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Ils ont fait Open Source Body

Guy Aidelberg en pleine démo au centre de ressources de la Gaîté lyrique à Paris lors d'Open Source Body. © Makery

D’Israël, d’Espagne, des Pays-Bas, de Russie, d’Italie et de France, ils ont participé au festival Open Source Body pour défendre leur vision du matériel pour une science ouverte. Portraits.

Paula Pin et le HardGlam

La Barcelonaise Paula Pin pendant «[[Performative lab]o[dy Ritual]]» en soirée de clôture. © Makery

L’artiste barcelonaise Paula Pin était une des invitées majeures du festival Open Source Body, du 22 au 27 janvier à Paris, avec un programme bien rempli. Avec son équipe composée de MrSoza, Marc Dusseiller et Urs Gaudenz de Hackteria et GaudiLabs, elle a mené l’atelier « Open Science Friction and Noise Disturbance » toute la semaine à la Paillasse, présenté les outils de son Biotranslab au Centre de ressources de la Gaîté lyrique et conduit la performance [[Performative lab]o[dy Ritual]] avec ses partenaires pour la soirée de clôture.

Si Paula Pin est perçue comme une des figures du mouvement GynePunk – qu’elle a contribué à promouvoir –, elle n’aime cependant pas trop voir son activité réduite à ce terme, plaisantant facilement avec son ami Urs Gaudenz sur les « gynepops et les gaudipunks ». Elle collabore en effet depuis bien plus longtemps au réseau international Hackteria et présente les recherches qu’elle mène depuis plusieurs années comme « transhackféministe », aux frontières de « la biologie, de l’art et de la science queer ».

Paula défend une esthétique « HardGlam », une méthodologie « Open Science Friction » et une stratégie de « sorcière-cyborg ». Les plantes, les micro-organismes, les énergies alternatives, la question du laboratoire, l’ont forcée à penser son corps sous un nouvel angle, intégré au sein d’un réseau complexe d’interactions, brouillant les pistes entre machines, animaux, plantes. Elle développe des outils en cherchant à dépasser leur simple fonction utilitaire pour les transformer en « outils magiques de communication avec les êtres queer ». Ces outils sont « glamour car ils possèdent leur propre numen », dit-elle. Elle considère que « la connaissance s’acquiert suivant l’expérience magique du corps, le sentiment vrai qui implique l’expression et la transformation du soi par la friction transcendantale » et nous fait remarquer que « comme pour le sexe, aucune théorisation ou intellectualisation ne peut se substituer à la véritable expérience du faire ». L’image de la sorcière compte beaucoup pour elle car « les sorcières ont la créativité, la fantaisie et l’innovation chevillées au corps et utilisent la technologie non seulement d’un point de vue pragmatique mais également pour les tâches spirituelles ».

Guy Aidelberg et la bio pour tous

L’Israélien Guy Aidelberg est doctorant au CRI à Paris. © Makery

Avec son détecteur à OGM ultra low-tech et ultra low-cost, Guy Aidelberg, doctorant du Centre de recherches interdisciplinaires (CRI), proposait au public de tester sa nourriture en direct, histoire de savoir si elle est génétiquement modifiée ou pas. Le test est simplissime : il suffit de mélanger des aliments pilés à de l’eau bouillante et de chauffer le tout pendant une heure à 63° selon un processus de Loop-mediated isothermal amplification (LAMP), une technique pour amplifier de l’ADN à température constante. « Le processus entier prend maximum 1h30. Je fais souvent l’expérience avec des lycéens, car en quelques minutes, on voit déjà un résultat et c’est très stimulant », ajoute-t-il.

