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Acupuncture urbaine et résilience maker à Taipei

L'une des constructions collectives du quartier de Treasure Hill à Taïwan. © Adrien Malguy

Taïwan réhabilite son patrimoine militaro-industriel, entre institutionnalisation et contre-culture. L’ex-base militaire de Treasure Hill a été transformée en village artistique où s’épanouit le makerspace OpenLab Taipei.

Taïwan, correspondance (texte et photos)

Treasure Hill, le village écolo-maker de Taïwan.

L’histoire de Treasure Hill est liée à celle de Taïwan, cet archipel-Etat longtemps pris en étau entre la Chine et le Japon. Fin de la Seconde Guerre mondiale : le Kuomintang de Tchang Kaï-chek, chassé de la Chine nouvellement communiste, s’installe à Taïwan, où il sera l’unique parti de l’île jusqu’en 1986. La colline de Treasure Hill sert alors de base de défense anti-aérienne. Les soldats et vétérans du Kuomintang finiront par s’y établir définitivement et y construire leurs maisons.

Jusqu’au début des années 2000, Treasure Hill est un îlot à l’écart du développement de la ville, un village autonome peuplé de ces militaires et leurs descendants, d’artistes et d’activistes qui en font une zone expérimentale quasi indépendante, dédiée à l’écologie et la permaculture en milieu urbain.

En 2007, la mairie de Taipei décide de faire de Treasure Hill « un village artistique ». Les résidents sont évacués, des manifestions organisées. Le projet préserve l’âme et les démarches écologiques initiées par ses précédents occupants, grâce notamment au travail de l’architecte finlandais Marco Casagrande, en charge de la réhabilitation du site.

Vue aérienne de Treasure Hill.
Installation artistique à l’entrée du village.

L’architecte, qui conçoit la ville « comme un organisme énergétique multidimensionnel et sensible, un environnement vivant » profitera de cette opportunité pour mettre en application sa théorie de l’acupuncture urbaine, élaborée dans le cadre de ses recherches au sein de la Ruin Academy. Le bâti est quasiment épargné de toute modification, à l’exception de quelques réaménagements d’espaces publics : créations d’abris pour jouer au mah-jong en cas de mauvais temps, mais également de marches et d’échelles pour faciliter l’accès à certains espaces… Il opte pour un urbanisme décentralisé et optimise la circulation et la gestion des différentes ressources naturelles existantes : recyclage et filtrage des eaux grises, réutilisation des déchets naturels issus des jardins partagés…

Potager collectif.
Terrasse sur les hauteurs du village.
Même les murs de tennis sont publics à Treasure Hill.

OpenLab Taipei: bastion de la résistance open-maker

Niché sur les hauteurs du village, à flanc de colline, l’OpenLab Taipei préside Treasure Hill. Plus ouvert qu’un moulin, aussi étroit qu’un conteneur industriel et organisé comme le grenier d’un antiquaire, l’OpenLab ne déroge pas à la philosophie originelle des makerspaces.

Honki, animateur principal de l’OpenLab.
Reproduction du buste de l’actuel maire de Taipei, Ko Wenje.

On s’y sent bien tout de suite, un peu comme dans la cabane du tonton aéromodéliste. On peut passer des heures à fouiner et explorer les étagères, en quête de bidouilles en tout genre : impression 3D du buste de Ko Wenje, actuel maire de Taipei, réplication du Manneken-Pis, nœuds de marin sous silicone, ou encore aéronefs anthropomorphiques suspendus au plafond…

Atelier sabre-laser.

Ici encore, l’habit ne fait pas le moine : ces 25m2 abritent et brassent une communauté de… 8000 membres.

Connecté aux ténors du milieu (Make Magazine, Wired, Fab Foundation, Smart Citizen…) ainsi qu’aux principaux acteurs taïwanais du secteur (g0v, Taipei Hackerspace…), l’OpenLab Taipei affirme et défend les valeurs originelles de la culture maker.

Honki, généreux articulateur de la communauté, accueille les membres mais aussi les curieux qui se perdent dans les hauteurs du village. Il se dit inquiet de la tendance actuelle à Taïwan : « L’âme maker, qui repose sur des valeurs telles que l’accessibilité, le partage et le DiY, se perd. »

Il faut dire que Taïwan n’échappe pas à la tendance internationale consistant à embarquer les makers dans des projets commerciaux à l’opposé des valeurs de la communauté. C’est le cas de deux espaces culturels et créatifs qui ont vu le jour ces dernières années sur l’île, le Huashan 1914 Creative Park, qui occupe une ancienne manufacture de tabacs et d’alcool, et le Songshan Cultural Creative Park, qui a pris place également dans une manufacture de tabac abandonnée.

Ces deux réhabilitations, menées par des institutions publiques, sont représentatives du syndrome qu’évoque Honki. Les deux centres réunissent des concept-stores, organisent expos et concerts à grande échelle, disposent de cafés branchés… et au final s’apparentent clairement à des centres commerciaux. En bref : des lieux de passage, et non de vie.

À cela s’ajoute une autre dynamique, liée aux secteurs des technologies et de l’entreprenariat. Place forte de l’électronique made in Taïwan, Taipei, qui a le vent en poupe en matière d’objets connectés et de robotique, voit logiquement apparaître de nouveaux acteurs qui n’hésitent pas à mêler différentes activités (fablab, cafés, coworking, incubateurs…) au sein d’un même espace, contribuant ainsi au dynamisme et à l’attractivité économique du pays. C’est le cas de CIT (Center for Innovation), de Garage+, d’Impact Hub Taipei, de Futureward, ou encore du Fab Café.

Treasure Hill est différent

Aujourd’hui, Treasure Hill est un mélange étonnant au sein duquel jeunes et vieux, artistes, habitants ou touristes, cohabitent au beau milieu des ateliers, jardins pédagogiques, librairies indépendantes, cafés et galeries. Des événements plus ou moins officiels s’enchaînent aux quatre coins du village, depuis les ateliers de réparation en passant par les lectures et performances en plein air, des ateliers de cuisine ou encore la récolte collective de légumes, sans oublier des célébrations plus traditionnelles.

Atelier Tangyuan (湯圓): boulettes de riz sucrées aromatisées au sésame.
L’un des nombreux cafés du village.
Récoltes collectives, issues du jardin partagé.
Des familles arpentent régulièrement les rues de Treasure Hill.

Certes, le village n’est plus indépendant ni autonome. Certes, l’institutionnalisation de l’activité a clairement rompu le charme et l’authenticité du lieu. Malgré tout, Treasure Hill dispose d’une âme toute particulière, et reste un ovni sur le territoire taïwanais, voire en Asie. Son entité constitue un bel équilibre, mêlant espaces publics, intimité et espaces à la fois privés et partagés. En somme un lieu de vie et de production à ciel ouvert, et à grande échelle.

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