Makery

COP24: comment les artistes s’engagent pour le climat

Ice Watch, Tate Modern de Londres © Olafur Eliasson

Est-ce que regarder de la glace fondre nous aide à parler de l’urgence climatique ? Retour critique depuis Londres sur l’engagement des artistes à la clôture de la COP24.

Londres, correspondance

Je suis depuis longtemps sceptique quant à la tactique consistant à envoyer des artistes célèbres, des musiciens et des écrivains en Arctique afin de regarder des pans de banquise s’effondrer en mer comme un moyen spectaculaire de dramatiser le changement climatique. Les expéditions de Cape Farewell entre 2003 et 2010 (soigneusement parodiées par l’une des célébrités impliquées, Ian McEwan dans Solar) ont particulièrement illustré ce type de démarche. Mais son extrême le plus grotesque, promu par Greenpeace, fut sans doute atteint lorsque le pianiste italien Ludovico Einaudi fut envoyé en Arctique en 2015 avec son piano à queue pour jouer une Elégie à l’Arctique sur un morceau de banquise flottant.

Ludovico Einaudi, Elegy for the Arctic :

De l’eau d’iceberg dans votre verre

Tout cela fait penser à la tactique des entreprises de boissons qui promeuvent leur vodka et leur gin comme contenant de l’eau douce récoltée dans les glaces de l’Arctique. La fin de la COP24 à Katowice (Pologne), déjà éclipsée par la nouvelle situation d’urgence climatique décrite dans le rapport du GIEC sur les 1,5 degrés, a vu débarqué l’initiative spectaculaire Ice Watch de l’artiste Olafur Eliasson et du géologue Minik Rosing, qui consistait à faire déposer des blocs de glace en train de fondre à Katowice et Londres, et où ils fondent encore publiquement. Comment l’artiste peut-il justifier l’impact carbone de cette action ?

Eliasson déclare dans un communiqué de presse : « Il est clair que nous n’avons que peu de temps pour limiter les effets extrêmes du changement climatique. En permettant aux gens de vivre et de toucher les blocs de glace de ce projet, j’espère que nous connecterons les gens à leur environnement de manière plus profonde et inspirerons un changement radical. Nous devons reconnaître qu’ensemble nous avons le pouvoir de prendre des mesures individuelles et de faire progresser un changement systémique. Transformons la connaissance du climat en action pour le climat. »

Ice Watch de Olafur Eliasson à la Tate Modern de Londres © Olafur Eliasson

Tout cela est formidable, mais la fin justifie-t-elle les moyens ? J’ai contacté son studio et leur ai demandé de justifier l’empreinte carbone de Ice Watch. Emilie Engbirk, une porte-parole, a répondu au nom d’Eliasson : « C’est une question à laquelle Olafur a répondu à plusieurs reprises et nous sommes très heureux d’en parler. Ice Watch est motivé par le désir de donner aux gens une expérience directe de la fonte des glaces qu’ils pourraient avoir du mal à imaginer à distance. La recherche a montré que les gens sont plus convaincus quand ils font l’expérience de quelque chose directement que s’ils le découvrent de manière abstraite, par le biais de données ou même de films ou de photographies. L’empreinte carbone estimée de la présence d’un bloc de glace à Londres pour Ice Watch équivaut à peu près au déplacement d’une personne de Londres en Arctique aller-retour, afin de constater par elle-même les effets du changement climatique. Ainsi, l’empreinte carbone de l’installation de la Tate Modern équivaut à peu près au vol aller-retour d’une classe de 24 écoliers au Groenland pour observer la fonte de la calotte glaciaire. En comparaison, Ice Watch touchera un nombre beaucoup plus important de personnes grâce à l’installation sur site à Londres, sans parler des personnes qui la verront à travers les médias et sur Internet. »

La société qui produit le projet, l’organisation en arts et développement durable Julie’s Bicycle de Londres, a également été interrogée lors d’une récente conférence de presse sur l’empreinte carbone de Ice Watch. Ils expliquent sur leur blog qu’ils publieront les chiffres exacts de l’empreinte carbone sur leur site web à la fin du projet.

Souvenirs en charbon

J’ai demandé à un délégué ayant quitté la COP24 avant la fin, Stuart Capstick, du Tyndall Centre for Climate Research et du Climate Communication Project – qui y est allé et en est revenu par train, ce que certains climatologues insistent aujourd’hui de faire – comment cela s’est passé. « Il y avait une atmosphère assez sombre – bien que, bien évidemment, la plupart des négociations se déroulent à huis clos. » Il a souligné certaines anomalies étranges, telles que le stand de Katowice, vendant des souvenirs et des bijoux fait de charbon.