Originaire de Jérusalem, Guy Aidelberg n’en est pas à son premier kit bioDiY. Avec le Bio-TLV, le premier biohackerspace de Tel Aviv qu’il a cofondé en 2016, il a d’abord imaginé un kit de détection du virus Zika pour les non-scientifiques avant d’en venir aux OGM. « Je suis passionné de biologie, mais à la base, je viens des sciences humaines. Je n’avais pas envie de faire de la science pour la science sans la questionner. Quelque chose me manquait, un contexte social, éducatif. C’est pourquoi on a décidé d’ouvrir un biohackerspace avec un ami, pour que les gens puissent faire de la biologie de manière non académique, mais aussi développer des projets artistiques ou éducatifs. » Pour faire connaître son détecteur à OGM, il envisage de lancer une campagne de financement participatif et cherche d’autres applications pour détecter des allergènes, des agents pathogènes ou des espèces invasives. « En fait, il n’y a pas de limites ! »

Wieke Betten et l’éthique dans la génétique

Wieke Betten de la Waag Society d’Amsterdam. © Makery

Histoire de mettre de l’éthique dans toute cette génétique, Wieke Betten est venue présenter le projet Gene.coop qu’elle développe avec la Waag Society d’Amsterdam. L’idée ? Bâtir une base de données biologiques coopérative permettant à tout à chacun de garder le contrôle sur l’utilisation de son matériel génétique, y compris en cas de commercialisation par des tiers, explique la chercheuse de 33 ans, également enseignante à l’université libre d’Amsterdam. « Le but est de sortir les questions éthiques de leurs cercles restreints et d’aider le plus grand nombre de gens à affiner leur argumentaire face à ces questions complexes afin qu’ils décident librement quoi faire de leurs données génétiques », ajoute cette post-doctorante qui intervient à la Waag Society au sujet des écueils éthiques rencontrés par les biotechnologies et de la démocratisation des sciences et techniques.

Avec les fondateurs de Gene.coop, elle dénonce l’opacité d’un système qui a fait sortir le matériel génétique humain des labos de recherche pour qu’il soit vendu et exploité par une multitude de produits et services, le tout sans autorisation des donneurs. Un boulevard pour l’industrie pharmaceutique qui s’accommode fort bien du flou concernant le sort des données génétiques personnelles. Pour contrer le phénomène, la coopérative mise sur un business model vertueux où chaque individu resterait propriétaire de ses datas, tout en étant libre de les monétiser ou pas. « Gene.coop est définitivement un projet qui porte sur la responsabilisation des citoyens, mais aussi sur le faire ensemble », affirme Wieke Betten.

André Maia Chagas et le microlabo open source

André Maia Chagas, neuroscientifique à l’origine d’Open Neuro Science. © Makery

Chercheur en neurosciences à l’université de Tübingen en Allemagne, André Maia Chagas cultive sa passion pour la bidouille et l’open source dans le domaine de l’Open Science Hardware. Avec deux confrères de son université, ils ont cofondé Open Neuro Science, une plateforme open source pour la recherche en neurosciences, ainsi que Prometheus Science, une start-up dédiée à la production et à la diffusion d’outils open source dans les labs du monde entier. Premier projet à faire parler de lui : le FlyPi, développé avec l’ONG Trend in Africa. Demi-finaliste du Hackaday prize dans la catégorie science citoyenne en 2016, le FlyPi est un minilaboratoire biologique open source tout-en-un. Microscopie haute résolution, imagerie de fluorescence, optogénétique… l’appareil entièrement imprimé en 3D permet aussi bien d’effectuer des diagnostics parasitaires que des analyses sanguines pour une centaine d’euros, soit un prix dix à cinquante fois inférieur à celui des équipements du même type vendus sur le marché.

« Avec Trend in Africa, nous organisons des Open Labware un peu partout en Afrique pour aider les scientifiques africains à développer leurs propres solutions, explique André Maia Chagas. En quelque sorte, c’est un Open Tour de la recherche au cours duquel on explique la philosophie de l’open source et les pratiques issues du mouvement maker en apprenant aux chercheurs ou aux médecins africains les bases de l’électronique ou de l’impression 3D avec des projets qui fonctionnent, comme le FlyPi. » Son objectif ? Diffuser son microlabo et trouver un équilibre économique, grâce à des services annexes comme la formation à l’utilisation du FlyPi dans les université allemandes. « Si on prend l’exemple de Linux, ils sont valorisés plusieurs milliards de dollars. Même avec un produit libre et gratuit, ils sont rentables car ils vendent des services. Il y a donc bien un espace pour ça… »

