Makery

Les futures machines des labs

Le réseau Precious Plastic imagine des protos de recyclage pour des fablabs qui impriment plus vert. © Precious Plastic

Pas de fablab sans machines. Mais quid de leur évolution? Makery a sorti la lorgnette pour observer l’équipement des laboratoires de fabrication numérique demain et après-demain.

Parmi les machines que la Fab Foundation recommande à ses fablabs, on trouve une découpeuse laser, une découpeuse vinyle, une imprimante 3D, une fraiseuse CNC… Des classiques que l’on peut s’amuser à mettre en regard de l’extraordinaire liste des machines du Center for Bits and Atoms du MIT, berceau universitaire de la fabrication numérique. Chartés ou non, argentés ou pas, les fablabs suivent le mouvement de l’innovation et renouvellent leur parc. Nous avons pu en juger lors de notre enquête auprès de quelque 150 labs en France, à qui nous avons demandé leur niveau d’équipement.

Ainsi, certains labs se sont équipés en imprimantes céramiques, imprimantes de circuits et bio-imprimantes, reflétant l’extension des possibilités offertes par la fabrication additive. Comme le décrivait l’exposition Imprimer le monde au Centre Pompidou en 2017, on sait désormais imprimer en 3D avec de la céramique, du cuivre, du bronze, du béton, mais aussi avec des microbactéries ou même du graphène, un matériau plus léger que l’air.

L’impression de circuit éléctronique par BotFactory. © BotFactory

Bref, imprimante 3D ne voudra bientôt plus rien dire sans un suffixe pour préciser la nature du matériau qu’elle utilise. Notre enquête montre également que la découpe laser se fait tailler des croupières par la découpe à jet eau, qui découpe vraiment tout, et par la découpeuse plasma, plus rapide.

Wazer, la découpe à jet d’eau à portée de presque toutes les bourses, financée sur Kickstarter. © Wazer

Made in lab

Il est impossible toutefois, du fait de la spécialisation grandissante des labs (en fonction des projets mais aussi des équipements), de dresser le panorama définitif des machines qui équipent les ateliers de fabrication numérique aujourd’hui. Pour celles de demain, c’est encore plus compliqué… Pas de vue d’ensemble, mais quelques points communs, le premier étant que les machines visent désormais au-delà du prototypage. Car les projets prolongent leur séjour au sein des labs, parfois jusqu’à la commercialisation et la production de petites séries. Mathilde Berchon, corporate manager chez TechShop Ivry et à Station F, spécialiste de l’impression 3D, confirme cette tendance du « made in lab ». La nouvelle antenne du makerspace à Station F a d’ailleurs ouvert un espace « customisation multisupport » équipé d’une imprimante à sublimation (où la cire remplace l’encre pour des résolutions d’images bien supérieures), d’une imprimante UV (avec des encres UV qui permettent l’impression sur de multiples supports comme le plastique), etc.

Les «temps modernes» de l’impression 3D

Autre tendance des machines du futur : l’impression 3D répondant à une logique plus productiviste, les imprimantes 3D étendent leur espace de travail avec notamment les imprimantes à tapis roulant type Blackbelt ou les machines en forme de tour type Delta, qui offrent un volume d’impression plus important et permettent d’imprimer les modèles d’un seul tenant.

Le tapis roulant de la Blackbelt permet de faire de la série ou d’imprimer de plus grandes pièces. © Blackbelt

Le principal handicap de l’impression 3D reste encore sa lenteur d’exécution. L’impressionnant prototype de Carbon M1, première imprimante fonctionnant avec la technologie d’impression ultrarapide CLIP (Continuous Liquid Interface Production) pourra-t-il changer la donne ? En attendant que les fablabs puissent se payer ce type d’équipement, ils misent plutôt sur des méthodes traditionnelles remises au goût du jour comme le moulage par injection plastique ou les thermoformeuses.

Démo de la rapidité de l’imprimante Carbon M1 par «Tested» (en anglais):

Côté recherche, de nouvelles techniques comme l’impression rotative pourraient également accélérer l’impression de matériaux composites et renforcer la solidité des matériaux. La découpe aussi innove, à l’image de la Shaper Origin, la première découpeuse CNC à main qui se conduit comme une Formule 1.

