Makery

Ils ont fait le Fabrikarium en Inde

Séance collective au Maker's Asylum. © Carine Claude

Du 10 au 14 février, le Maker’s Asylum de Mumbai a rassemblé une centaine de personnes pour un hackathon franco-indien. Objectif: trouver des solutions DiY et low-cost pour faciliter la vie des personnes handicapées. Portraits.

Mumbai, envoyée spéciale (texte et photos)

Mahen Pitale et Vinod Rawat, makers-bikers de compétition

Mahen Pitale (à g.) et Vinod Rawat (au centre) avec l’un de leurs acolytes makers-bikers.

Au STEAM Fabrikarium, toute une équipe de makers-bikers s’est prise au jeu du prototypage rapide et fun. Amputés des bras ou des jambes, rien n’arrête ces passionnés de moto venus imaginer de nouvelles fonctionnalités pour leur prothèses : clignotants, pointeur laser, commandes groupées…

Renversé par un camion lorsqu’il avait 6 ans, Vinod Rawat a perdu sa jambe gauche. Appareillé par une prothèse Jaipur Foot depuis l’âge de 27 ans, ce sportif s’entraîne pour le marathon de Mumbai, grimpe les sommets du Maharashtra en vélo… Et surtout, fait de la moto. « J’ai d’abord rejoint un MC (Moto Club, ndlr), mais ils rejetaient les handicapés. Avec des copains dans la même situation que moi, nous avons décidé de créer notre propre club. Et on est même allés au Ladakh pour aider les gens après le tremblement de terre ! » Depuis sa création en 2010, son MC, le Convoy Control Club, accueille plus de 120 membres, a ouvert 6 chapitres et participe à de multiples rassemblement de bikers comme la Rider Mania à Goa.

«Avant, les gens nous rejetaient. Maintenant, ils nous respectent.»

Vinod Rawat

Survivant des attentats de Mumbai en 2006, Mahen Pitale, y a perdu son avant-bras gauche. Grâce au prototype de main bionique inspiré par la Bionicohand de Nicolas Huchet, cet autre maker-biker du club espère retrouver des sensations de chaleur et de pression pour l’aider à manoeuvrer sa moto… ou à téléphoner plus facilement en conduisant.

Ankita Patil, le goût des autres

«On devrait tous être plus ouverts aux autres», affirme Ankita Patil.

Etudiante en 3ème année d’ingénierie mécanique à l’université de Mumbai, Ankita Patil a travaillé avec l’équipe de Nicolas Huchet et son projet de main bionique Bionico pour développer un nouveau prototype d’emboîture pendant le STEAM Fabrikarium. Une alternative aux solutions prothétiques hors de prix proposées sur le marché. Equipé de capteurs et d’une batterie, le proto est déjà opérationnel. « On modèle l’emboîture en thermoplastique. Le processus complet de fabrication prend une heure », explique Ankita Patil qui se concentre sur l’interface homme-machine de la prothèse. « Au final, on pourra greffer tout ce qu’on veut », comme en a fait démonstration Nicolas Huchet avec sa main « tapette à moustiques » lors de la présentation finale des projets.

Neha Saigal, le pari de l’innovation rurale

Neha Saigal, analyste du programme gouvernemental PMKVY.

Venue en « observatrice active » au STEAM Fabrikarium, Neha Saigal en connaît un rayon sur les problématiques du handicap en Inde. Désormais analyste au Pradhan Mantri Kaushal Vikas Yojna, un programme de la National Skill Development Cooperation (NSDC) à Delhi, cette ancienne coordinatrice régionale de Handicap International vient voir comment des solutions imaginées pendant le hackathon pourraient être implémentées, par exemple, en zones rurales. « Dans un premier temps, il faudrait lancer une étude préliminaire pour identifier les vrais besoins de l’Inde rurale : faut-il se diriger vers la Bionicohand ou s’orienter vers une version fabriquée à partir de matériaux low-cost que l’on pourrait trouver encore plus facilement dans les campagnes ? », s’interroge-t-elle.

