Makery

Alex Newson fait entrer le maker au Design Museum de Londres

Alex Newson, curateur de l'exposition permanente du musée du design «Designer Maker User». © Elsa Ferreira

«Designer Maker User», l’exposition du nouveau Design Museum, retrace l’histoire de la production manufacturée, de l’ère pré-industrielle à celle de l’artisanat numérique. Interview de son curateur Alex Newson.

De notre correspondante à Londres (texte et photos)

Au Design Museum de Londres, réouvert le 24 novembre 2016 après son déménagement dans l’ancien Institut du Commonwealth, le « Maker » a pris ses quartiers sous l’impulsion du conservateur Alex Newson. Le nouveau musée du design prévoit d’accueillir plus de 500000 visiteurs par an et place les makers au centre de la ronde des designers et des utilisateurs avec son exposition permanente Designer Maker User, où les imprimantes 3D et les ordinateurs en kit de Kano se mêlent aux premiers Apple et aux Vespa.

« Le numérique n’a pas eu seulement un impact énorme sur les modes de production traditionnels, explique le curateur de l’exposition. L’impact se repère aussi du côté de toutes ces plateformes numériques de fabrication coopérative, de production participative, de financement participatif, de design ouvert, de Creative Commons… Il y a tellement d’aspects qui dépassent l’impression 3D et la fabrication instantanée. » Interview.

Sous l’impulsion d’Alex Newson, designer, maker et utilisateur forment un triangle d’or qui, par leur dialogue, font naître le design des produits et services.

Il n’est pas facile de donner une définition du «maker». Qui est-il pour vous?

Nous voulions pointer du doigt le fait que le « maker » a changé et évolué. Il y a de nombreuses années, les rôles étaient bien distincts : le designer designait, l’utilisateur utilisait et le fabricant (maker) produisait et les interactions entre les trois étaient très limitées. Cette relation a changé. Avec les technologies numériques, les frontières entre ces différents groupes ont été supprimées et une seule personne peut à la fois être un designer, un utilisateur et un maker.

«Un designer ne peut prétendre avoir vraiment dessiné quelque chose tant qu’il ne sait pas comment cette chose sera fabriquée», Terence Conran, fondateur du London Design Museum.

On parle de l’impression 3D comme de la troisième révolution industrielle. C’est ce que vous avez ressenti en préparant l’expo?

La troisième révolution industrielle est un terme ancien, qui, je crois, est un peu dépassé. Le vrai message que l’on voulait faire passer dans cette section « making » est qu’il y a trois histoires distinctes : la fabrication pré-industrielle, industrielle et post-industrielle – ou le fait main, le fait à la machine et le fait par des robots.

A l’ère de la fabrication pré-industrielle, l’investissement en temps et en compétences de l’artisan était immense. Avec la révolution industrielle, le modèle s’est fracturé. Plutôt qu’investir dans l’humain, on a investi dans les machines-outils pour une production identique qui nous a menés à la production en série qu’on connaît.

Aujourd’hui, avec ce qu’on appelle l’« artisanat numérique », vous avez le meilleur des deux mondes. Avec l’impression 3D par exemple, on a besoin d’investir un peu pour l’imprimante mais celle-ci ne produit pas d’objets en série. Il suffit d’entrer de nouvelles commandes dans la machine pour obtenir à chaque fois un produit unique. Ce qui apporte de la flexibilité.

La fameux presse-citron de Philippe Starck comme illustration de l’ère industrielle: «L’investissement est dans le moule», souligne Alex Newson.

En 2013, le musée du design avait déjà évoqué l’impression 3D avec l’exposition «The Future is Here» (Le futur est là). Quelle différence avec cette nouvelle exposition?

Nous voulions alors avant tout observer la fabrication numérique. De toute évidence, la fabrication additive est un pan énorme de cette histoire, mais nous avions également examiné la fabrication soustractive, la CNC et la robotique, l’architecture et la manufacture collaborative. Tout ce qui contribuait aux bouleversements dans la production de notre monde physique. C’est pourquoi nous avions construit un fablab au sein de cette exposition. Pas un fablab au sens MIT mais un espace de fabrication de poche expérimental. Enormément de personnes m’avaient parlé de la manière dont la fabrication numérique contribuait à démocratiser l’accès. Qu’elle permettait à n’importe qui de devenir designer-maker numérique. Comme l’idée était intéressante, nous nous sommes dit « essayons ».