Deshmukh Gopaul et la recherche partagée

Deshmukh Gopaul (à dr.) chercheur à l’Institut Pasteur et mentor de l’équipe iGEM-Institut Pasteur pour le concours international éponyme. © Makery

Samedi 27, 20h, à la Gaîté lyrique, Deshmukh Gopaul est « fatigué, mais heureux ». Fatigué par la longue après-midi à la rencontre du public d’Open Source Body – des béotiens comme des biohackers ou des artistes s’intéressant à l’open source. Heureux d’avoir croisé d’autres acteurs pour qui la science de demain se pratique en partageant les compétences. Deshmukh Gopaul est chercheur à l’Institut Pasteur, où il dirige le département Design pour la biologie du Centre d’innovation et recherche technologique (Citech). Cette après-midi, il endosse le costume de mentor de l’équipe 2017 iGEM-Institut Pasteur, qui réunit quatorze étudiants concourant à l’iGEM (international Genetically Engineered Machine), prestigieuse compétition étudiante internationale pour promouvoir la biologie synthétique. Il est venu présenter le très remarqué prototype Æther, un kit de dépollution de l’air intérieur, qui a obtenu la médaille de bronze à l’iGEM en novembre 2017.

L’objet épuré ressemble à un simple ventilateur. Sauf qu’Æther capture les polluants dans de l’eau grâce à une toile d’araignée en soie hydrophobe qui accumule les gouttelettes… et les recycle. « Sur ce filtre qui capte les particules fines, on met des enzymes capables de dégrader totalement leurs molécules », explique-t-il en ajoutant : « Notre dispositif se veut à taille humaine, pour un usage individuel, un appartement par exemple. Il est conçu à partir de matériaux très peu chers. » Aujourd’hui, le prof rêve de passer à une mise sur le marché, grâce notamment à l’interdisciplinarité de l’équipe iGEM-Institut Pasteur : biologistes (UPMC), chimistes (chimie ParisTech), ingénieurs (Centrale-Supélec, Polytechnique, ESPCI), juristes (université Paris-Saclay) et designers (ENSCI-Les Ateliers) ont développé Æther.

Enrico Bassi et la plateforme de matériels pour la science ouverte

Enrico Bassi, du fablab milanais Opendot, présentait le projet européen Made4You. © Makery

« Les makers n’aiment pas répliquer, ils aiment proposer des solutions originales, les fabriquent pour prouver que c’est possible et ils passent à un autre projet », affirme Enrico Bassi, coordinateur du fablab Opendot de Milan, qui présentait en exclusivité mondiale samedi après-midi à la Gaité lyrique, Made4you, une base de données qui vise justement à compiler des solutions de makers dans le domaine de la santé et du soin. Une plateforme européenne de cocréation de matériel médical ouvert dont la réunion de lancement avait eu lieu le 16 janvier au Fab Lab Berlin, en coopération avec la Waag Society. Pour soutenir le projet en industrie, Enrico Bassi a également conclu un partenariat avec la plateforme d’open hardware britannique Wevolver. « Nous voulons avant tout que le projet soit utile », autrement dit que ceux qui recherchent des solutions médicales puissent disposer d’une seule source et exprimer leur problématique en termes simples. Ce principe fera l’objet de réunions de travail à venir avec des makers mais aussi des professionnels de santé.

L’autre préoccupation d’Enrico Bassi, c’est la pérennité du projet, financé pour trois ans par l’Europe. « Nous envisageons que l’utilisation, la fabrication des solutions puissent faire l’objet d’une rétribution », explique Enrico Bassi. Une marketplace de solutions médicales en open hardware en quelque sorte ? « Nous n’excluons aucune solution. » Designer d’innovation issu de l’Ecole polytechnique de Milan, Enrico Bassi a participé à l’éclosion du mouvement maker en Italie : en 2011, il coordonne le tout premier fablab italien, Fablabitalia, puis préside le Fablab Torino jusqu’en 2014 avant de rejoindre Opendot à Milan. Ce designer qui officiait à Miami enseigne la fabrication numérique dans de prestigieuses académies de design italiennes. En 2015, Enrico Bassi a achevé avec succès la Fab Academy, le cours international du fondateur des fablabs et professeur au MIT Neil Gershenfeld, pour en devenir l’un des instructeurs.

