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Traincamp, ou pourquoi se rendre en train à Green Culture au Monténégro

Green Culture festival 2014 © Green Culture

Alors qu’artistes et makers se rendent en Europe cet été pour des workshops et des camps, de plus en plus de gens optent pour le train. Makery a échangé avec les organisateurs du Traincamp qui se rend cette semaine en train au festival Green Culture au Monténégro.

Cette semaine, les voyageurs qui se rendent au huitième festival Green Culture au Monténégro peuvent embarquer dans un « Train Camp » organisé par Vesna Sokolovska et Susie Ambrose, en collaboration avec le Turn Club. Parti lundi de Londres, le train a fait escale à Amsterdam ce 4 juin, et passera par Bruxelles, Munich, Vienne, Budapest et Belgrade, en proposant diverses activités et événements sur le trajet, ateliers, discussions et groupes de réflexion, avant d’atteindre le Monténégro samedi 8 juin.

Vesna Sokolovska explique les raisons de ce Train Camp : « L’objectif premier est de réduire les émissions de CO2 de Green Culture, mais depuis le début je développe aussi l’idée de voyager en train pour Green Culture afin de s’engager de manière proactive dans une pause technologique et de promouvoir la lenteur au long du voyage. Il s’agit de favoriser les interactions humaines selon cette vision partagée… Nous sommes la dimension pratique et créative du mouvement no-fly. Pas simplement à titre de protestation, mais surtout afin de prendre conscience de la beauté, de la sérénité et de la qualité des échanges que peuvent offrir les déplacements plus lents. »

Embarquement à Amsterdam @ Green Culture
A bord du Train Camp ce mardi 4 juin 2019 @ Turn Club

Merlijn du Turn Club ajoute : « Quand on m’a demandé de me produire l’année dernière lors du rassemblement Green Culture World, j’avais un programme serré avec d’autres concerts et je me préparais donc à réserver des vols. Puis, d’un coup, j’ai ressenti une confusion émotionnelle et un sentiment de culpabilité. Cela me semblait vraiment ridicule de prendre l’avion pour aller proposer un manifeste artistique contre le changement climatique. J’ai décidé d’annuler ma performance et de changer la façon dont j’organise ma vie. Et pour que cela ait un impact, j’ai créé toute une campagne pour en emmener d’autres avec moi et pour faire en sorte que les voyages en train internationaux soient envisagés. » Un autre participant d’Amsterdam, Peter De Koning de Embassy of the Earth, fera même le chemin du retour à vélo, 3000 km depuis le Monténégro en tractant un chariot avec une batterie.

Au Green Culture en 2017 @ Green Culture

Des artistes et des trains

Ce n’est pas la première fois que des trains sont affrétés pour des objectifs créatifs. On dénombre de nombreuses expériences artistiques en train. De 1971 à 2008, Artrain USA a organisé une exposition itinérante tractée par un moteur vintage Union Pacific et gère toujours un programme à ce jour. Plus récemment, en 2013, l’artiste de renommée internationale Doug Aitken a organisé Station To Station, un voyage en train de 4 000 kilomètres à travers les États-Unis avec des artistes et musiciens de renommée internationale tels que Olafur Eliasson, William Eggleston, Patti Smith et Beck, qui a donné un long métrage et un projet artistique avec 30 films d’artistes de 15 secondes.

En Ukraine en avril dernier, un train artistique a conduit les visiteurs au « GogolFest » de Marioupol. Le Ministre Ukrainien des Infrastructures, Volodymyr Omelyan déclarait à cette occasion « Les gens viendront à la gare de Kyivska pour rendre hommage au grand écrivain ukrainien Mykola Gogol, et se rendront à Marioupol dans un train artistique. Je suis convaincu que ce train artistique voyagera dans toute l’Ukraine, donnant ainsi une unité au pays et le signal que le code pour l’Ukraine est une histoire longue et majestueuse, qui durera des milliers d’années et que rien n’arrêtera ». Marioupol est la ville où l’Armée Russe s’est arrêtée dans sa menace d’invasion de l’Ukraine.