L’équipe du musée n’avait aucune expérience en terme de fabrication numérique. Après quelques jours de formation au fablab de Manchester, nous avons « abandonné » les membres de l’équipe dans l’espace de la galerie avec quelques logiciels, une découpeuse laser, une paire d’imprimantes 3D, une découpeuse vinyle… Tous les outils les plus basiques à manipuler. Et puis nous avons exposé ce qu’ils avaient produit pour montrer leur évolution en tant que designers-makers au fil des quatre mois qu’a duré l’exposition.

L’imprimante 3D BigRep One dépasse le mètre cube, ce qui en fait l’une des plus grandes au monde.

Aujourd’hui, vous exposez une très grande imprimante 3D. Qui modélise les fichiers?

Nous ! La démarche est sensiblement la même dans la mesure où nous apprenons à l’utiliser au fur et à mesure. En ce moment, nous imprimons des fichiers de Thingiverse (plateforme de partage de fichiers 3D, ndlr) ou que les gens nous ont donnés. C’est un outil d’exploration qui sera, on l’espère, mis à disposition de nos designers en résidence. Nous pourrons peut-être commander des fichiers à de célèbres designers et pourquoi pas vendre leurs objets en magasin. Ce sont des choses à expérimenter.

Y a-t-il un design iconique en impression 3D?

Peut-être certaines des premières pièces de Ron Arad en 2000. Il a été l’un des premiers à utiliser la fabrication additive avec sa série Bouncing Vase.

Ce qui est intéressant, c’est que cette technologie est toujours en évolution, elle n’est pas aboutie. Notamment à cause du matériau. Tant qu’on n’aura pas trouvé le moyen d’augmenter la gamme de matériaux que l’on peut utiliser pour imprimer en 3D, et de manière accessible, nous nous confronterons à ces limites. Si vous regardez l’impression en nylon ou en synthétique, les objets ont cette texture particulière : on voit qu’ils sont évidemment imprimés. Sauf si vous passez par un processus lourd de postproduction (avec du sable, de la finition, de la pulvérisation…) mais dans ce cas, vous annulez la spécificité de l’impression 3D qui permet de produire sur mesure.

Comment rendez-vous ce thème assez pointu accessible au grand public?

En déconstruisant le vocabulaire industriel. L’impression 3D est en soi une terminologie opaque, qui sonne cool mais n’aide absolument personne à comprendre de quoi il s’agit. Parler de fabrication additive par empilement de couches successives peut sembler plus aride mais explique mieux le processus.

Et puis, la grande imprimante 3D aide. Nous avons aussi une chaise du designer hollandais Dirk Vander Kooij. Il a inventé un processus qu’il a appelé « sans fin », une impression continue en très basse résolution à partir d’un bras robotique qu’il a acheté dans une usine de voitures en Corée et programmé pour imprimer des meubles et des produits. Cette impression très épaisse, qu’on croirait sortie d’un énorme tube de dentifrice, aide le visiteur à comprendre.

La «Chubby Chair» de Dirk Vander Kooij (2012).

Vous évoquez les concepts de design participatif, de financement participatif et de licences ouvertes (open source). «Ouvert» est aussi le thème du programme du Design Museum pour les artistes en résidence. Ces thèmes sont-ils familiers en design?

Ils le deviennent de plus en plus, même si cela reste difficile à appréhender pour certains designers. L’idée du crowdsourcing (production participative) et l’idée qu’on peut co-designer à partir de l’avis de plusieurs personnes fait particulièrement polémique. Au sens où ça ne s’éloigne pas tant que ça du marketing : le marché vous dicte à quoi devrait ressembler le produit. C’est complètement en opposition avec Steve Jobs et l’histoire qu’il raconte à propos d’Apple qui n’aurait jamais inventé l’iPod s’ils avaient écouté ce que les clients voulaient.

Le «mur collaboratif» du Design Museum.

Denys Lasdun disait que le rôle d’un architecte n’est pas de donner au client ce qu’il veut, mais ce qu’il n’aurait jamais rêvé possible. Peut-être cela n’est-il pas possible avec le crowdsourcing. Mais l’opinion publique est importante puisque nous avons une voix en tant qu’utilisateurs. Il s’agit de trouver l’équilibre.

Dans le cadre de la résidence «Open», la forme du toit du nouveau musée (une paraboloïde hyperbolique) a servi de base à des ateliers d’architecture pour construire cette réplique.

En 2013, le futur, c’était l’impression 3D. Qu’est-ce que le futur en 2017?

Probablement le machine learning, l’intelligence artificielle et l’utilisation des données de masse pour nous aider à naviguer dans des systèmes de plus en plus complexes. C’est la prochaine étape et on commence tout juste à comprendre ce que ça veut dire.

«Designer Maker User», exposition permanente en libre accès, tous les jours de 10h à 18h, Design Museum, 224-238 Kensington High Street London, W8 6AG