Manifestation pour la justice climatique à la COP24 (en anglais) :

Que pense-t-il de gestes comme celui d’Eliasson et de la glace en train de fondre ? « Si l’interprétation ne fait qu’accroître le sentiment de catastrophe, il y a un risque que ce type d’art attire uniquement l’attention sur les dystopies. » Cependant, il est globalement d’accord avec l’approche du nouveau mouvement activiste Extinction Rebellion. « Ils sont conscients de l’ampleur et de la magnitude de l’urgence climatique et apportent une puissance brute et directe à la situation. Je suis en désaccord avec certaines choses dans leur rhétorique, mais en général je suis avec eux. »

Des artistes de plus en plus connus s’impliquent également dans Extinction Rebellion. Gavin Turk, l’un des YBA (« Young British Artists », jeunes artistes britanniques) des années 1980, a été arrêté lors du récent blocus des ponts à Londres et le duo de renommée internationale Heather Ackroyd et Dan Harvey ont réalisé l’une de leurs célèbres sculptures en herbe prenant la forme du symbole du mouvement Extinction Rebellion. On s’attend à ce que les artistes soient de nouveau présents à la prochaine action très médiatisée de la rébellion, « Reclaim the BBC », à Broadcasting House. « Pendant trop longtemps, la BBC a, soit ignoré, soit minimisé l’importance de l’urgence climatique. Reprenons notre BBC pour dire la vérité sur le changement climatique », dit la communication de l’événement.

Logo Extinction Rebellion par Ackroyd & Harvey.

Merry Climatemas

L’action coïncide avec le solstice d’hiver et une autre organisation suggère de célébrer « Climatemas » au lieu de Christmas (le jeu de mot sur Noël ne fonctionne pas en français, ndlr). L’organisateur, Bridget McKenzie, m’a confié : « Climatemas fait partie du plan d’un Climate Museum UK, un musée mobile, expérimental et numérique destiné à stimuler de manière créative une réponse à l’urgence climatique (et aux menaces liées à la biosphère). Le projet consiste en un musée éphémère – une collection d’éléments en vrac… Il encourage les gens de tous les horizons (qui vont vivre prochainement le solstice d’hiver, donc de l’hémisphère nord) à faire preuve de créativité pour sensibiliser le public au changement climatique, à rassembler costumes, art et spectacles et à partager leurs activités. »

Lucy Neal, artiste et activiste chez Encounters Arts – créatrice de Walking Forest – est également revenue dans le long voyage en train depuis la COP24, après y avoir apporté, avec Shelley Castle, la graine d’un arbre bien particulier. Elle m’a déclaré : « Une COP est une affaire humaine intense, compliquée, et même extrêmement complexe. Plus de 20 000 personnes se rassemblent pour changer le récit dominant chaque moment de la vie sur Terre : les humains sont dépassés et sont responsables collectivement pour avoir provoqué la 6ème extinction de masse des espèces, le réchauffement climatique et un ensemble d’injustices sociaux et écologiques. Nous avons voyagé en train pendant deux jours et demi, dans un but simple et singulier : offrir aux remarquables personnes rencontrées une graine d’un arbre planté il y a plus de 100 ans par une suffragette, Rose Lamartine Yates, au Suffragette Arboretum de Batheaston. »

Walking Forest s’inspire de l’activisme des sufragettes (en anglais) :

« L’intention de Rose de planter l’arbre – elle a été emprisonnée à la prison de Holloway pour ses actions de suffragette, laissant son fils âgé de 8 mois à son mari – était de provoquer un changement dans la façon dont les femmes étaient représentées dans le système politique. Notre objectif pour Walking Forest est de changer la manière dont le monde naturel est représenté dans nos systèmes politiques et juridiques… La graine est toute petite, mais ses possibilités sont immenses. Nous ne pouvons renouveler le réel que par l’imaginaire. »

Peut-être que de petits gestes comme celui-ci sont finalement plus puissants que de spectaculaires blocs de glace en train de fondre. Pendant ce temps, derrière les portes closes de la COP24, la fin n’a pas été concluante, si l’on garde à l’esprit les signes persistants de l’urgence climatique, les conditions météorologiques extrêmes et les incendies de forêt de l’année qui vient de passer, ainsi que les avertissements les plus stricts jamais lancés par les scientifiques sur la nécessité de se rapprocher d’un taux zéro d’émissions, et pas seulement des 2% convenus à Paris. Il est probable que des mesures drastiques s’imposent désormais pour mener les gouvernements et les industries à écouter.