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Insectes électro, synthés prêts-à-porter et rave à l’algo à Londres

Dawid Liftinger réunit le public autour d'un feu de camp électronique. © Ollie Paxton for Giguana

Programme titanesque pour festival hors du commun. Du 20 au 30 septembre, Londres accueillait Unconscious Archives, un festival à la croisée des arts, de la musique et du DiY.

Londres, de notre correspondante

Quelle semaine ! Ça avait pourtant mal commencé. Dimanche 24 septembre, on se faisait refouler devant la porte du Café OTO, qui accueillait la première soirée du festival Unconscious Archives. Sold out. Mince alors, on pensait faire partie des rares hurluberlus à vouloir assister à cet étrange spectacle expérimental son et lumière DiY.

L’artiste Leafcutter John et ses expérimentations électroniques lumineuses. © Ollie Paxton for Giguana

Un peu présomptueux sans doute, au vu de la programmation pensée par Sally Golding, artiste et curatrice d’origine australienne installée à Londres. Quatre ans après sa première édition, et autant de séries d’événements Unconscious Archives, le festival cette année en formation complète proposait une quarantaine d’artistes pour trois soirées et une exposition. 500 spectateurs plus tard, plus quelques centaines pour l’exposition, l’édition 2017 est un succès. « Les gens ont une vraie curiosité pour la diversité, se réjouit Sally Golding. En mélangeant les scènes (le cinéma, le noise, la scène club), on réunit des publics aux intérêts parfois différents. »

Feu de camp et paysages électroniques

Ce premier soir, donc, la soirée Compositional Constructs réunissait une affiche d’artistes inventeurs qui fabriquent leurs propres machines, complexes, poétiques et lumineuses – au sens propre comme au figuré.

L’artiste hollandaise Mariska de Groot ouvrait le bal avec Stirred Mandala, une œuvre circulaire, sorte de thérémine à 360 degrés. « C’est incroyablement innovant, s’enthousiasme Tom Matchett, fondateur de FAD Live, partie vidéo du magazine d’art contemporain FAD, qui a filmé l’intégralité du festival. La manière dont elle interagit avec son instrument, dont cela change les textures… c’est un sentiment d’immédiateté très puissant. »

Leafcutter John, tête d’affiche de la soirée (son nom a dépassé la scène expérimentale grâce à son groupe de post-jazz Polar Bear), John Burton de son vrai nom, présentait ensuite Light Interface, une grille photosensible sur laquelle il fait se refléter différentes sources de lumières, comme des phares de vélo où une mini-boule à facettes. « Un voyage musical délicat à travers un paysage électronique synthétisé interprétatif et sensible », écrit Tom Matchett.

«Stirred Mandala», Mariska de Groot, Unconscious Archives 2017, par FAD Live:

L’Autrichien Dawid Liftinger enchantait les heureux présents avec son interface numérique de logiciel Arduino et relais électromagnétiques qui permet d’allumer et éteindre des tubes néons, provoquant des bruits de claquements enregistrés puis amplifiés, comme un feu de camp électronique. Enfin, Myriam Bleau, artiste numérique originaire de Montréal, fermait la danse avec Soft Revolvers, une installation faite de toupies lumineuses et translucides qui contrôlent une lumière LED en même temps qu’elles génèrent de la musique au tempo des tours/minutes, détectés grâce à des capteurs placés dans les toupies-instruments.

Algorave et hallucinations stroboscopiques

On se consolait d’avoir loupé tout ça à l’expo Emotion + the Tech(no)body au Forum culturel autrichien de Londres. Étrange exposition qui interprète notre attachement culturel et émotionnel aux données et le lien corporel à la technologie. Là-bas, les cigales et autres insectes de nos nuits d’été sont devenus des êtres d’écrans et circuits électroniques dont les chants se modulent au passage du visiteur, dans l’œuvre In Summer Nights I looked for Insects (2017), de Davide Bevilacqua et Veronika Krenn. Au sous-sol, Audrey Samson organise les funérailles de nos datas avec son installation Goodnight Sweetheart (2015), où elle embaume dans du plastique ses clés USB et navigateurs GPS. A l’entrée, les lignes de la main de l’artiste Reni Hofmüller s’affichent en XXL et en ruban adhésif conducteur électrique.