Démonstration de la CNC à main Shaper Origin (en anglais):

Haro sur le métal

La révolution à venir sera celle de la production de pièces métalliques. Une entreprise du Massachusetts, Desktop Metal, promet des solutions de découpe et d’impression métal cent fois plus rapide et dix fois moins chères que les solutions d’usine actuelles, grâce à la technologie des micro-ondes. Mais il faudra attendre 2019…

Présentation de la technologie Desktop Metal (en anglais):

L’impression métal, ce sont aussi des poudres plus fines pour une meilleure définition, comme la solution 3D MicroPrint, l’impression à échelle microscopique présentée au salon CES 2018 qui vient de s’achever à Las Vegas.

Futur hybride

L’innovation la plus en pointe au CES en matière de fabrication numérique est cependant l’hybridation des technologies substractives et additives avec le prototype Ethereal Halo de la start-up indienne Ethereal Machines qui a reçu un prix d’innovation pour son concept qui mixe CNC et imprimante 3D 5 axes, usinage et ajout de matière d’une même pièce en continu, sur une machine multi-axes qui plus est…

Présentation de la machine d’usinage hybride Ethereal Halo:

Une innovation qui dépasse cette autre tendance consistant à réunir plusieurs machines en une, pour des gains de place et de productivité, c’est-à-dire où un seul poste agrège plusieurs technologies, comme la découpe, l’impression 3D et l’injection plastique. C’est le terrain favori des sites de crowdfunding où il est plus facile de faire financer un modèle compact. Ce qui n’empêche pas les flops, comme l’abandon du Tribot 3D. D’autres ont eu plus de chance comme le Snapmaker 3D qui additionne impression 3D, découpe laser et usinage CNC.

Les machines à fabriquer des machines

Le tout en un a également été traité par le projet Machines that Make du Center for Bits and Atoms de Neil Gershenfeld au MIT, des machines à faible coût fabriquées à partir des équipements présents dans les fablabs. Le concept, expliqué par Nadya Peek, assistante de recherche sur le projet : « Nous devons passer du prototypage rapide au prototypage rapide de prototypage rapide. » De manière plus concrète, elle racontait dans Makery dès mars 2016 comment utiliser du carton pour fabriquer une CNC.

Les machines autorépliquantes sont à la source même de l’histoire des fablabs, avec la RepRap (Replicating Rapid Prototyper) conçue par Adrian Bowyer en 2005 à l’université de Bath en Grande-Bretagne, une imprimante 3D en grande partie autoréplicative et libre. Aujourd’hui, la RepRap ne concerne plus seulement les imprimantes 3D, mais aussi des fraiseuses, et s’inscrit dans le mouvement, plus vaste encore, de l’open hardware, soit l’ensemble des technologies et produits physiques développés selon les principes des ressources libres. Un matériel ouvert porté par de nombreux sites de ressources tels que les Britanniques de Wevolver ou les Français de Wikifab.

Une machine de conception japonaise en open source sur le site Wevolver. © Wevolver

L’open hardware concerne aussi les machines réputées complexes des biofablabs, avec, par exemple, le thermocycleur OpenPCR en open source.

Le système D et le hack restent des armes de choix pour l’avenir des fablabs, à l’image de la table vibrante DiY dénichée par Caroline Grellier, notre makeuse en matériaux, au laboratoire Potemat à Cotonou, fabriquée à partir d’un moteur de machine à coudre, ou l’imprimante céramique maison conçue chez les Fabriqueurs de Malakoff.

Table vibrante créée avec un moteur de machine à coudre. © Caroline Grellier

Des bras robotiques en plus

Toutefois, le temps des hommes est peut-être déjà compté car à l’horizon se profile… le robopocalypse. Fab manager-euse d’une équipe de robots, ça vous dit ? Les premiers à faire leur entrée dans les fablabs, ce sont les bras robotiques (en attendant la tête et les jambes), des machines de manipulation et d’automatisation des tâches. Une tendance vue sur le ton de l’humour par le laboratoire japonais Inami Hiyama où un opérateur est affublé de bras supplémentaires.

