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Stig A. Nielsen: «utiliser les ressources énergétiques locales avec élégance»

© Kiteborne

Les approches inhabituelles de l’artiste, architecte et maker danois Stig Anton Nielsen et son intérêt pour les systèmes d’énergie hors réseau le mènent aujourd’hui à lancer Kiteborne, une entreprise d’éoliennes aéroportées.

Lors de la COP 24 en Pologne en décembre dernier, plusieurs importants événements parallèles défendaient le droit des citoyens à produire leur électricité eux-mêmes. L’organisation Energy Cities déclarait alors : « La production énergétique communautaire en Europe a un potentiel énorme. Une étude récente a révélé que la moitié des citoyens de l’UE – y compris les communautés locales, les écoles et les hôpitaux – pourraient produire leur propre électricité renouvelable d’ici 2050, ce qui couvrirait 45% de leur demande en énergie. » Et Energy Cities relevait « l’amélioration de la législation européenne qui donne aujourd’hui aux communautés et aux individus le droit de générer, stocker, consommer et vendre leur propre énergie ».

Comment les artistes et les inventeurs répondent-ils à ce défi ? Je me suis récemment entretenu avec l’artiste et inventeur danois Stig Anton Nielsen dans son atelier-hangar à bateaux dans le port de Copenhague et lui ai demandé comment ses recherches sur la robotique autonome et la construction de bateaux l’avaient conduit à la création d’une nouvelle start-up d’éolienne aéroportée, “Kiteborne”, pour la production d’électricité.

A gauche, Stig Anton Nielsen

Stig Anton Nielsen explique l’émergence de son intérêt pour les éoliennes aéroportées :

« Mes recherches portent depuis longtemps sur les capteurs, leur application dans l’environnement construit et l’utilisation de l’apprentissage automatique pour produire du sens à partir des données de capteurs. Cela mène naturellement à la robotique, au-delà de mon intérêt de longue date pour la construction de machines de toutes sortes. Un autre intérêt dans ma vie a été la voile et le surf, et j’essayais déjà de savoir comment surfer sur des skis ou sur une planche tracté par des cerfs-volants avant qu’il n’existe quoi que ce soit du nom de kitesurf. Les deux intérêts se combinent naturellement bien dans un système utilisant l’énergie des cerfs-volants. »

Maker et artiste

Lorsqu’on lui demande s’il existe une philosophie sous-jacente à son travail, il explique : « J’aime construire des planeurs et j’aime naviguer à la voile, car les deux systèmes utilisent les ressources énergétiques locales avec élégance. Bien que simples, ils consistent en une interaction complexe entre des éléments en mouvement… mais, en réalité, il s’agit de solutions intelligentes en interaction, où chaque élément sert plus qu’une seule fonction. La quille dans un bateau sert à la fois de lest mais aussi de foil, cela crée la poussée vers l’avant en même temps que la voile. De nombreuses personnes ignorent les interactions entre les choses, ils observent le monde des choses et oublient leurs interrelations. »

Nielsen a fait partie du groupe de recherche REAL (Robotics, Evolution and Art Lab) de l’Université de Copenhague, dirigé conjointement par l’artiste Laura Beloff, et qui a pour vision « de faire de la recherche à la frontière entre la fiction et le fait, de créer de nouvelles scénarios pour la société de demain. » L’un de leurs projets, Flora Robotica, était « un système combiné de robots et de plantes qui interagissent et s’occupent les uns des autres… L’idée est de créer des synergies dans une société robots-plantes, en créant par exemple une extension mutuelle des capacités sensorielles mais également la croissance coordonnée en des formes désirées. » A propos du laboratoire REAL, Nielsen déclare : « Mon travail avec Flora Robotica consistait à concevoir une machine à tresser modulaire. C’est ce que vous voyez dans ces images. La modularité la rend très polyvalente, capable d’imprimer de nombreux types de tresses avec des bifurcations et des épissures tressées. La machine pourrait également imprimer des tiges de fibre de verre semi-rigides produisant des structures plutôt intéressantes. »

