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Baptiste Gaultier: «Le fablab redonne aux étudiants le goût de la techno»

Baptiste Gaultier (à dr.) travaille avec l'artiste maker Arthur Baude sur le Mooc «S'initier à la fabrication numérique». © Coline De Haro

Alors que le Fablab Festival 2017 s’intéresse à l’éducation, on a demandé à l’ingénieur Baptiste Gaultier, pionnier des Mooc sur la fabrication numérique, comment l’esprit des labs infuse l’enseignement supérieur.

Diplômes universitaires, parcours hybrides, formations transversales… l’enseignement supérieur multiplie les expérimentations intégrant une composante « fablab ». Pourtant, la fabrication numérique tarde à intégrer les cursus des écoles d’ingénieurs. Baptiste Gaultier, enseignant et ingénieur de recherche à l’Institut Mines Telecom (IMT) Atlantique, a trouvé la parade. Dès 2014, il lançait le premier Mooc (Massive open online course, une formation en ligne ouverte à tous) dédié à la fabrication numérique en France. Succès : les 11000 inscrits en redemandent.

Depuis, il réitère chaque année l’expérience avec un parcours complet de trois Mooc pour apprendre à réaliser un objet connecté de A à Z dans un fablab. En amont du Fablab Festival à Toulouse du 11 au 14 mai, et alors que le dernier Mooc de l’IMT, « S’initier à la fabrication numérique » (auquel Makery est associé) est sur le point de commencer, le co-fondateur du Labfab de Rennes explique en quoi les fablabs révolutionnent l’enseignement supérieur et les approches pédagogiques des grandes écoles. 

«S’initier à la fabrication numérique», présentation du Mooc, Baptiste Gaultier (2017):

Quel est l’impact des fablabs sur les méthodes d’apprentissage et d’enseignement dans le supérieur?

Il suffit de regarder le nombre d’universités, d’écoles d’ingénieurs et d’écoles normales qui s’équipent en fablabs pour être convaincu que la fabrication numérique occupe un rôle croissant dans l’enseignement supérieur. Le fait que le mouvement vienne du MIT a son importance, car la charte des fablabs a été pensée d’entrée de jeu pour le monde universitaire. L’idée était de sortir les étudiants de leur cursus classique pour leur apporter une approche très concrète de l’acquisition de compétences par projets.

Les fablabs permettent aussi de revenir à une appréhension transversale de la technologie en la sortant de ses aspects ultra pointus qui ne dialoguent pas forcément avec d’autres thématiques. La réalisation concrète de prototypes et de projets met les étudiants en capacité d’apprentissage et les incite à aller creuser par eux-mêmes pour trouver les outils dont ils ont besoin. Mais surtout, les fablabs leur redonnent le goût de la technologie et du faire, alors qu’ils n’ont souvent qu’une vision très théorique, voire élitiste de leur cursus.

Est-ce que les étudiants adoptent facilement ces nouvelles méthodes de travail?

J’ai peut-être une vision idéaliste de ce que je fais et c’est vrai que des étudiants peuvent se retrouver un peu perdus face à cette nouvelle manière de travailler, surtout lorsque les fablabs ne sont présentés que comme un outil de formation supplémentaire. Dans le monde universitaire, on a parfois du mal à comprendre comment fonctionnent les autres structures, l’écosystème des start-ups ou des entreprises qui vont embaucher nos étudiants, les partenaires qu’ils vont avoir, les étudiants des autres cursus… C’est pourquoi nous développons des partenariats avec d’autres écoles dans une perspective de pluridisciplinarité, comme avec l’école de design de Nantes, l’école des beaux-arts de Rennes ou encore l’école des métiers et des arts appliqués de Brest. Et ça, c’est une première étape dans le décloisonnement des écoles d’ingénieurs.

En quoi est-ce nécessaire de décloisonner?