MetaLimbs, la robotisation tragi-comique du laboratoire Inami Hiyama (en anglais):

Pour l’instant, les bras robots sont plutôt des outils pédagogiques pour apprendre la programmation mais si l’on croit à l’industrie 4.0, la robotisation est à la porte des fablabs. Le pilotage à distance est aussi une expérience utilisateur qui pourrait se développer, pour louer le temps machine d’un fablab à distance et se faire livrer le résultat. A l’image de l’expérience Robochop que nous avions rapportée en mars 2015. On trouve déjà des bras robots capables d’imprimer ou de graver. Certains sont même open source, à l’instar de Dobot, financé sur Kickstarter.

Les premières livraisons de Dobot, le robot open source financé sur Kickstarter, sont annoncées. © DR

Bienvenue dans le virtuotypage

Tandis que les robots s’apprêtent à envahir le quotidien des labs, les humains, eux, pénètrent à corps perdu dans la matrice. Casques VR, manettes à six degrés de liberté, capteurs qui libèrent d’une position assise, équipements haptiques… notre enquête prouve que les réalités virtuelle et augmentée font leur entrée dans les fablabs.

Prototypage d’un casque en VR sur le logiciel Gravity Sketch:

Les makers, qui avaient tout fait pour échapper au tout informatique des années 1990, réinvestissent l’immatérialité pour augmenter les capacités de la CAO. Grâce aux capteurs, artistes et concepteurs retrouvent les gestes naturels de la fabrication manuelle. Les prototypes bénéficient d’une première vie, virtuelle, sans avoir utilisé un consommable. Enfin, pour effectuer des trajets rapides entre matérialité et immatérialité, les scanners seront amenés à équiper de plus en plus de fablabs.

EinScan-S, un scanner 3D financé en 2015 sur Kickstarter. © Shining 3D

Environnements austères

Quittons l’immatérialité pour nous confronter aux environnements hostiles. La Nasa expérimente depuis 2016 l’impression 3D en apesanteur en vue de l’implantation d’un fablab dans la station spatiale internationale (ISS) et lançait en mai 2017 un appel à projet pour imaginer les machines qui accompagneront les hommes dans la conquête de l’espace. Il est peut-être là, l’un des futurs des machines des labs : s’adapter à tous les environnements.

Le test de l’imprimante 3D dans une microgravité simulée en vol. © Nasa

La chercheuse Dara Dotz qui a travaillé sur la conception de l’imprimante de l’ISS établit un parallèle entre l’adaptation aux conditions spartiates de l’espace et celle des lieux coupés des zones d’approvisionnement. Elle est cofondatrice de l’ONG Field Ready, qui établit des fablabs dans des zones sinistrées. Dans les deux cas, les machines doivent être autonomes en énergie pour fonctionner avec les ressources que l’on trouve sur place. C’est aussi l’idée à l’œuvre derrière SolarSinter de Markus Kayser, imprimante qu’il a développée dans le cadre de ses études au Royal College of Art en 2011 et qui fonctionne par l’empilement de couches de sable solidifiées sous l’effet de l’énergie solaire. Donc au milieu du désert.

Projet SolarSinter, Markus Kayser (2011):

Green fablab

En attendant les fablabs dans le désert ou sur la face cachée de la Lune, les makers ne sont pas insensibles aux préoccupations environnementales. Car la fabrication additive dans sa version première (au plastique) pollue. Aujourd’hui, l’utilisation de plastiques biosourcés, comme le PLA à base d’amidon, est favorisée. Mais elle produit encore beaucoup de déchets. A terme, les fablabs s’équiperont de plus en plus de machines pour recycler les ressources d’impression. Il s’agit donc de trouver des solutions comme le fait le réseau Precious Plastic qui développe des protos et des tutos pour concevoir les machines capables de recycler et upcycler les résidus plastiques. En version plus commerciale, vient de sortir la Protocycler de Redetec, qui pour 1.300$, transforme les résidus en filaments.

Le Protocycler de Redetec. © Redetec