© flora robotica
© flora robotica
© Stig Anton Nielsen
© Stig Anton Nielsen

Prototypage rapide de kayaks

En collaboration avec Eric Berger, le directeur de la Bioart Society, et Laura Beloff, Nielsen a mis au point une méthode de prototypage rapide de kayaks, qu’ils ont démontrée lors d’un atelier en 2018. J’ai rencontré Berger peu de temps après l’atelier et il était très enthousiaste à l’idée de kayaks produits en un week-end et à usage immédiat. «Nous avons repris la tradition des kayaks « skin-on-frame » tels qu’ils les construisent au Groenland. Seulement cette fois, nous avons simplifié la conception pour pouvoir les construire en un week-end. »

© Stig Anton Nielsen
© Stig Anton Nielsen
© Stig Anton Nielsen
Stig Anton Nielsen

Avec son nouveau projet Kiteborne, Nielsen rejoint un large éventail d’artistes / inventeurs qui tentent de trouver des moyens inhabituels de contourner les combustibles fossiles, afin de sensibiliser le public à la question des urgences climatiques à travers l’art. On peut ainsi citer le projet Little Sun d’Olafur Elliasson, ou encore le mouvement Aerocene de Tomás Saraceno (dont on vous a déjà parlé) et qui utilise des méthodes sans combustibles fossiles pour atteindre les hautes altitudes, et possiblement l’espace, mettant en question la pollution atmosphérique causée par les lancements de fusées.

Des éoliennes aéroportées pour l’Afrique

Pour prouver l’intérêt de Kiteborne, Stig Anton Nielsen explique la situation énergétique en Afrique, et imagine la possibilité de « leapfrogging » (saut technologique viable) avec la distribution de ces éoliennes aéroportées. « En ce qui concerne les technologies liées aux infrastructures, le « leapfrogging » le plus pertinent en Afrique serait un approvisionnement en énergie distribuée. C’est une bonne solution pour plusieurs raisons, l’une d’entre elles étant les économies réalisées en évitant la construction d’infrastructures électriques lourdes. À Kiteborne, nous imaginons un système éolien aéroporté qui serait capable, grâce à des micro-réseaux, de couvrir les besoins énergétiques de base beaucoup plus rapidement qu’avec la construction d’une infrastructure classique d’électricité. Les systèmes d’énergie Kiteborne pourraient alimenter les villages locaux presque partout car ils sont très faciles à transporter et peuvent être installés sans utiliser de grues. Le coût des systèmes est également bien inférieur à celui d’éoliennes équivalentes, mais nous devons encore améliorer la durabilité et la robustesse. »

En quoi le système Kiteborne diffère-t-il des systèmes d’alimentation Makani à grande échelle ? « Là où Makani utilise l’ascension du cerf-volant pour transporter des génératrices connectées à une attache conductrice, Kiteborne est d’une construction plus simple. » La majeure partie de l’énergie d’une éolienne provient des derniers 10 à 15% du bout de l’aile. Kiteborne ne construit que cet embout et contrôle son vol à l’aide de capteurs et de microprocesseurs. Encordée, le bout de l’aile volante entraîne un générateur basé au sol pour produire de l’énergie électrique. « Cela réduit les coûts de construction et d’entretien, mais l’architecture requiert également certaines conditions locales de vent, heureusement des conditions que l’on retrouve dans le climat continental côtier. » Cela pourrait rendre le système énergétique Kiteborne hautement efficace pour produire une énergie renouvelable, car la réduction de l’utilisation de matériau réduit le coût de construction initial et fait progresser le point de rupture consommation/production de manière significative. Nielsen raconte que son invention unique utilise un système à trois points, avec poulie à entraînement autonome et alimenté par le mouvement réel du cerf-volant, qui diffère du système utilisé par Makani ou Enerkite, qui utilise le principe du yo-yo inversé.

La technologie Kiteborne sera expérimentée au Kenya et cherche à s’inscrire sur les traces d’initiatives similaires, comme Solar Aid, qui visent à atteindre l’objectif 7 du développement durable de l’ONU : une énergie propre et abordable pour tous d’ici 2030.

Stig Anton Nielsen and Kiteborne.