Makery

Minimal Universal Respirator, un respirateur médical en ingénierie frugale

Version 0 du contrôleur physique du M.U.R. © Quentin Chevrier

Depuis le 16 mars, un collectif citoyen composé de designers, médecins, responsables associatifs, personnel humanitaire et scientifiques s’est attelé à la création d’un dispositif de respiration artificielle d’urgence, peu onéreux et facilement reproductible. Makery s’est entretenu avec l’équipe à plusieurs moments du confinement.

A la fin mars, Makery reçoit un message du médialab thr34d5.org demandant si nous faisons quelque chose des servomoteurs que nous avons en stock à notre bureau fermé depuis déjà deux semaines. Un projet de respirateur open source et à bas coût en aurait besoin pour faire des tests. Nous sommes mis en relation avec Antoine Berr, designer du Club Sandwich Studio qui porte le projet. Le 28 mars, attestation en main, un rendez-vous est fixé et quelques servos sont transmis à l’équipe du projet M.U.R., Minimal Universal Respirator.

L’équipe du Club Sandwich Studio (de gauche à droite) : Simon Juif, Paul Couderc, Antoine Berr, Arthur Siau. © Quentin Chevrier

« Veille en crise dégradée »

Nous voulons en savoir plus, mais les designers ont la tête dans le guidon. En faisant quelques recherches nous comprenons qu’Antoine Berr est un designer passé par le département interfaces homme-machine de l’ENSCI – Les Ateliers et qu’après des aventures aux quatre coins du monde avec son projet La Cool Co il a cofondé l’an dernier le Club Sandwich Studio avec Paul Couderc, Arthur Siau, et Simon Juif. Antoine nous réoriente vers Solène Touzeau, qui s’occupe désormais de leur communication et qui est, comme lui, membre d’Objectif Sciences International, une ONG qui mène des actions de médiation scientifique, d’éducation populaire et de science participative et qui s’est d’emblée associée au projet. Un rendez-vous téléphonique est fixé début avril. Solène nous explique qu’Antoine est assez actif avec Objectif Sciences International et que c’est assez naturellement que l’ONG le soutient. A l’occasion de l’entretien elle nous présente également Jean Karinthi, de L’Hermitage, un grand tiers-lieu d’innovations rurales et citoyennes situé sur un domaine agricole dans l’Oise et qui soutient le projet M.U.R. Elle explique également qu’une autre importante ONG humanitaire, ACTED, a décidé de rejoindre le collectif M.U.R. Elle imagine notamment qu’à terme « les respirateurs M.U.R. pourraient être développés sur les sites d’interventions d’ACTED, comme par exemple dans leur 3Zero House de Manille », un incubateur de projets collaboratifs et solidaires qui s’appuie sur la collaboration franco-philippine pour favoriser les transformations locales. 3Zero vaut pour zéro exclusion, zéro carbone, zéro pauvreté.

Jean Karinthi ajoute : « C’est une ONG qui est vraiment très implantée dans beaucoup de pays sur des questions de crise. Ils gèrent des camps de réfugiés et estiment qu’il y a aujourd’hui 100 millions de bénéficiaires potentiels qui seraient concernés dans des pays où il y a zéro respirateur. Dans les camps de réfugiés en Jordanie vous n’avez pas de respirateur artificiel. Au Mali, il n’y a qu’un seul respirateur pour tout le pays. Le souhait d’Antoine était donc de donner à ce projet une dimension non profit, open source, low tech, low cost et universelle. Parce qu’on sait que cette crise ne s’arrête pas aux frontières de Paris, du pays ou de l’Europe et qu’elle pourrait être beaucoup plus aiguë et dégradée pour des pays en développement. »

Solène explique que le projet suscite l’intérêt de nombreuses personnes : « Via le site Internet du M.U.R., plusieurs personnes de différents hôpitaux en France commencent à entrer en contact avec nous et sont intéressées pour récupérer les plans et tenter de monter des prototypes aussi de leur côté pour essayer de les développer. » Plusieurs médecins et scientifiques souhaitent apporter leur contribution au projet, de Clermont-Ferrand, de Nantes, de Tours, de Grenoble. «  L’AP-HP accueille déjà M.U.R. pour faire des tests. Elle suit de très près toutes les initiatives, quelles qu’elles soient d’ailleurs, qu’elles émergent des entreprises ou des consortiums, Renault, Seb, Air Liquide, etc., ou des mobilisations citoyennes. C’est de la veille en crise dégradée. Le plus grand banc de test de respirateurs artificiels de l’AP-HP est à l’hôpital Henri Mondor, à Créteil. Tous les respirateurs en test sont là-bas. » explique Jean Karinthi. L’équipe M.U.R. teste et documente également leurs travaux dans leurs locaux. « Dans le labo, il y a des respirateurs qui sont mis en fonctionnement non-stop depuis plusieurs jours. Hier, on en était à un qui avait fonctionné plus de 48 heures non-stop sans que rien ne lâche, sans aucune anomalie et avec des courbes toujours stabilisées. » raconte Solène à propos de ces débuts prometteurs. « Tout est filmé et enregistré pour avoir un appui, afin de pouvoir dire ‘regardez, nos machines fonctionnent et c’est du solide’. Le message qu’on veut faire passer, c’est que, certes, c’est fait par des makers, certes, c’est un projet citoyen, mais derrière c’est un projet fiable. Et pour tout dire, on est même soutenus par le CNES maintenant », ajoute-elle.

