Makery

Ces chercheurs «contaminés» par l’esprit maker

Keynote participative dans une brasserie de l'est londonien. © Elsa Ferreira

Les 18 et 19 janvier à Londres avait lieu le second symposium du RGCS, réseau international de chercheurs autour des espaces de travail collaboratifs. Ou comment des universitaires qui étudient le coworking se mettent au coworking…

Londres, de notre correspondante (texte et photos)

Pour les chercheurs, les makers et les hackers ne sont pas des sujets comme les autres. « On a envie de s’amuser, de faire et pas seulement de parler, mais surtout on veut que ça ait du sens. Nous sommes les gosses du monde académique. J’adore discuter avec les makers et les hackers, je n’ai jamais autant appris », affirme François-Xavier de Vaujany, le très enjoué directeur du Groupe de recherche sur les espaces collaboratifs (RGCS).

Ce professeur à l’université Paris-Dauphine est à l’initiative du RGCS, créé en 2014 – même si, imprégné de l’esprit collaboratif, il préfère souligner l’effort collectif du réseau. Le point de départ est un groupe d’universitaires basés entre Londres, Montréal et Paris qui partagent un intérêt pour les « coworkers, makers, fabers et hackers », présente-t-il. « On a eu l’intuition que les systèmes organisationnels n’étaient plus les mêmes : tout est plus ouvert, plus fluide. Ça nous intriguait, les cadres qu’on avait l’habitude d’utiliser pour comprendre ne fonctionnaient pas. » Très vite, le groupe de travail se transforme en réseau, avec son site, ses réseaux sociaux et ses branches locales appelées chapitres. RGCS est désormais présent dans dix-neuf villes, de Singapour à Grenoble en passant par Berlin ou New York, et regroupe environ un millier de personnes.

Le second symposium du RGCS avait lieu dans l’ancien centre des médias du parc olympique de Londres.

Ces 18 et 19 janvier, dans l’ancien centre des médias du parc olympique de Londres qui accueille désormais l’université de Loughbourough, se déroule leur second symposium autour du thème « Coworkers, makers & hackers : de vraies opportunités pour renouveler les pratiques d’entreprises et d’entreprenariat ? ». En 2015 déjà, lors du premier symposium à Paris, le groupe se penchait sur la transformation du travail. « C’est un axe qui revient souvent. Cette tension entre une vision, une utopie, la recherche de l’inclusion sociale, l’activisme et le politique d’un côté, et puis le managérial de l’autre, avec du vocabulaire comme business model, profitabilité, sponsorship… » Pour beaucoup de chercheurs, détaille le directeur du RGCS, les makers ou coworkers sont « une fenêtre, un microcosme de quelque chose de plus gros : les transformations du travail, les freelancers, les communautés, les nouvelles formes d’entrepreneuriat ».

Coworking est-il un gros mot?

Au fil des présentations au format Pecha Kucha (20 diapos de 20 secondes pour 6mn40 montre en main), les chercheurs évoquent leurs recherches. On discute du coworking rural, de l’impact de l’impression 3D sur l’entreprenariat (moins de risques pour l’entrepreneur et des produits plus aboutis grâce à un développement plus long) ou encore de l’impact des retours négatifs et constructifs sur le développement et la maturation d’un projet : le « choc créatif » comme l’appellent Tuukka Toivonen et Onya Idoko, les chercheurs de University College London en charge de l’étude. « La créativité dans un espace collaboratif est toujours un mystère », énonce en introduction Toivonen, résumant ainsi un sujet de débat en vogue pendant ces deux jours. On retiendra la méthode de David Vallat, professeur à l’université Lyon-1 qui utilise le jeu de stratégie Avalon pour créer la collaboration parmi ses élèves. « Le statu quo, c’est le chaos. Si on veut de l’ordre, on est obligé de s’organiser », précise-t-il.

Pour les chercheurs, RGCS est le moyen de se tenir au courant des recherches en cours. « Les délais de publication peuvent aller de un an minimum à huit ans pour les revues les plus prestigieuses, explique Julie Fabbri, membre du bureau du RGCS et professeure à l’EM Lyon. C’est pour ça que les praticiens ne lisent pas nos papiers : c’est déconnecté du temps réel. Nous rencontrer nous permet de discuter et d’améliorer nos papiers. Avant, nous étions tous très isolés. » Julie Fabbri sait de quoi elle parle : elle est l’une des premières universitaires à avoir fait une étude sur le coworking. « Quand j’ai commencé ma thèse fin 2010, je n’avais pas le droit d’utiliser le mot “coworking” dans mon labo, c’était comme un gros mot. Le phénomène était tout jeune et ressortait plutôt de l’effet de mode, de la tendance. » Depuis, la pratique a pris de l’ampleur, s’est inscrite dans le temps et, à voir le nombre de jeunes chercheurs qui s’intéressent au sujet, est devenue un objet d’études tout à fait recommandable.

Julie Fabbri, l’une des premières chercheuses françaises à s’être penchée sur le coworking.

Universitaires hackés

Le réseau de chercheurs applique les recettes collaboratives à sa communauté. Résultat, dans un monde universitaire habituellement cloisonné, le RGCS a su regrouper les disciplines (urbanisme, architecture, géographie, sociologie…) et même attirer les « praticiens » : des architectes, entrepreneurs, activistes, artistes ou journalistes qui apportent au réseau une expérience différente.

« On se transforme à leur contact », estime le doctorant Mickael Peiro, qui, après s’être frotté au monde très hiérarchisé de l’hôtellerie de luxe puis des ONG, étudie la manière dont les décisions sont prises et les tâches réparties au sein des mouvements sociaux activistes comme les squats ou les hackerspaces. Du rôle d’observateur, il est passé à celui de participant « pour comprendre le sens que les acteurs donnent aux tâches qu’ils font quotidiennement mais également afin d’être accepté pleinement au sein du collectif, explique-t-il. Si nous n’étions pas spécialement activistes avant de passer la porte d’un hackerspace, nos nombreuses heures passées avec les hackers ont radicalement changé notre manière de comprendre les nouvelles technologies, notre manière de faire de la recherche, ainsi que notre vision de la société. Une jolie manière à mon sens d’incarner le faire », ajoute-t-il.

Mickael Peiro (université de Montpellier) et Olivier Piazza (université de Cergy-Pontoise), membres du RGCS.

Surtout, le réseau expérimente de nouvelles méthodes. Ainsi de OWEE (Open Walked Event-Based Experimentations), des « learning expeditions » (expéditions apprenantes), sorte de visites guidées thématiques couplées d’un rendez-vous networking, le tout live tweeté. Ce vendredi 19, les participants se mettent en marche dans le quartier arty de Shoreditch. Au programme de la visite : le Barbican Center et son architecture brutaliste, le Village Underground et son espace de coworking installé dans des wagons, pensé par l’architecte Nicolas Laurent, présent la veille dans l’assemblée, ou encore la charmante rue Columbia.

«Learning expedition» à l’espace de coworking du Village Underground.

Rythmées par la marche, les discussions se lient facilement. « Michel Denisot faisait de très bonnes interviews en marchant », rappelle Mickael Peiro pour illustrer la méthode. « Steve Jobs aussi faisait de grandes marches pour ses conversations difficiles », renchérit Olivier Piazza. Pour François-Xavier de Vaujany, ce sont plutôt les réminiscences de l’université de Bologne, dont les premiers cours se faisaient en marchant, qui l’ont inspiré. « Chacun y met son intuition émotionnelle », dit-il. La force du collaboratif.

Le site de RGCS et le calendrier des prochains rendez-vous