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A Lyon, la Myne expérimente l’entrepreneuriat coopératif

Masterclass sur l'organisation du travail dans les hackerspaces à la Myne le 18 mai. © Elsa Ferreira

La Myne est une communauté ouverte qui fait des affaires. Pour concilier ses activités, le tiers-lieu peaufine un hacking juridique du modèle coopératif.

Lyon, correspondance (texte et photos)

Le 18 mai, la Myne recevait les sociologues Michel Lallement, auteur de l’ouvrage de référence L’âge du faire, et Marie-Christine Bureau. C’est que la Myne a un nouveau projet qui intéresse les deux spécialistes du travail : développer une entité interne au hackerspace qui permettrait de gérer les partenariats économiques et les opportunités commerciales. « Un piratage juridique » baptisé Oxamyne, explique-t-on à la Myne.

Réunion au sommet à la Myne. A droite, Marie-Christine Bureau et Michel Lallement.

Il faut dire que depuis son ouverture il y a deux ans, la Myne et ses 40 membres actifs ont fait fructifier leurs activités. L’Atelier Soudé, atelier de réparation et recyclage d’appareils électroniques né au sein du hackerspace, se développe et essaime ; un foodlab est en gestation en partenariat avec un restaurant de la ville ; des projets ont été portés pour la Biennale du design de Saint-Étienne en mars et avril dernier ; des accords ont été créés avec le cabinet d’études et de conseils Nova7, l’école supérieure des beaux-arts de Lyon, la médiathèque du Rize à Villeurbanne ou encore avec la plateforme des communs scientifiques Coexiscience.

Côté entreprises aussi, la Myne attire : Veolia, Bouygues ou Nexity se sont montrés intéressés, ainsi que des PME de l’économie numérique. Bref, « le carnet de commandes est plein », fait savoir Benjamin Chow-Petit, membre actif, qui annonce 150000€ d’activités pour l’année à venir, et ce, « avant même d’avoir fait de la prospection commerciale ».

Reste à intégrer cette manne commerciale dans cette maison de communauté qui porte haut les valeurs du hackerspace ouvert à tous et géré en conseil collégial. Ces relations commerciales « sont difficiles parce que nous n’avons pas les outils pour les gérer, on expérimente tout le temps, explique Benjamin Chow-Petit, qui, avec son épouse Connie, est l’un des plus impliqués dans le projet Oxamyne. Le problème est que souvent, l’activité économique reste concentrée sur un groupe d’une vingtaine de personnes. On veut fluidifier tout ça. »

Protéger les entrepreneurs

La première étape a été de créer des « contrats de réciprocité », par lesquels « les parties prenantes déclarent qui elles sont et ce qu’elles attendent de la relation », décrypte Benjamin. Un outil juridique donc, mais qui statue autant sur les valeurs que sur les contraintes des parties. « Par exemple, illustre Benjamin, on collabore avec la coopérative scientifique Coexiscience, qui a des réticences sur les start-ups et l’ubérisation qu’elles peuvent apporter. De notre côté, nous redoutons les chartes qu’ils utilisent et qui enferment. Nous avons parfois eu des difficultés à communiquer mais nous partageons les mêmes valeurs. Alors on a passé un accord par lequel on se dit “on se comprend, donc on va se faire confiance a priori”. »

Seconde étape : créer un outil pour organiser un « continuum socioprofessionnel et économique » au sein de la Myne, explique Benjamin, et assurer la redistribution des fruits des activités économiques. Ce sera le rôle d’Oxamyne, une entité développée en collaboration étroite avec la coopérative d’activités et d’emplois Oxalis.

Les coopératives d’activités et d’emplois (CAE), c’est justement l’un des objets d’étude de Marie-Christine Bureau. Attablée dans le salon de la maisonnette de deux étages, la sociologue retrace l’histoire de ces constructions juridiques et communautaires détenues par ceux qui y travaillent. « Une histoire lyonnaise, souligne-t-elle. En 1960, les premiers du genre avaient été créés pour sécuriser la vie des travailleurs de la soie dont les activités étaient irrégulières. » Sous l’impulsion des politiques publiques – « le discours était alors “les chômeurs n’ont qu’à créer leurs entreprises” », indique-t-elle – le modèle se développe pour accompagner ces nouveaux entrepreneurs aux reins parfois peu solides.

La discussion est technique. On parle d’entrepreneurs salariés – une « abomination au niveau du droit du travail » jusqu’à sa consécration en 2014 par la loi Hamon, souligne la sociologue –, de liens de subordination, de protection sociale et de droit coopératif, pan juridique différent du droit du travail qui pourrait être source de protection pour les nouveaux entrepreneurs. « On n’a pas les connaissances nécessaires, reconnaît Charlotte Rizzo, membre active de la Myne. Or, pour hacker les règles, il faut d’abord les connaître. »

Entrepreneuriat et redistribution communautaire

Car si le hackerspace compte se doter d’une entité inspirée de la coopérative Oxalis, les règles doivent être adaptées au fonctionnement particulier du lieu. Contrairement à Oxalis, les membres de la Myne ne sont pas nécessairement entrepreneurs et n’attendent pas que la Myne soit leur source première de revenus, analyse Samuel Barreau, employé de la coopérative en charge du projet Oxamyne. « La Myne a une gestion très communautaire de l’activité économique alors qu’à Oxalis, l’activité est individuelle. On mélange des façons de faire très entrepreneuriales et très ouvertes et communautaires. Comment va-t-on gérer la redistribution de la richesse économique produite au niveau d’Oxamyne ? Va-t-on financer d’autres projets, rémunérer d’autres personnes ? »

Les deux entités ont donc entamé un dialogue sur les besoins et envies des membres de la Myne. Un chercheur membre y consacre son sujet d’étude et Michel Lallement et Marie-Christine Bureau gardent aussi le hackerspace à l’œil. « Oxamyne représente une tentative particulièrement intéressante pour articuler la libre expérimentation qui est la raison d’être de la Myne et la rémunération du travail fourni dans le cadre d’opportunités commerciales », estime Marie-Christine Bureau. Une réflexion récurrente dans ces labs hybrides, ajoute celle qui revient d’un tour de France des tiers-lieux en compagnie de Michel Lallement, qui donnera bientôt lieu à un livre. « Un certain nombre de lieux se financent en faisant payer l’accès aux ressources (espaces, machines, formations, etc.), à la différence de la Myne dont les membres ont fait le choix d’établir plutôt des “contrats de réciprocité”. »

Une fois la partie administrative passée, qui devrait durer environ un mois selon Benjamin Chow-Petit, les membres de la Myne s’appuieront sur les contrats en cours pour expérimenter et fonctionner par « itération ». « On saura plus tard si on est dans l’innovation, ce qui est sûr, c’est qu’on est dans l’exploratoire », énonce Samuel Barreau.

Le modèle, qui sera, comme les autre projets de la Myne, documenté, pourra-t-il ensuite servir à d’autres tiers-lieux ? « On a d’abord besoin d’explorer et de l’essayer avant de dire qu’on peut reproduire et essaimer », tempère-t-il. Ce qui est sûr, c’est que la situation est nouvelle. « Même si on était en lien avec ces nouvelles formes de travail et écosystèmes, c’est la première fois qu’on est intégré (avec Oxalis, ndlr), se réjouit Samuel Barreau. La découverte des hacklabs aussi est une nouveauté. C’est une expérience réciproque de rencontre de deux mondes. »