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Chronique de makers-farmers en visite à la Caverne aux champignons (5)

Sur 3.600m2, les premières pousses de champignons de l'unique ferme urbaine bio de Paris. © Blanche

Théo Champagnat et Jean-Noël Gertz font pousser des champignons dans un parking à Paris, avec presque rien sauf de la récup. Nos futurs makers-farmers Alexis et Blanche étaient à la première visite officielle du site.

Ce n’est pas tout à fait notre vision idéale d’une ferme – un parking abandonné dans le 18ème à Paris sous une barre d’immeubles qui comporte plus de 300 logements sociaux – mais le projet est vachement inspirant quand même.

Au deuxième sous-sol de cet immeuble à Paris, une ferme urbaine bio. © Blanche

Le 27 janvier, lors de la première visite officielle de la Caverne, première et unique ferme urbaine bio de Paris, un des fondateurs, Théo Champagnat, explique : « Notre but est de cultiver dans un même espace souterrain différentes variétés de légumes en les faisant interagir positivement entre elles et avec leur environnement. Par exemple, les champignons ont besoin de très peu de lumière pour leur croissance et les endives poussent dans le noir. Le CO2 généré par les champignons est utilisé pour la croissance des plantes. Les déchets de la culture des champignons et des endives sont compostés dans les lombricomposteurs pour fertiliser nos cultures. Ces techniques s’inspirent largement de la permaculture. »

Voilà un mot qui nous inspire davantage, puisque nous sommes en train de monter une ferme en permaculture. Et la beauté de la permaculture, c’est qu’elle s’applique aussi bien à la culture de champignons dans un parking souterrain à Paris qu’aux arbres fruitiers dans le Perche.

L’éthique de la permaculture: prendre soin de la terre, de soi-même, sa famille et sa communauté et partager de manière équitable. © DR

A la Caverne, site de « maraîchage cavernicole », on favorise la récup. Un parking abandonné, c’est bien évidemment de la récup, mais la Caverne va plus loin. Leur chambre froide est conçue à partir d’éléments recyclés et leurs véhicules électriques sont tous usagés.

On descend dans le ventre de la bête en béton. Théo répond à toutes les questions efficacement et gentiment. La plus importante selon nous, vu que nous sommes dans un parking souterrain : c’est pas un peu pollué ? Mais Théo nous rassure : « Les premières récoltes, testées en laboratoire, ne présentent aucune trace de résidus dangereux pour l’homme. Mais avant qu’on commence, des analyses d’air et de surfaces ont été réalisées par la mairie de Paris et le bailleur. C’était un prérequis avant de dédier le site à l’agriculture. Plus aucun véhicule ne circule ici depuis longtemps. Quant à nous, nous utilisons uniquement des véhicules électriques ou des vélos pour le transport. »

Pour se déplacer dans la ferme urbaine, tout est bon, même les trotinettes! © Blanche

Et des trottinettes ! Les distances sont grandes. La Caverne fait actuellement 3.600m2 mais les deux fermiers urbains, Théo Champagnat et Jean-Noël Gertz, ont prévu de récupérer un deuxième sous-sol. La ferme fera presque un hectare à terme.

Théo Champagnat montre les champignons en train de pousser. © Blanche

Pour l’instant, des pleurotes et des shitakés sont cultivés pour la vente. Bientôt ce seront des champignons de Paris et des endives. Tout en bio. Les champignons sont cultivés sur des balles de paille bio qui sont imprégnées de mycélium (transformateur de matières organiques en champignons) par un agriculteur pas loin de Paris, qui les emballe dans du plastique. Nos deux fermiers urbains sont à la recherche d’un emballage biodégradable.

Les endives seront cultivées dans des bacs remplis de terre et compost fabriqué par leurs lombricomposteurs.

Les jeunes pousses sous LEDs, approvisionnées à l’énergie renouvelable. © Blanche

Ils expérimentent avec les salades, de jeunes pousses, des herbes aromatiques, mais pour cela il faut de la lumière, en l’occurrence des LEDs dont l’énergie provient de sources 100% renouvelables grâce à leur partenariat avec Enercoop.

La Caverne vend ses champignons en direct aux restaurants et aux particuliers, au marché fermier collectif de Paris 18ème la Bonne Tambouille et dans certains magasins bio. Et de fait, tout de suite après notre visite à la Caverne, nous avons trouvé leurs champignons et des pousses germées en vente à la Louve, le supermarché coopératif dont nous sommes copropriétaires.

Champignons de la Caverne en vente à la Louve. © Blanche

« Le cœur de notre démarche, dit Théo, réside dans l’interaction que nous avons avec les clients. Nous voulons renouer le lien perdu entre agriculteurs et consommateurs, et rétablir des circuits courts. Nos produits sont les plus locaux et les plus frais de la ville. Notre truc à nous, c’est de récolter vos légumes le matin et de vous les livrer dans la journée. Question fraîcheur, on peut difficilement faire mieux ! »

Les deux fondateurs, Jean-Noël Gertz, ingénieur thermicien, et Théophile Champagnat, agronome et cuisinier nomade, se sont rencontrés lors des visites au parking dans le cadre de Parisculteurs, un appel à projets initié par la mairie de Paris pour l’agriculture urbaine. Jean-Noël s’occupait déjà du Bunker comestible, une microferme urbaine à Strasbourg. Leur proposition de culture de champignons a plu au jury : lauréats de Parisculteurs en novembre 2016, ils étaient en production moins d’un an plus tard.

A la place des places de parking, des balles de champignons. © Blanche

Et les résidents, ne se plaignent-ils pas que la Caverne leur pique leurs places de parking ? « Le site est à l’abandon depuis plusieurs années. En fait, il y a trop de parkings et la demande pour les places baisse. D’ailleurs les propriétaires d’autres parkings nous demandent de faire la même chose chez eux ! Côté résidents, notre objectif est triple : proposer aux locataires sociaux des récoltes à tarif préférentiel, des ateliers pédagogiques, mais aussi embaucher localement. Il y a déjà deux femmes de l’immeuble qui font la récolte. Nous voulons participer activement à la transition des quartiers où nous nous implantons. »

Est-ce que leur projet peut être comparé avec la ferme en permaculture du Bec Hellouin en Normandie et son chiffre d’affaires de 30.000€ pour un hectare de culture bio, non mécanisée ? « C’est trop tôt pour calculer le chiffre d’affaires par mètre carré. Les rendements varient selon les cultures et le nombre d’étagères. Les salaires à la Caverne vont de 1.300€ à 1.600€ par mois actuellement, mais nous ne savons pas encore si c’est rentable. On pense que oui. On l’espère ! »

L’équipe qui s’occupe de l’installation de la Caverne passera ensuite à un autre site – une quarantaine sont déjà en vue. « Nous comptons embaucher une quinzaine de personnes à terme. Nous nous sommes engagés auprès du bailleur à embaucher un maximum de personnes localement. Mais nous cherchons de nouveaux agriculteurs urbains un peu partout. Nous croyons en ce que nous faisons, nous sommes en développement dans d’autres villes en France et bientôt en Europe. C’est tôt parce qu’on est en production ici depuis cinq mois mais ça ne nous empêche pas de dire ce qu’on voudrait faire à terme. »

On quitte le lieu, clignant comme des taupes à l’aube, inspirés par la vision optimiste de l’avenir de ces jeunes agriculteurs urbains (Théo a 28 ans) tellement à l’aise avec le social et l’écologie. Mais c’est ça, la permaculture !

Les pleurotes sont devenus un aliment de base de notre régime bio, local et saisonnier. © Blanche

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