Dasha Ilina et le DiY contre la technodouleur

L’artiste Dasha Ilina a monté le Center for Technological Pain. © Makery

Dasha Ilina est un tantinet impressionnée d’intervenir en présence de tous ces chercheurs et biohackers émérites. Elle s’est inscrite en ligne pour participer aux miniprésentations de projets d’Open Source Body le 27 janvier au centre de ressources de la Gaîté lyrique. La voilà qui dévoile les premiers prototypes de son Center for Technological Pain, « des solutions DiY pour éradiquer les problèmes de santé liés à la technologie portable », qui lui valent des commentaires intéressés : « Comment peut-on participer? » « Les tutos sont-ils open source ? »…

Dasha Ilina est une jeune artiste russe qui étudie à la Parsons Paris en art, médias et technologie. En préambule, elle explique : « Je suis accro comme beaucoup de gens aujourd’hui à la technologie, et j’ai donc commencé à développer des outils pour me désaccoutumer. Je pense que les humains devraient pouvoir abuser de la technologie et non l’inverse. » Elle montre alors des cache-yeux mécaniques, « réducteurs de fatigue oculaire » conçus avec un Arduino, qui vous obligent à reposer vos yeux des écrans. Légèrement plus invasifs et tout aussi loufoques, un accessoire pour téléphone portable truffé de pointes (en carton) pour apprendre à éloigner ledit portable de l’oreille (quand ça chauffe, c’est mauvais pour la santé) ou un casque mains libres (en carton toujours), qui revisite la réalité augmentée en mode low-tech. Dans son centre pour la technodouleur, elle étudie l’adaptation de techniques d’autodéfense pour se protéger d’une trop grande exposition aux ondes (un petit GIF animé la montre tirant les oreilles d’un impétrant en mode selfie pour atteindre la bonne posture). Frais, ironique et caustique à souhait.

Adoptez la bonne position face aux ondes. © Dasha Ilina

Isabelle Giami et la gynécologie en milieu précaire

Isabelle Giami, sage-femme et membre de Gynécologie sans frontières, sur la scène d’Open Source Body. © Makery

Isabelle Giami, sage-femme au centre hospitalier de Plaisir (Yvelines) et administratrice de Gynécologie sans frontières (GSF), participait au débat « Quel outils pour le pronostic rapide en santé gynécologique ? », le 27 janvier à la Gaîté lyrique. GSF, ONG créée en 1995, vient en aide aux femmes dans le monde entier en palliant les structures sanitaires manquantes dans des situations humanitaires. L’urgence est aussi française, rappelle Isabelle Giami, qui évoque son expérience des projets Camparis, des consultations de gynécologie obstétrique dans le camp de migrants d’Ivry en région parisienne, et Caminor, un dispensaire gynéco mobile dans le Nord-Pas-de-Calais. Elle confronte sa vision du terrain aux outils des makers : « Nous n’avons pas de besoins immédiats en échographie, mais sommes confrontés à des situations où il manque parfois un simple thermomètre. » GSF travaille déjà avec des filières de réemploi de matériels médicaux. Concrètement, outre les soins gynécologiques liés à la protection maternelle et de l’enfance, les besoins en diagnostics concernent le dépistage des cancers du sein ou de l’utérus. L’impact des phénomènes culturels, le rapport à la nudité ou la difficulté d’utiliser des techniques invasives telle que les sondes sont autant de difficultés supplémentaires au diagnostic.

Forte d’une maîtrise en ethnologie sur la prise en charge hospitalière des femmes d’origine ouest-africaine et d’un DESS périnatalité et précarité, Isabelle Giami a œuvré pendant dix ans pour le conseil général de Seine-Saint-Denis au travail en réseau périnatal ville-hôpital pour améliorer l’accès aux soins des femmes en situation précaire et en formant des sages-femmes au CHI Poissy-Saint-Germain-en-Laye. Un métier qu’elle tient à mettre en valeur pour le large éventail de soins pratiqués : « Depuis quelques années, les sages-femmes sont même habilitées à pratiquer l’IVG médicamenteux. »

Lire aussi le compte-rendu du festival Open Source Body