », plaide-t-il.  Cette année, il a ajouté un oscillateur qui lui permet de contrôler les modulations via ses mouvements de micro et une fonction pour doubler sa voix. Un projet coup de cœur, servi avec talent par Toyota Vangalis.

Simon Turnšek, Jakob Grčman et Vaclav Peloušek : le huitième sens

Simon Turnšek travaille sur le prototype d’OctoSens. © Simão Bessa

Démarré comme un projet communautaire au sein de Projekt Atol et konS, l’équipe d’OctoSens a pour but assumé d’aboutir à un produit commercialisable. Pour la deuxième année consécutive, Simon et Jakob travaillent sur les itérations de ce synthétiseur – capable de s’intégrer dans un synthétiseur modulaire ou de s’imposer seul, notamment dans le cadre de workshops. L’idée de l’OctoSens est de « donner la possibilité d’introduire le vrai monde via les capteurs » : huit capteurs, comme son nom l’indique, dont les signaux sont transformés en ondes sonores. Grâce aux retours des participants, Simon, Jakob et Vaclav ont pu simplifier leur workshop. « nous avons aussi usé et abusé du photographe », Simão Bessa, plaisante Jakob Grčman. À PIFcamp plus que partout ailleurs, l’union fait la force.

Maggie Kane : l’organisatrice de data 

Maggie Kane présente ses collages. © Simão Bessa

Elle aussi habituée du PIFcamp, la hacker créative et fondatrice de Streetcat Media, que nous avions interviewé l’année dernière, s’intéresse à comment archiver les informations en dehors des plateformes commerciales. « Construire une communauté en ligne est difficile et elle peut s’écrouler aussi vite qu’elle s’est faite », dit-elle, prenant pour exemple MySpace. Pour échapper à la censure, la dictature de l’algoritme et les enjeux de copyrights, Maggie Kane passe à l’analogue. Dans « Fuck Instagram », un workshop très art & craft, elle présente ses tampons, stickers, polaroïds, carnets et autres manières créatives de conserver ses idées. 

Julien Bellanger : radio fantôme

Julien Bellanger et ses cartes Pokémon fantômes. © Simão Bessa

Co-fondateur de PING et chargé de développement chez Radio Jet FM, une radio nantaise pour laquelle il s’intéresse aux créations sonores et audio, Julien Bellanger se promène micro en main pour capter les ambiances sonores qui emplissent le camp – ses captations seront bientôt présentées sur Makery et Radio Jet FM. Julien a également proposé un atelier autour de nos relations aux machines et aux fantômes que l’on y trouve. « A PIFcamp, nous sommes voisins d’un cimetière, donc de centaines de fantômes, remarque-t-il. Cela rappelle aussi l’histoire de la radio, lorsqu’on pensait qu’elle nous permettrait de communiquer avec les morts. » Il invite donc les participants à imaginer leur double fantôme, sa symbolique et ses pouvoirs, sous forme de carte Pokémon. Un atelier pop qui peut révéler beaucoup.

Eva Debevc, Nastja Ambrožič, Jakob Grčman et Simon Gmajner : lichen de l’espace

L’équipe lichen étudie des espèces locales. © Simão Bessa

Pour Adriana Knouf, c’est encore raté. « Cela fait trois ans que je ne peux pas venir à PIFcamp, pour une raison ou pour une autre », dit-elle de l’autre côté de l’écran, diffusée en live depuis sa résidence à Copenhague. Qu’à cela ne tienne, l’artiste américaine a trouvé dans l’équipe de l’institut culturel Kersnikova, de Ljubljana, de formidables proxys. Après avoir voulu partir dans l’espace, porte-drapeau spatiale de la communauté transgenre (nous l’avons interviewé sur ce projet l’année dernière), Adriana Knouf a décidé d’envoyer plutôt des végétaux, en particulier du lichen.

À PIFcamp, l’équipe multidisciplinaire a développé un appareil d’observation qui pourra être installé en pleine nature. « En préparation du camp, je n’ai pas pu trouver de littérature sur le lichen, fait savoir Eva Debevc, jeune biologique et mentor junior Kersnikova Institute. L’une des raisons pour cela est que le lichen grandit vraiment très lentement, parfois un centimètre par an. Le temps est un vrai obstacle. » Grâce à des capteurs environnementaux, un appareil photo et un module cellulaire connecté à un Raspberry Pi, l’équipe reçoit et sauvegarde automatiquement les informations.

Profitant du paysage environnant, les quatre scientifiques DIY sont allés à la recherche de lichen pour les prendre en photos, les reconnaître et les documenter. Une tâche plus difficile qu’il n’y paraît. « Il nous faudra plus de temps pour explorer ce monde », reconnaissent-ils.

Léa Mainguy : expérimentations technologiques

Léa Mainguy à un atelier d’électronique. © Simão Bessa

Diplomée des Beaux Arts de Brest, Léa Mainguy est « totalement nouvelle dans ce genre d’environnement ». Si elle a fait des résidences collectives avant, c’est la première fois qu’elle se retrouve entourée de gens « avec des connaissances solides en tech, coding, des compétences de hackers, de nerds », décrit-elle. L’artiste pluridisciplinaire a profité de cet environnement de partage de connaissances pour enrichir son projet, une installation sonore faite de morceaux de métal ramassés dans sa ville. Elle a aussi fait ses premières expériences de live coding devant un public. « Tout le monde est là pour aider, il n’y a vraiment pas de jugement », se réjouit-elle. L’esprit PIFcamp.

 

Concerto de nature, batterie en patate, robot soûl… plus de PIFcampeurs et de projets dans la partie 2

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PIFcamp fait partie du réseau Feral Labs network et de la coopération Rewilding Cultures co-financée par le programme Europe Créative de l’Union Européenne.