Les insectes électroniques de Davide Bevilacqua et Veronika Krenn. © Elsa Ferreira

Il faudra attendre jeudi 28 septembre, et la grande soirée Haptic Somatic, pour découvrir l’étendue de la programmation musicale. Dans les deux salles de Corsica Studios, l’un des clubs électroniques les plus pointus de Londres, se succèdent des artistes noise et expérimentaux devant un public conquis. Le compositeur Laurie Tompkins donne une performance erratique à base de sacs Ikéa et bruits intempestifs, tandis que la bruitiste australienne Tara Pattenden, alias Phantom Chips, se pavane dans ses synthés prêts-à-porter faits maison. Mais c’est surtout Yaxu, cofondateur du mouvement Algorave, des soirées live coding où musique et visuels sont écrits en direct, que l’on attendait. Pendant une demi-heure, l’artiste originaire de Sheffield improvise sous nos yeux à coups de samples et de codes. « Algorithmic generation, we love repetition », fait-il chanter son ordinateur.

Phantom Chips sur la scène d’Unconscious Archives et sa collerette-synthé. © Ollie Paxton for Giguana

Mention spéciale à Ewa Justka, artiste polonaise basée à Londres qui ne s’encombre pas de manières. Sa table de mixage au milieu de la pièce, et un t-shirt qui affiche « Everything going wrong at the same time » (tout va mal en même temps), elle balance des lumières stroboscopiques de plusieurs milliers de watts assorties d’un son si violent qu’il provoque des distorsions visuelles chez les spectateurs. Avant de couper le son aussi sec qu’elle l’a allumé. Mic drop. Applaudissements à tout rompre d’un public amusé et désorienté.

La soirée finit sous des auspices plus doux (ou presque) avec la productrice allemande Ziúr qui vient présenter son premier album, U Feel Anything, sorti le 6 octobre sur le label orienté Intelligent Dance Music, Planet Mu. Une expérience sonore texturée exigeante et ambitieuse sur fond d’animation LED.

Les distorsions visuelles d’Ewa Justka. © Ollie Paxton for Giguana

Le cinéma muet qui nous parlait

Cette programmation pointue et titanesque est portée par Sally Golding, artiste performeuse et curatrice depuis 2004. C’est d’ailleurs son secret : elle sait les difficultés de présenter de l’art expérimental live. « C’est important de comprendre comment le travail d’artiste est créé, et comment il peut être mis en scène, présenté et mis en avant. » Sally a créé le festival à son image. Elle puise pour cela dans son travail, dans lequel elle mêle les lumières, les créations sonores et la projection cinématographique.

«Spirit Intercourse», Sally Golding (2015):

Après Compositional Constructs et ses lumières DiY et la sonique Haptic Somatic, c’est donc au cinéma que la dernière soirée du festival, Narrativize, était dédiée. Le lieu était choisi, une fois encore, avec grand soin. Au cinéma Close-Up, une salle indé à l’arrière d’un bar qui fait location de DVD (indé) et bibliothèque de livres sur le cinéma au cœur du quartier arty de Shoreditch, une quarantaine de personnes s’est donné rendez-vous pour une séance de cinéma en direct.

L’introduction est conceptuelle : une poésie déclamée à deux voix par deux des membres du groupe Secluded Bronte accompagne les images en 16mm de la bobine moisie d’un essai cinématographique sur l’échec, dans une mise en abyme sophistiquée. La suite se fait plus accessible : l’artiste londonienne Foxy Moron berce les spectateurs de son thérémine et ses nappes de voix, et raconte l’histoire de Bussa, esclave de la Barbade qui mena l’une des plus grandes rébellions des territoires coloniaux britanniques. A l’écran, ses recherches web, onglets compris – « un acte très intime en 2017 », explique-t-elle. Puis Esperanza Collado, artiste chercheuse d’origine espagnole, affiche un film muet qui intime pourtant au public toutes sortes d’actions comme regarder en direction des projectionnistes ou hurler à gorge déployée dans cette salle insonorisée (« une opportunité unique », insiste le film. On ne se fera pas prier…).

Le festival se clôture avec autant de génie qu’il s’est ouvert – mais cette fois-ci, nous sommes là ! L’Autrichien Jörg Piringer avec l’œuvre abcdefghijklmnopqrstuvwxyz fait danser les lettres de l’alphabet avec son logiciel maison en leur insufflant sons et effets en direct. Les voilà qui rebondissent, tournent et explosent. Une simplicité poétique qui souligne d’autant la performance technique. Quelle semaine, on vous dit, quelle semaine !

«abcdefghijklmnopqrstuvwxyz», Jörg Piringer, Unconscious Archives 2017, par FAD Live:

Le site du festival Unconscious Archives 2017

Voir l’intégralité des vidéos des performances de la soirée Compositional Constructs ou Narrativize sur le site de FAD