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Music Hackspace: le squatt, ça paie

Au hackathon autour des ondes cérébrales et du son, organisé par Music Hackspace en mars dernier. © Music Hackspace

En 2011, le Music Hackspace est un groupe de hackers bruyants qui se réunit au café. Six ans plus tard, le collectif s’installe dans une des institutions culturelles les plus prestigieuses de Londres. Rencontre.

A Londres, de notre correspondante

A Londres, l’art DiY s’invite jusque dans les circuits des surfaceuses. Sur la patinoire du parvis de Somerset House, institution culturelle londonienne, la machine Engo 170 SX sublime la glace sur une bande-son dronique inspirée des jeux vidéo rétro. Chaque soir, l’entretien de routine devient l’occasion d’un live unique : grâce à un capteur de mouvements, l’instrumentation s’adapte aux passages de la machine et aux conditions de la glace.

Sarabande for Zamboni, dont on peut écouter un très court extrait par ici, est signée Anna Meredith, artiste électronique, en collaboration avec la communauté d’artistes DiY Music Hackspace, réalisée dans le cadre du programme de résidence Somerset House Studios.

La surfaceuse interactive de Somerset House. © Somerset House

Music Hackspace fait partie de la première commission d’artistes du programme de résidence de Somerset House. Installés là depuis janvier 2017, ils y ont organisé des dizaines d’ateliers et conférences ouverts au public, tous liés au son : des editathons pour documenter le rôle des femmes compositrices dans la base de données de la British Music Collection, des week-ends d’ateliers pour créer ses instruments avec des artistes invités, des conférences sur la musique tech données par des artistes de la scène, comme l’artiste sonore péruvienne Maria Chavez, l’habitué des labels Warp et Planet Mu Tim Exile, ou encore le Polonais Kacper Ziemianin venu présenter son instrument DiY LightSeq…

LightSeq, le séquenceur lumineux de Kacper Ziemianin (2016):

Ils accueillent aussi des artistes en résidence. Tim Exile et son nouveau et mystérieux Projet Rockpoool, Tim Murray-Browne, qui a travaillé avec Anna Meredith sur la surfaceuse, Jack James et son approche sociale et politique du son ou encore Leslie Deere, qui manipule les ondes sonores sans interface physique via la Kinect de Microsoft. En tout, ce sont une cinquantaine de personnes qui composent Music Hackspace. En 2017, quelque 3.400 personnes ont assisté à leurs événements.

La conférence donnée par Kacper Ziemianin dans une salle de Somerset House. © Music Hackspace

Hackerspace itinérant

Si une résidence dans l’une des institutions culturelles les plus prestigieuses de Londres a un petit goût d’embourgeoisement, l’histoire du Music Hackspace fait résonner tous les ressorts de l’histoire des hackerspaces. L’autogestion, la problématique de l’espace, les difficultés liées à un espace ouvert à tous (a-t-on le droit de dormir dans un hackerspace et où mettre les limites ?), les problèmes de voisinage… la créativité et la résilience aussi.

Le Music Hackspace naît fin 2011 sous la forme d’un groupe de rencontre au sein du London Hackspace, sous l’impulsion de l’informaticien et directeur du développement produits de l’entreprise de lutherie électronique Roli, le Français Jean-Baptiste Thiebaut, et du développeur d’instruments de musique de la compagnie Rebel Technology, Martin Klang, retrace Tadeo Sendon, en charge de l’association en collaboration avec Susanna Garcia et membre du groupe depuis ses débuts. D’abord une vingtaine de personnes, le groupe et sa mailing list grandissent vite.

Tadeo Sendon, artiste sonore en charge du Music Hackspace dans les locaux de Somerset House. © Elsa Ferreira

La cohabitation avec les hackers du London Hackspace se passe bien. Au début, en tout cas. « Ils nous voyaient comme un groupe sain, une initiative à succès qu’il fallait encourager », retrace Sendon. Mais le bruit des machines ennuie les hackers occupés à des activités plus calmes. Le groupe migre donc vers le bureau de Martin Klang, qui se montre vite trop étroit.

