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Hack The Earth, le labo écolo décadentiste de Calafou

La colonie industrielle de Calafou, près du village de Vallbona d'Anoia en Catalogne. © CIC CC

Calafou, la colonie catalane éco-industrielle postcapitaliste, organisait du 14 au 16 avril Hack The Earth. Benjamin Cadon (Labomedia) raconte comment s’y dessine un chemin biopolitique soutenable et désirable.

Calafou (Catalogne, Espagne), correspondance

C’est un terreau de politique et de pratique qui se fertilise maintenant depuis cinq ans à Calafou à l’occasion de la manifestation Hack The Earth (HTE), à base d’ateliers, tables rondes et conférences. Le tout est structuré en trois zones spatio-temporelles : la zone « Hacking » où s’entremêlent technologies libres, arts et science ; la zone « Nouvelles structures » autour du coopérativisme, des modes d’organisation en réseau, de la fédération de compétences, et la zone « Matériel » où s’expérimente la réappropriation de matériaux traditionnels, où s’inventent de nouvelles techniques contribuant à plus d’autonomie.

L’ancienne colonie industrielle Calafou, à 60km de Barcelone. © CC CIC

Calafou, un lieu atypique d’anticipation du futur

Calafou est une ancienne « colonie industrielle » basée en Catalogne, à 60km à l’ouest de Barcelone. Il en existe une centaine dans la région, construites au XIXème siècle, héritage des premières heures de l’industrie du textile qui venait prendre l’énergie des rivières tout en regroupant ateliers, logements, écoles et lieux de culte dans une logique féodale et patriarcale de contrôle des travailleurs et de leurs familles.

C’est dans ce lieu que la Coopérative intégrale catalane (CIC) a choisi d’établir une nouvelle coopérative de logements sociaux en 2011 en proposant à son propriétaire une location avec option d’achat afin de lui redonner vie et d’y développer du bien commun et de nouvelles formes productives et économiques, dans une logique sociale et solidaire.

A ce jour, une trentaine de personnes y résident à l’année qui développent dans les 28000m2 du lieu les projets les plus divers : de la micro-brasserie, du développement informatique, du bio-art, des expérimentations électro-bio-chimiques, des collectifs gynépunks (un des projets de Pechblendalab), de la fabrication bois et métal, de l’autonomie énergétique et technologique, de la phytoépuration, un réseau de producteurs bio, la confection de repas… Sans oublier des événements thématiques qui regroupent souvent des gens issus de toute la planète, autour de sujets comme les moteurs écologiques, des outils autonomes pour l’Internet (backbone409), des ateliers de sécurité digitale, des journées portes ouvertes et anniversaires, un festival de cinéma rural, des rencontres de circassiens, des projets autogérés, des hackmeetings, des bibliothèques numériques publiques (Public Digital Library), des événements TransHackFeminist… Voyez plutôt par ici l’historique de tous les événements à Calafou.

Dans cet espace de Calafou se trouvent un biolab, un labo de philo, l’anarchaserver, le Pechblendalab et l’observatoire à oiseaux. © George Dafermos CC 

Bordé d’un côté par l’une des rivières les plus polluées d’Espagne et de l’autre par un pont routier, Calafou n’est pas un lieu de villégiature bucolique, mais bien plutôt un espace inconfortable et poétiquement attachant dans lequel surgissent de nouveaux imaginaires et se posent des questions sur le type de décroissance que nous voulons et comment opérer de la transformation en multipliant les zones d’interventions.

Des imaginaires gynépunks, transhackféministes, défendant la souveraineté technologique et le décadentisme sont directement liés à Calafou et ses habitants. Néanmoins, les défis restent nombreux, depuis la situation économique du projet, qui reste précaire, les processus de réhabilitation qui manquent souvent des matériaux adéquats et la vie collective du lieu qui implique inventions, contentions et consensus au quotidien. Au final, c’est bien cette trépidante aventure humaine (animale et végétale) qui en fait tout l’intérêt.

Calafou, plan du lieu. © Agent Liquide CC

Quatre éditions pour sauver la planète

Peut-être en faudra-t-il encore quelques-unes pour arriver complètement au but ? Toujours est-il que l’on retrouve d’une année sur l’autre à Hack The Earth des principes récurrents, notamment autour de l’idée de subvenir à ses besoins quotidiens par une approche low-tech du fabriquer ensemble. Il s’agit en effet d’imaginer comment construire et maintenir des infrastructures pour l’eau, l’électricité, le chauffage, les services informatiques, en étant le plus respectueux de la planète et le moins dépendant d’un système mondialisé.

Entre l’instrumentalisation de la nature et le commensalisme avec les végétaux, bactéries et champignons, des expériences et réflexions sont menées pour purifier l’eau, utiliser les plantes médicinales, suivre la qualité de l’environnement et la diversité de sa faune, produire du compost, dépolluer les sols, faire de la permaculture assistée par Arduino ou encore… laisser les poules en liberté.

La question de la colonisation des corps est aussi présente, de la médecine et gynécologie DiY à nos pratiques toxiques du quotidien. Les hackers écolos comme ceux tournés vers l’informatique échangent et créent de la connaissance autour de ces questions.

Atelier autour des plantes locales et de la cosmétique naturelle. © Larissa CC 

Quels modèles technologiques et organisationnels à suivre?

Plus d’une centaine de personnes issues principalement d’Espagne mais aussi de toute l’Europe se sont ainsi retrouvées pour l’édition 2017 de HTE qui s’inscrit dans cette continuité, avec une attention particulière portée sur les modes d’organisation alternatifs aux modèles dominants. Coopérative d’activités et d’emplois dans la région de l’Anoia, groupement professionnel de créatrices et développeuses féministes, coopérative de production d’énergie renouvelable, fédération des micro-brasseries de Catalogne : autant d’exemples qui démontrent qu’il est possible d’entreprendre autrement et surtout de façon plus solidaire.

Un regard critique est également porté sur les technologies numériques que l’on emploie abondamment sans toujours en mesurer le coût écologique et social. On discute du spectre électromagnétique comme d’un bien commun et les drones et autres caméras surveillent plutôt la qualité de l’eau dans la rivière.

On y apprend également comment réutiliser des batteries usagées, produire de l’électricité avec de la mousse, fabriquer des bicyclettes en bambou, fondre du métal avec de l’énergie renouvelable, faire du lockpicking, scanner un livre, écouter les chauves-souris, se détendre en écoutant une musique ondulatoire par le corps.

Atelier de fabrication de drones low-tech et de suivi de la pollution. © Larissa CC 

Enfin, un atelier d’écriture spéculative autour de technologies féministes est venu ensemencer les imaginaires d’un futur plus approprié à la coexistence sur cette planète des espèces vivantes et des appareils électronumériques avec lesquels on va bientôt se mélanger. Un futur fertile et désirable dans une symbiose transgenre de volupté augmentée.

Table ronde autour de projets coopératifs et de l’auto-emploi. © Larissa CC 

En savoir plus sur Hack the Earth 2017 (documentation des ateliers HTE 2017)

En savoir plus sur Calafou: l’éco-colonie organise des événements et des portes ouvertes en été, printemps et automne (chantiers de travail, ateliers et conférences) et reçoit des habitants temporaires. Lire aussi cet article de «Reporterre» et celui-ci, de la P2P Foundation