Makery

La double face des masques Moving Masks

Julie Stephen Chheng porte son «Moving Mask» en mode selfie. © Cherise Fong

Avec leurs masques en papier et réalité augmentée, Julie Stephen Chheng et Thomas Pons transforment nos peurs luddites en théâtre ludique.

Tokyo, de notre correspondante

Des TechShop qui ferment aux Etats-Unis au fablab incendié en France, en passant par la reconnaissance faciale faillible du dernier iPhone, cette fin d’année 2017 annonce un sombre avenir pour la démocratisation des nouvelles technologies. C’est tout le contraire que proposent Julie Stephen Chheng et Thomas Pons, jeune couple d’artistes experts ès papier augmenté, qui font revivre l’esprit du carnaval du masque traditionnel grâce à la reconnaissance faciale et la réalité augmentée (RA).

Nous les avons rencontrés lors de leur bref passage à Tokyo où ils étaient venus installer les vitrines de Noël d’Hermès dans le quartier doré de Ginza. Dans un izakaya (bistrot) relax sous un pont de métro, ils nous ont montré leur dernier projet, Moving Masks, suite de leur série Moving Cards. Où ils se proposent d’animer des objets papier (cartes de vœux, stickers, masques) en réalité augmentée sur les écrans de nos smartphones.

Démo d’un «Moving Mask» porté par Julie Stephen Chheng à Tokyo:

« Tous nos masques sont entièrement faits main, découpés au TechShop parisien, packagés à l’atelier Volumique et vendus sur Etsy », explique Julie. L’application gratuite pour smartphones Moving Cards (iOS/Android) permet de voir les animations superposées au masque en mouvement. L’effet est encore plus délirant en mode selfie, où les pleins pouvoirs de la reconnaissance faciale et des formes sont rendus à l’individu, qu’il s’admire dans le miroir ou se filme en Narcisse.

On a profité de leur passage pour poser quelques questions à Julie Stephen Chheng.

Comment vous est venue l’idée de ces masques multicolores qui rappellent le carnaval brésilien?

L’inspiration vient principalement d’un clip qu’on a fait avec Thomas Pons qui utilisait SnapChat et son filtre de dessin en reconnaissance faciale. A ce moment-là, nous voulions l’utiliser comme un outil de création et d’expérimentation. Avec la réalité augmentée, j’essaie de faire de même en utilisant le téléphone comme objet de transformation et d’ouverture à l’imaginaire.

«Meat», Hezad & Caradec, réal. Julie Stephen Chheng et Thomas Pons (2016):

Aujourd’hui, beaucoup de filtres faciaux sont à disposition sur les réseaux sociaux et j’ai voulu m’en inspirer ainsi que d’autres spécificités d’usages numériques pour proposer un filtre qui s’installe dans le monde réel. Il est à la fois réel et virtuel, c’est un objet qu’on connaît tous, le masque, mais on l’actualise avec l’animation d’aujourd’hui. Quant aux illustrations, effectivement je me suis inspirée des masques brésiliens, des kimonos japonais. Je voulais quelque chose de pop, mi-festif mi-tribal, qui plaise à la fois à un public de fêtards et d’enfants.

Que racontent ces masques?

Il y a six personnages : une diva, un roi, un hibou, un oiseau, un ours et un koala. J’ai pensé à ces personnages en les designant, puis j’ai confronté mes illustrations à Thomas Pons. En tant que réalisateur de films d’animation, il a un univers plus dark et mystérieux et s’amuse à y intégrer ses propres fantaisies. Le koala par exemple, il l’a transformé dans l’animation en chien avec un museau. Le hibou, il lui a mis des tentacules, ce qui le rend très tribal. On arrive ainsi à toucher à la fois des adultes et des enfants. Chaque masque a deux versions animées : une narrative (l’oiseau se met à chanter, le koala éternue, le hibou sort ses tentacules, le roi se fait pousser la barbe, la diva rit, l’ours a les yeux qui brûlent) puis une plus festive (les motifs des masques dansent).

Y a-t-il une symbolique du masque augmenté?

Le masque est un outil social très puissant. Il est présent partout dans le monde. Le masque prend encore une autre dimension avec les réseaux sociaux d’aujourd’hui et la présence des smartphones. Proposer des masques au public, c’est lui proposer de se dissimuler, de jouer, d’imiter et d’activer son imaginaire. L’ajout de la réalité augmentée permet de mêler l’animation avec le quotidien, d’entremêler le virtuel avec le réel, de basculer dans le merveilleux tout en interagissant avec nos objets physiques. Cela apporte de la magie et crée un contexte favorable au partage et au jeu.

«Moving Masks», Julie Stephen Chheng et Thomas Pons (2017):

Comment vois-tu le futur proche de la réalité augmentée mobile?

J’imagine bien de la réalité augmentée directement à travers notre caméra de portable. Il n’y aura sûrement plus besoin de télécharger une application dédiée. Elle sera sûrement interactive, c’est-à-dire qu’on pourra interagir avec le filtre virtuel. Il y aura sûrement de l’information, de la pub, mais aussi de la poésie et de l’art.

Et le futur du papier?

Il se portera très bien, ça, j’en suis persuadée ! Le papier n’a pas de limites temporelles, il est précieux, fragile, puissant, il se travaille à volonté, prend d’innombrables formes. Il est l’outil indispensable à la création. Beaucoup de gens expérimentent avec le papier, avec de l’encre spéciale, des LEDs, des Arduino ou juste de l’ombre, des plis, des trous, de l’écriture, du son. Il y a encore beaucoup de choses à raconter avec du papier. D’ailleurs, je vous invite à voir le blog d’Etienne Mineur (fondateur de l’atelier Volumique, ndlr) qui explore toutes les expérimentations autour du papier et du jeu. C’est une mine d’or !

«Moving Masks» (6 masques papier, 19,75€) sur le site de Moving Cards