Le GogolFest Art Train (en anglais) :

Juha Huuskonen, directeur de l’Helsinki International Art Program, l’un des programmes de résidence pour artistes le plus important et le mieux doté en Europe, a récemment écrit son « voyage lent » entre Helsinki et Venise et un certain nombre d’artistes bloguent de plus en plus sur leurs longs voyages vers des résidences HIAP. En Finlande également, le train longue distance qui emmène les participants à Bio-Arctica devient une expérience sociable de voyage lent. Au Royaume-Uni, le Guardian a récemment publié cet article sur le no-fly movement, tandis que The Man in Seat 61 est devenu un site Web populaire et polyvalent pour la négociation des itinéraires transeuropéens. Alors que les partis écologistes ont acquis plus de poids lors des dernières élections européennes et que les vols courte distance sont de plus en plus contestés, la recherche d’alternatives à l’avion alimente de nombreuses discussions.

No-fly

En 2010, l’organisation d’arts numériques britannique Furtherfield décidait de mettre en pratique le manifeste RAF (Reduce Arts Flights, réduire les vols pour l’art) de Gustav Metzger et organisait un voyage en train de Londres à Istanbul en passant par Ars Electronica à Linz, bloguant sur le chemin et s’engageant à ne pas prendre d’avion pour des raisons artistiques pendant un an. J’avais accompagné Furtherfield lors de cette randonnée pour prendre part à l’« Interdependence Day » à Istanbul, bien que je dois admettre que j’avais pris l’avion pour rentrer.

Neuf ans plus tard, et suite au rapport « Réchauffement climatique de 1,5°C » du GIEC alertant sur l’urgence climatique à venir, plusieurs campagnes ont vu le jour en faveur d’engagements à ne pas prendre l’avion, dont une initiée par des climatologues (qui se rendent régulièrement à de nombreuses conférences internationales) appelée No Fly Climate Sci. Mais cette question ne suscite pas l’unanimité. Dans un article récent publié sur Medium, il a été avancé que l’aviation ne représentait que 3% des émissions de carbone (chiffre souvent cité par l’industrie de l’aviation) et qu’il serait peut-être préférable de développer des stratégies aéronautiques plus propres telles que les avions électriques. L’article soutient que la mobilité des personnes dans les pays du Sud global repose sur le vol en avion et que le mouvement no-fly peut être considéré comme une activité de privilégiés de l’hémisphère nord. Cependant, l’Aviation Environment Federation britannique conteste le chiffre de 3%, estimant que « les émissions des avions sont plus nocives que celles émises par d’autres sources. En effet, les gaz à effet de serre autres que le CO2 émis par les avions ont essentiellement un impact dans la haute atmosphère. »

Un train pour les Balkans

Pourquoi Traincamp se rend dans les Balkans ? Sokolovska argumente que « Le Train Camp Green Culture constitue le premier pas vers la sensibilisation au voyage en train dans la région des Balkans où le voyage en avion est perçu comme une forme de luxe que les gens adoptent pour affirmer un style de vie. Notre objectif est de changer cette perception et de donner au voyage en train une touche plus audacieuse, d’en faire une expérience attrayante de type « Orient Express », qui ramènera l’enthousiasme du voyage exotique dans des contrées lointaines… tout en rencontrant et en échangeant des idées avec une communauté diversifiée de voyageurs aux vues similaires. »

Atelier dans une Treehouse du festival Green Culture @ Green Culture
Atelier permaculture au Green Culture festival @ Green Culture
Au bout du voyage du Train Camp, les soirées du festival Green Culture @ Green Culture

Il y a également des raisons politiques au rassemblement Green Culture au Monténégro. « L’une des conditions pour permettre au Monténégro d’entamer un processus d’adhésion à l’UE a été l’ouverture de négociations en décembre 2018 sur le chapitre 27 qui traite de l’adaptation au changement climatique. C’est l’un des principaux facteurs qui a amené le Monténégro à se pencher sur ces questions brûlantes et urgentes auxquels nous sommes confrontés en tant qu’humanité. A Green Culture, d’autre part, nous travaillons sans relâche pour démontrer la nécessité de relier différents secteurs et de faire front commun pour obtenir des résultats tangibles et trouver des solutions concrètes qui nous permettrons de faire face au plus grand défi auquel notre civilisation est confrontée. Nous sommes conscients du pouvoir et de l’importante résonance que peut avoir le secteur de la création. C’est l’un des secteurs les plus influents de la société qui peut amplifier, sensibiliser, faire passer le mot et convaincre les gens de s’engager ensemble pour une action mondiale significative. »

Rob La Frenais anime le groupe Facebook « Future of Transportation ».

Plus d’informations sur le Train Camp de Green Culture.