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Fablabs et Manufactures de Proximité, tribune de Simon Laurent, président du Réseau Français des FabLabs

Atelier des Beaux Boulons. CC BY-NC-ND.

Simon Laurent, président du Réseau Français des Fablabs, revient sur la proposition de l’association France Tiers-Lieux d’établir 500 « Manufactures de Proximité » sur le territoire français dans le cadre du plan de relance en cours d’élaboration par le gouvernement. Tribune.

Dans l’édition du Figaro datée du 21 juin dernier, Patrick Levy-Waitz, président de l’association France Tiers-Lieux (FTL), propose au gouvernement la création de 500 « Manufactures de proximité » prioritairement destinées aux petites villes et aux villes moyennes.

Associée au plan de relance que doit proposer le gouvernement en septembre prochain, la création de ces manufactures doit être accompagnée d’un fonds de 250 à 350 millions d’euros. Elles auront pour objectif de réduire la fracture numérique et de développer la transmission, la formation ainsi que l’insertion des décrocheurs scolaires. Ces manufactures seraient gérées par 1000 « manufacturiers » formés à cet effet.

Loin d’être une idée sortie du chapeau, les « manufactures de proximité » existent déjà plus ou moins. Ce sont les fablabs et tiers-lieux écosystémiques équipés d’ateliers de fabrication numérique et traditionnelle. Et c’est très certainement en partie grâce au dynamisme des fablabs en France ces 10 dernières années, grâce à leurs expérimentations et au travail d’analyse et de promotion de leurs réalisations menées par notre association que cette proposition peut se faire jour. Et avec eux tous les acteurs de l’écosystème des « communs ».
Certains des plus anciens dans le milieu des fablabs français feront le rapprochement avec « les micro-usines de quartier » dont les prospectivistes de la fabrication distribuée parlaient déjà en 2010. Plus largement la proposition de FTL rappelle les ambitions portées par les « Fabcities » et les « Fabrégions ». Beaucoup de fablabs en France sont déjà de potentielles unités de micro production et la crise de la Covid-19 a permis de révéler leur capacité d’organisation, leur sérieux et leur résilience.

Si aujourd’hui nous en savons encore peu sur les « manufactures de proximité » en termes de modalités pratiques de mise en œuvre, il est évident qu’elles seront pour les fablabs français une opportunité de développement sans précédent.

Elles permettront d’appuyer plus fortement encore le développement de structures hybrides artisanat/industrie/formation là où le besoin est le plus criant. S’appuyant sur les acquis, l’expertise et les communautés des fablabs, et portant plus avant leur dynamique de développement, les manufactures devront accompagner la relocalisation de la production, la valorisation et la diffusion des compétences des artisans et leur hybridation avec les compétences des makers. Cette hybridation permettra à l’écosystème de l’artisanat et de l’innovation d’être plus robuste pour affronter les enjeux économiques, écologiques et humains du XXIe siècle.

C’est pourquoi dès le 22 juin, nous avons proposé au président de FTL que le Réseau Français des Fablabs (RFFLabs) soit associé au travaux prospectifs sur la mise en place de ces fameuses manufactures.

Gouvernance, gestion, financement, formation, communs… Les modèles de déploiement des manufactures doivent être questionnés au regard du patrimoine informationnel partagé développé dans les fablabs et les tiers-lieux. Nous serons particulièrement vigilants à ce que ce déploiement se fasse en s’appuyant sur les acquis et l’expertise des lieux existants et en accord avec les écosystèmes locaux. Le soutien public à ce développement ne pourra être fait au détriment de chantiers tout aussi urgents mais de manière symbiotique, et les opérations financières (achat de machines, concessions de locaux) devront se dérouler en toute transparence et équité.

Nous accorderons une attention toute particulière à ce que ce beau projet ne donne pas lieu aux effets d’aubaine pour des acteurs qui profiteraient du caractère inédit de ce type d’opération pour faire valoir une expertise monnayable et bâtir une position de monopole indue.

Nous le savons, la mise en place d’une franchise à l’échelle nationale n’assurera pas la réussite de l’installation de ces quelques 500 structures, comme en témoignent en France et à l’étranger les différentes tentatives de développement bâties sur ce modèle. Les nouvelles technologies nous offrent l’opportunité inédite d’élaborer des modèles d’organisations originaux, basés sur la coopération et l’articulation agile de multiples acteurs décentralisés. Ces modèles distribués biomimétiques, sont des facteurs de réussite, de résistance et de résilience, comme l’ont démontré de nombreux chercheurs.

Interrogés à ce propos, j’ai réaffirmé la nécessité pour le dispositif en cours de création de s’appuyer sur l’expertise collective, l’expérience commune et les acteurs des territoires. La mise en œuvre de cette initiative doit être l’occasion d’expérimenter de nouvelles formes de gestion déjà à l’œuvre à diverses échelles, une gestion « en communs » qui permettra de bénéficier de la force, de la capacité de réaction et de la résilience dont les réseaux de makers ont su faire la preuve lors de la crise sanitaire. Une organisation ni pyramidale, ni propriétaire, mais en « libre et open-source » basée sur les principes du partage, de l’ouverture, de la réciprocité et de la transparence. Si la promotion de ces manufactures de proximité doit accompagner la longue marche de notre société vers la décentralisation, il serait contreproductif et mortifère de les placer dès leur conception sous le signe de la concentration financière et économique.

Seule l’attention à l’application stricte de ces modes d’organisation innovants nous permettra de profiter collectivement des bénéfices de ces manufactures, et d’en faire des moteurs, des accélérateurs de transition portés par et pour les territoires. Il faudra systématiquement questionner le terrain pour créer des synergies, des alliances locales, des complémentarités.
En tant que partenaire de FTL et membre du Conseil National des Tiers-Lieux, le RFFLabs sera présent pour contribuer à la hauteur de ses ressources dans un esprit ouvert et bienveillant. Plus largement ce sont tous les acteurs des « communs », de l’économie sociale et solidaire et du mouvement coopératif qui doivent être associés à ce projet.

Retrouvez le Réseau Français des Fablabs et France Tiers-Lieux.