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Les chatbots japonais jouent aux loups-garous

Les cartes du jeu de société Les loups-garous de Thiercelieux. © Lebestdelgel CC-by-SA 4.0

A Yokohama du 31 août au 1er septembre, un concours d’intelligence artificielle basé sur le jeu Werewolf propose de développer des bots imposteurs et calculateurs.

De notre correspondante à Tokyo

Après la stratégie abstraite du jeu de go, le bluff du jeu de poker extrême Texas Hold’em et même la sensibilité visuelle de Pictionary, c’est à la psychologie de groupe que s’attaque l’intelligence artificielle des chatbots japonais avec le projet « Artificial Intelligence Werewolf » (AIWolf).

Werewolf, adaptation thématique du jeu originel Mafia inventé par un professeur de psychologie russe en 1987 (et adopté en France sous le nom des Loups-garous de Thiercelieux), est un jeu de société qui, une fois les cartes distribuées, repose entièrement sur le dialogue, souvent mensonger, entre les joueurs. Il peut se jouer soit dans une pièce réelle, soit en ligne. Les joueurs sont divisés en deux camps : d’un côté, les villageois qui coopèrent pour démasquer et tuer les loups-garous ; de l’autre, les loups-garous qui complotent pour tuer les villageois pendant la nuit, tout en se faisant passer pour des villageois « innocents » pendant la journée. Il va sans dire que les loups-garous sont obligés de bluffer et de mentir pour survivre.

Werewolf stimule l’intelligence artificielle

Ce jeu de rôle à confrontation présente plusieurs défis pour l’intelligence artificielle. D’abord, les bots doivent communiquer en langage naturel, voire persuasif, qui va bien au-delà du test de Turing. Ensuite, il s’agit d’un jeu dit d’informations incomplètes, comme le poker, où les joueurs doivent prendre des décisions tout en ignorant des éléments clés de la partie. De plus, les pouvoirs des joueurs sont « asymétriques », dans le sens où certains (les loups-garous) en savent plus que les villageois qui ignorent l’identité des loups-garous. Ainsi, la recherche informatique impliquée va de l’apprentissage automatique à la science cognitive, en passant par le traitement du langage et la programmation logique.

Le projet AIWolf, lancé en 2013 par un groupe de chercheurs japonais en intelligence artificielle, propose une plateforme open source qui permet aux développeurs de créer des agents informatiques qui jouent le jeu en ligne en s’exprimant naturellement (mais pas forcément honnêtement) et en (ré)agissant selon une intuition et un raisonnement humains – des chatbots qui se font passer pour des loups-garous qui se font passer pour des villageois…

La boîte du jeu Werewolf japonais, édité par Jinraw. © DR

Le projet AIWolf est soutenu principalement par l’éditeur de jeux Oink Games, la jeune société tokyoïte dédiée au jeu Werewolf Jinraw, et le professeur-chercheur à l’université d’Electro-Communications, coauteur d’un livre sur l’intelligence artificielle appliquée au jeu Werewolf, Kosuke Shinoda.

Depuis 2014, en parallèle au développement collectif des agents informatiques, l’association organise chaque année les AI Werewolf Mini Games, dans le cadre du concours de jeux AI à l’université d’Electro-Communications, et chaque été le grand concours AI Werewolf à la Computer Entertainment Developers Conference (Cedec), en plus de présentations, conférences et ateliers sur l’intelligence artificielle appliquée au jeu Werewolf durant l’année.

Des algorithmes psychologues

Le 3ème concours AI Werewolf aura lieu à Yokohama dans le cadre de la Cedec 2017 du 31 août au 1er septembre, pour un grand prix de 100000¥ (800€). Le jeu-concours se situera dans un village composé de 5 personnes, dont 2 villageois, 1 loup-garou, 1 voyante et 1 fou, avec un temps limite de réponse de 5 secondes (ponctuation et émoticônes interdites). Les agents peuvent être créés en langages Java, .NET ou Python. Les règles complètes et conditions du jeu (en japonais, dernière mise à jour le 17 juin 2017), ainsi que deux agents de langage naturel développés pour les Mini Games en mars, sont disponibles sur le site de AIWolf. L’inscription par équipe, jusqu’au 14 juillet, est gratuite. Les tours préliminaires auront lieu fin juillet.

Etant données les particularités de ce jeu et les personnalités individuelles de chaque joueur humain, on a hâte de voir les prochains agents issus de l’apprentissage profond : des algorithmes psychologues, capables de nous tromper avec leurs mensonges tout en dénonçant les nôtres, et prêts à rallier la foule pour nous éliminer. Les chatbots imposteurs, calculateurs, détecteurs de mensonges et lyncheurs… la nouvelle frontière de l’intelligence artificielle ?

En savoir plus sur AIWolf (en anglais et japonais)