Pour elle, aucun doute : innovation frugale rime avec innovation rurale. « On pourrait alors amener ce type de hackathon à un autre niveau, en mobilisant les ressources rurales et en pariant sur la montée en compétences des populations, qu’elles soient éduquées ou non, pour améliorer leur employabilité. » Selon Neha Saigal, l’une des solutions serait d’accompagner le développement des Human Labs sur le modèle de celui initié par les Rennais de My Human Kit pour accompagner le projet de Nicolas Huchet, et dont le premier avatar indien devrait voir le jour prochainement à Delhi. « Je pense que c’est l’avenir. Maker’s Asylum est pionnier en la matière. Je vais suggérer l’idée auprès de mon organisation et voir si un partenariat est possible. »

Varun Heta et Sanjeev Ghosh, ingénieurs zen

Varun Heta et Sanjeev Ghosh, ingénieurs chez Autodesk.

Varun Heta et Sanjeev Ghosh sont ingénieurs chez Autodesk, une multinationale connue pour ses logiciels 3D et l’un des principaux partenaires techniques du STEAM Fabrikarium. « Notre rôle est d’aider les équipes à être le plus efficace et le plus productif possible », explique Varun Heta qui se définit comme un technology evangelist. Concrètement, Autodesk a mis à disposition des équipes son logiciel de conception assistée par ordinateur Fusion 360°. Et les deux ingénieurs jouent le rôle de mentors en design pour aider les participants. « On les forme au design génératif », précise Varun Heta. Avec l’équipe travaillant sur e-Trotti (devenu o-Trotti), un prototype de chaise roulante électrique low-cost, ils ont identifié les points faibles de sa conception avant de les tester et de les valider : « Dans un premier temps, l’électronique a cramé, mais échouer c’est aussi apprendre ! » Pour son confrère Sanjeev Ghosh, la dimension psychologique du design thinking est primordiale pour franchir les différentes étapes du prototypage : « En tant qu’ingénieurs, on pense de façon systémique. Or, ici, les gens n’ont pas le même background. On ne prendrait pas les même risques dans le monde réel. Comme quoi, quelque chose de différent peut être très efficace… »

Faisal Thakur, roi de la Petite reine

Faisal Thakur dans son magasin de vélos.

Mentor du Fabrikarium pour l’équipe de la Flying Wheelchair — une chaise roulante adaptée pour faire du parapente — Faisal Thakur est un as du vélo. Et un authentique militant de la cause cycliste dans une mégapole asphyxiée par une circulation automobile hors de contrôle. Cet ancien champion de BMX, passionné de customisation, a ouvert une boutique à Mumbai dans le quartier de Bandra Ouest près du littoral où il développe sa propre marque de deux-roues. Il a même équipé la police de Mumbai en vélos tout terrain et travaille avec les équipes de l’Indian Institute of Technology pour affiner ses prototypes.

Abhijeet et Priya Thube, une histoire de famille

Abhijeet et Priya Thube, frangin et frangine du Maker’s Asylum.

Au Maker’s Asylum, on travaille aussi en famille. Pendant toute la durée du STEAM Fabrikarium, Abhijeet Thube et sa sœur Priya ont été aux petits soins des participants. Lui est ingénieur du son et DJ à ses heures perdues. Membre du staff, il est en charge de la logistique et de l’opérationnel. Sa mission ? S’assurer que les équipes du hackathon ne manquent de rien, du matériel en passant par les connexions et l’organisation des repas. Quant à sa soeur Priya, elle gère l’événementiel du lieu. Artiste et blogueuse fan de fooding, elle a fait ses premières armes dans la pub. Alors, pas trop compliqué de travailler en famille ? « Aucun soucis, car mon frère sait que c’est moi qui commande ! », s’esclaffe-t-elle.

Vaibhav Chhabra, homme orchestre

Vaibhav Chhabra, fondateur de Maker’s Asylum.

Difficile de parler du STEAM Fabrikarium sans parler de Vaibhav Chhabra, grand ordonnateur de l’événement et fondateur du Maker’s Asylum. Diplômé de l’université de Boston, cet ingénieur en mécanique a fait ses premières armes chez Eyenetra, une start-up du MIT Media Lab qui développe des outils de diagnostic ophtalmologique low-cost sur smartphone. Mais c’est en 2015 qu’il se consacre définitivement au making avec la création de Maker’s Asylum, devenu entre-temps le plus grand makerspace de Mumbai. Depuis, l’agenda de Vaibhav Chhabra est surchargé : signatures de partenariats tous azimuts, inauguration d’un second Maker’s Asylum à Delhi, sa ville natale, lancement de la STEAM School puis du Fabrikarium… « C’est juste incroyable de voir ce qu’on a réussi à faire en à peine trois ans ! », s’exclame-t-il sous les hourras du public.

Retrouvez la première partie de notre reportage sur le Fabrikarium de Mumbai