Simon Juif en train de programmer le microcontrôleur du M.U.R. En premier plan le poumon de simulation prêté par l’AP-HP – IGR de Villejuif © Quentin Chevrier
L’équipe du Club Sandwich en train de faire des essai sur des capteurs de débit d’air automobiles © Quentin Chevrier
Recherches sur l’interface homme-machine pour la version 1 du M.U.R. © Quentin Chevrier
Vue du traceur série d’Arduino montrant la courbe de pression du M.U.R. © Quentin Chevrier

Un mois plus tard

Nous sommes début avril et on ne voit pas encore le pic de l’épidémie au moment où nous avons cette conversation à chaud. Les makers sont extrêmement mobilisés pour produire des visières anti-projections et Makery, qui doit également consolider son avenir, ne sait plus où donner de la tête. Un mois a déjà passé lorsque nous reprenons contact avec Antoine Berr pour une visite photographique.

D’emblée, Antoine confie humblement que ce qu’ils font là, « c’est rien de plus de ce que nous avons toujours fait : faire des trucs, les montrer, les partager. » Il raconte également que son expérience avec la Cool Co où ils installaient des boites de captation IoT dans des champs de cacao en Côte d’Ivoire sans internet ou électricité stables lui a en quelque sorte inspiré la philosophie du projet. « Notre objectif est d’avoir un dispositif extrêmement robuste et fiable, tout terrain, pour pouvoir l’utiliser en brousse. » Il donne un exemple révélateur des principes de l’ingénierie frugale qui guident leur action : « On a une expérience de Jugaad, en Afrique et ailleurs. Par exemple, une des problématiques du respirateur c’est la mesure du débit, de pouvoir extrapoler un volume injecté, et comme on veut rester low tech, on n’a pas choisi de prendre des capteurs industriels qui coûtent chers et qui ne sont pas forcément disponibles partout. On est revenu à une idée qui consiste à hacker un capteur de débit d’air qu’on trouve pratiquement dans toutes les voitures. Ce dispositif se trouve à partir de 5 euros et cela donne des courbes incroyablement précises et stables. Cela a avantage de se trouver sur n’importe quel territoire car à peu près toutes les voitures en ont. Et sachant qu’un capteur de pression différentielle NXP coûte déjà plusieurs dizaines d’euros le choix nous semblait évident. »

Depuis l’échange que nous avons eu avec l’équipe début avril, une équipe d’ingénieurs de Grenoble les a rejoint pour travailler sur la régulation PID (pour proportionnel, intégral, dérivé), l’automatisation pour s’assurer que le dispositif effectue bien la commande qu’on lui a demandé. « Le régulateur PID permet d’améliorer les performances d’un asservissement, c’est-à-dire un système en boucle fermée. Cela fait que l’appareil est plus à même de comprendre les réactions du patient, s’il tousse, s’il essaye d’inspirer, etc. », explique Antoine.

L’équipe à Grenoble a aussi travaillé sur un système de valves qui réduit les pièces techniques qu’ils doivent prochainement tester. Et de manière générale Antoine indique qu’ils sont beaucoup plus guidés par des médecins que lorsqu’ils ont commencé. « Nous travaillons depuis le départ avec Margot Smirdec, médecin anesthésiste-réanimatrice au CHU de Clermont-Ferrand, mais plus récemment on est entré en contact avec le docteur Marc Pleyber, anesthésiste au CH de Voiron dans l’Isère. Il a aujourd’hui le ‘lead’ médical avec le groupe des ingénieurs de Grenoble. L’intérêt aussi est qu’il a travaillé dans les pays du Sud et a une expérience du terrain d’urgence. C’est aussi pour cela qu’on s’est rencontré, à la fois humainement et sur les objectifs du projet. »

Paul Couderc en train de tester un aspirateur donné par le Groupe SEB comme source d’air pour le M.U.R., avec l’adaptateur conçu par SEB. © Quentin Chevrier
Poumon de simulation prêté par l’AP-HP – IGR de Villejuif. © Quentin Chevrier
Une valve imprimée en 3D pour le respirateur M.U.R. © Quentin Chevrier

Au fil des semaines et de l’émulation

L’équipe du MUR s’est également beaucoup intéressée au projet italien Milano Ventilatore Meccanico (MVM), un projet initié par le physicien Cristiano Galbiati qui a rassemblé un grand nombre de grands scientifiques de la physique nucléaire en Europe, jusqu’à collaborer avec le Canada sous la supervision du Prix Nobel Arthur Mc Donald et les Etats-Unis. « Des chercheurs en matière noire qui conçoivent un respirateur, c’est extraordinaire », commente Antoine.