Le Music Hackspace élit domicile au café du coin. Pendant deux ans, il y organisent leurs réunions et leurs concerts noise, avec une participation du public en dents de scie. « Pour les fêtes de Noël, on pouvait être jusqu’à 80. Parfois, une seule personne venait à nos événements », rigole Tadeo. Le groupe persiste et renforce sa présence et son portfolio en ligne. « L’audience n’est pas juste celle des événements », justifie-t-il.

En 2013, le London Hackerspace déménage et s’installe un peu plus à l’est. Le Music Hackspace reste dans son café – la rupture est consommée.

«C’était symbolique, on se séparait du lieu où on était né. Mais il n’y a jamais vraiment eu de friction. Les hackerspaces sont des lieux organiques, les groupes changent.»

Tadeo Sendon, Music Hackspace

Commence alors une itinérance qui ne prendra fin – pour un temps donné – qu’à leur installation à Somerset House Studios. « On s’est rendu compte que l’espace et l’entité n’ont pas besoin d’être liés. » Pendant un mois, ils s’installent au Barbican, pour Hack the Barbican, une exposition sans curation centrale ni budget – expérience que le centre artistique ne réitèrera pas. « C’était une sorte de joker », rigole Tadeo. Ils présentent le OxLork, ou Oxford Laptop Orchestra, placent des micros dans le centre pour capturer et recréer l’environnement et l’esthétique sonore brutaliste du bâtiment et organisent des concerts et installations sonores collectives. Ils remportent ensuite une compétition pour investir pendant un an un container transformé en studio, à quelques pas du London Hackspace. C’est à ce moment-là qu’ils lèvent pour la première fois des subventions du département des arts britannique et que leur pratique devient plus professionnelle. « On a enfin pu commencer à se payer. »

Le groupe s’installe ensuite dans le hub technologique Limewharf pendant un an et organise plusieurs événements au V&A Museum of Childhood. « A chaque fois qu’on commençait à perdre patience, quelque chose de bien arrivait. » Jusqu’à janvier 2017, où ils obtiennent leur résidence à Somerset House Studios, aux côtés de Makerversity ou de studios d’artistes et designers. Aujourd’hui, ils ont encore deux ans, le temps de développer leurs activités sans courir après les financements et les lieux d’accueil. « Le rêve, ce serait d’avoir notre propre espace, pose Tadeao Sendon. De ne plus être sous la coupe d’une autre institution. »

Musique DiY, naissance d’une communauté

Le déménagement de l’Est londonien, arty et dynamique, au moins accessible et plus institutionnel centre de Londres, ne s’est pas fait sans dommages. « Nous avons perdu une partie de notre base, concède Tadeo, qui précise néanmoins que les ateliers de synthé DiY mobilisent une communauté fidèle. Mais notre audience a aussi grandi. L’implication du public est plus grande et plus forte. »

Le groupe profite aussi d’un intérêt grandissant pour cette scène qui mêle musique et technologie. « Je pense que la communauté a toujours été là mais c’est certain qu’elle est plus visible et qu’elle a appris à mieux montrer son travail », analyse Tadeo. Elle trouve son identité aussi : Hackoustic, groupe de hackers musicaux qui a commencé au London Hackspace quelques années après le Music Hackspace, se concentre ainsi sur le hacking d’instruments analogiques, tandis que Music Hackspace préfère l’électronique et les logiciels. Les représentants de la scène algorave viennent également régulièrement animer des ateliers pour apprendre les bases des langages de programmation TidalCycles et SuperCollider.

Un atelier Tidal avec Jack Armitage. © Music Hackspace

Après la phase intense du home studio, celle des producteurs en chambre, où les musiciens amateurs ont enfin eu accès à tous les outils pour créer leur studio – « une sorte de révolution industrielle », juge Tadeo –, les groupes comme Music Hackspace agissent comme agrégateur social. « Il y a eu beaucoup d’enthousiasme mais après un certain temps, tu te rends compte que toi, ta maison et Internet, ça ne suffit pas. Tu as besoin de rencontrer des gens, de collaborer. Le mélange et le réseautage sont importants pour être un artiste proactif. »

Le site du Music Hackspace