Un fablab, c’est avant tout l’ouverture. Or, la projection ou la remise en question ne sont pas forcément innées chez les élèves ingénieurs. Lorsqu’on travaille en groupes, avec des étudiants en design ou des artistes par exemple, les élèves ingénieurs doivent s’adapter aux attentes des autres étudiants. Ils ne viennent pas servir un projet technologique, mais un projet humain, un projet de création et ils doivent s’adapter, même si ce ne sont pas leurs idées qui sont retenues en priorité…

Les compétences en fabrication numérique vont-elles finir par trouver leur place dans les cursus des écoles?

Concrètement oui, mais ça va mettre un temps fou ! C’est pourquoi l’Institut Mines Telecom a d’abord monté en ligne ses contenus sur la fabrication numérique grâce aux Mooc et ne les a pas intégrés tout de suite à sa formation initiale. Les gens ne comprenaient pas forcément ce qu’on faisait.

Et puis, la validation des programmes d’enseignement pour les ingénieurs du public est une procédure complexe : les majeures et les mineures des écoles d’ingénieurs publiques françaises doivent être validées par l’Etat et par le ministère de tutelle. Dans notre cas, il s’agit du ministère de l’Industrie et non pas des ministères de la Recherche ou de l’Education nationale, puisque historiquement, l’école des Mines formait les ingénieurs des secteurs de l’industrie et l’énergie, pour, par exemple, chauffer tous les foyers français après guerre.

Toucher au diplôme d’ingénieur public est donc compliqué. Il y a deux ans, nous avons soumis à la commission des titres de l’ingénieur des propositions pour intégrer la fabrication numérique au programme Bac+5 du diplôme d’ingénieur, mais cette commission ne se réunit que tous les cinq ans. La prochaine sera en 2018. Nous aurons peut-être à ce moment-là la chance de voir la fabrication numérique intégrer les majeures, les mineures ou pourquoi pas les deux.

Aujourd’hui, ni l’IMT, ni Centrale, ni les Ponts et chaussés n’ont de parcours en fabrication numérique. Certaines grandes écoles comme Polytechnique ou encore l’université de technologie de Compiègne tentent des choses. Comme ces établissements s’équipent de plus en plus en fablabs, cela donne plus d’écho au potentiel de la fabrication numérique et améliore les chances qu’elle soit intégrée un jour à nos diplômes.

Et puis, avec les Mooc, on touche évidement des publics plus larges que les étudiants, c’est aussi un argument supplémentaire.

«Fabriquer un objet connecté», présentation du Mooc, Baptiste Gaultier (2016):

Cette complexité est-elle la raison pour laquelle les universités ont été les premières à intégrer la fabrication numérique à leurs diplômes?

En fait, une université peut monter son diplôme universitaire (DU) de manière autonome. Il n’a pas besoin d’être intégré ou validé au sein d’un parcours long. Selon moi, ces DU apportent la solution la plus souple pour faire rentrer la fabrication numérique dans le supérieur car ces cursus, beaucoup plus courts, correspondent plus ou moins à une mineure en temps d’enseignement.

Les DU du Faclab (le fablab de l’université de Cergy-Pontoise, ndlr) sont sans doute les plus à la pointe en terme de formation à la fabrication numérique dans le supérieur, car ils sont totalement intégrés à la structure universitaire et délivrent des ECTS (Système européen des crédits transférables, ndlr) utilisables dans un équivalent ou un diplôme international. Ils fonctionnent bien car la tête de pont de ces diplômes est le fablab lui-même. Des expérimentations du même type existent à Nantes et à Grenoble. Il vaudra voir ce que donnent les initiatives labellisées Grande école du numérique, mais ça, c’est une autre histoire. 

S’inscrire (gratuitement) au Mooc «S’initier à la fabrication numérique» (début du cours le 23 mai)

Les fablabs et l’éducation au Fablab Festival 2017: Makery anime une table ronde «Apprendre demain» le 12 mai à 14h et Baptiste Gaultier anime un atelier Mooc le 13 mai à 11h