Au moment où nous discutons, la FDA américaine vient de certifier le MVM comme rentrant dans les critères de l’Emergency Use Authorisation. Antoine précise que leurs objectifs sont un peu différents : « Ils répondent à un manque d’équipement en chambre d’hôpital. Leur respirateur fonctionne avec de l’oxygène d’hôpital distribué en flux continu. On suit aussi de près le projet MakAir, qui eux ont réussi le projet de start up en association avec des industriels pour livrer un projet clé en main, répondant à une pénurie sur le territoire français. L’objectif de M.U.R. est d’avoir un dispositif qui fonctionne là où même il n’y a pas d’électricité stable, là où il n’y a pas un Farnell ou un Lextronic pour te commander tes pièces, et même si une imprimante 3D est trouvable, de toute façon l’image que je peux utiliser, c’est que cela devrait pouvoir être fabriqué avec un tourneur-fraiseur. Nous travaillons aussi sur une valise hermétique, de manière à ce que ce soit facilement transportable et déployable. »

Lorsqu’on demande à Antoine si les choses ont évoluée depuis le début du projet, il répond qu’après deux mois ils n’ont pas dévié de leur objectif humanitaire, mais que la compréhension de la maladie a permit de mieux cerner les objectifs médicaux. « On est parti comme beaucoup, au début de la crise avec le cahier des charges techniques au 16 mars, sur les critères auxquels doit répondre un respirateur de classe équipement médical. C’est ce que MakAir, MVM ou nous avons suivi. Avec les semaines qui ont passé, la compréhension de la maladie Covid-19 amène à changer les diagnostics, et aujourd’hui on s’aperçoit que ce n’est pas qu’une maladie respiratoire mais qu’il s’agit également d’une maladie avec des atteintes vasculaires, que l’intubation n’est pas toujours la solution, que la VNI, la ventilation non-invasive très en amont de la maladie pourrait être une bonne chose, etc. C’est encourageant de voir que MakAir et MVM ont eu la certification. Mais si on imagine que ce n’est peut-être que la première vague ou crise, et que dans certains pays il n’y a absolument pas d’équipements de ce type-là, très vite ils auront un choix à faire : acheter aux industries étrangères ou s’approprier des technologies open source et les produire en local. Ce qu’on veut proposer c’est donc un dispositif avec le moins possible de contraintes techniques pour la production, qui demande beaucoup moins d’apprentissage technique pour le corps médical, mais qui, dans tous les cas, correspond à un respirateur à la capacité et aux fonctions pour la réanimation et l’anesthésie, tout en offrant aussi la possibilité d’être downgrader pour faire de la VNI, ce qui correspond à plus du tiers des besoins en assistance respiratoire. »

Premier essai d’intégration des briques fonctionnelles dans une valise de transport d’urgence Pelican. © MUR Project
Présentation du travail d’itération dans la phase de prototypage des valves. © Quentin Chevrier
Vue de divers éléments utilisés pour la conception : pompe à air, turbine d’habitacle automobile, aspirateur, pièces 3D, capteurs DIY, etc. © Quentin Chevrier
Vue du boitier de contrôle du M.U.R. dans sa version Proof of Concept avec les éléments reliés (poumon, valves, capteurs…) © Quentin Chevrier

Le droit à respirer

L’équipe M.U.R. travaille parallèlement sur un argumentaire médical pour montrer l’intérêt d’un tel dispositif. « Avec les médecins on travaille sur le « droit à respirer » pour appuyer la déontologie et l’approche humanitaire », raconte Antoine. Pour eux, cela s’inscrit dans un esprit d’extension de la loi de 1996 sur le droit de respirer un air pur. « Margot Smridec, qui participe au Collectif inter associatif sur la santé (organisme qui représente les usagers du système de santé, ndlr), doit régulièrement répondre à des inquiétudes, et a voulu soulever cette question en regard de ce que la crise a révélé, la pénurie de matériel. »

Et maintenant, comment voient-ils l’après 11 mai ? « Le projet s’est construit autour d’une équipe de bénévoles et avec le déconfinement, en terme de disponibilité ce ne sera plus comme au départ, nous-même on commence à reprendre le travail. Du coup, on met en place des objectifs de recherche, et avec Objectif Sciences International, on veut aussi créer du savoir et de la pédagogie. On ne veut pas simplement dire qu’on l’a mis en open source, mais que derrière personne ne soit capable de le reproduire. »

En savoir plus sur le projet Minimal Universal Respirator.