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L’Allemagne lance la bataille juridique contre le kit DiYbio CRISPR-Cas9

Le kit DiY CRISPR-Cas9 de The Odin était sélectionné pour les prix de l'innovation du festival SXSW 2017. © The Odin

L’histoire rocambolesque du kit d’édition génétique CRISPR-Cas9 de The Odin qui traverse l’Atlantique. Et déclenche les premiers contre-feux juridico-sanitaires.

Le moins que l’on puisse dire est que les biohackers de The Odin (Open Discovery Institute) aiment jouer avec le feu. À l’automne 2015, en pleine guerre scientifico-juridique autour de la paternité du brevet sur la chirurgie du gène, ils levaient sur Indiegogo plus de 70000$ pour développer un kit DiY d’édition génétique de la technique révolutionnaire CRISPR-Cas9.

Depuis sa découverte en 2012, la technique est devenue l’enjeu économique de la décennie en biotechnologies. Décrite comme le « couteau suisse » de la génétique, elle permet d’éliminer et d’ajouter des fractions de matériel génétique avec une extrême précision. Les applications sont nombreuses, qui pourraient éradiquer des pandémies. Mais le débat autour de la dissémination des résultats de ce « forçage génétique » n’est pas résolu. Si les lois américaines ou européennes restent prudentes, la Chine mène dès 2015 des expériences controversées d’édition génétique sur des embryons, ou pour résister au virus du sida. C’est aussi en Chine qu’a eu lieu en octobre 2016 le premier test humain sur un patient atteint d’un cancer du poumon.

Campagne Indiegogo du kit CRISPR-Cas9 de Josiah Zayner (The Odin) en 2015:

Science citoyenne ou bio-terrorisme?

L’utilisation de ces « ciseaux génétiques » étant relativement facile et peu coûteuse, le trublion californien de The Odin Josiah Zayner (dont la transplantation fécale DiY avait déjà fait sensation) parvient donc fin 2015 à sortir un kit à 150$ pour démocratiser la technique. Mais alors que The Odin préparait les premiers kits et le merchandising récompensant ses contributeurs, en février 2016, James R. Clapper, le directeur du renseignement américain, classe les nouveaux outils d’édition du génome parmi les « armes de destruction massive ». Sans être cité nommément, le système CRISPR-Cas9 est dans la ligne de mire. De l’utilisation par des bioterroristes aux manipulations tous azimuts par des biohackers trop créatifs, autant de possibilités qui questionnent sa diffusion selon la Défense américaine.

Qu’à cela ne tienne, convaincu d’œuvrer pour la science citoyenne, The Odin envoie tout de même ses kits à ceux qui les avaient pré-achetés et systématise leur commercialisation pour le monde entier dès l’été 2016.

Le T-shirt récompense de la campagne de crowdfunding de The Odin. © The Odin

Sur ces entrefaites, le bureau des douanes de Munich en Allemagne, dont la législation est réputée assez pointilleuse sur ces sujets, commande en octobre 2016 un kit The Odin d’édition d’Escherichia (E.) coli HME63 à partir d’agar, a priori classé sans risque catégorie 1 aux Etats-Unis.

En février dernier, pleins feux sur le CRISPR pour cause de rebondissement juridique : le Broad Institute américain gagne le chapitre deux de la bataille sur le brevet. L’agitation médiatique n’empêche pas que tout semble aller bien pour The Odin : en mars, le kit est même sélectionné pour le prix de l’innovation santé à la célèbre messe technologique de South by Southwest à Austin, Texas.

Mais au lendemain du festival, un journaliste allemand fait parvenir à The Odin un document de résultats d’analyses du Bureau de sécurité sanitaire et alimentaire bavarois, daté du 15 mars, indiquant que le kit contiendrait des bactéries nocives de catégorie 2 (des bactéries intimes que, soit dit en passant, n’importe quelle personne prenant l’avion pourrait transporter avec elle…), qu’une interdiction sur le territoire allemand devait être préconisée et des poursuites envisagées pour exportation d’E.coli non conforme aux règles en vigueur en Allemagne. Le même bureau alerte via un communiqué sur l’usage du kit en milieu scolaire. Zayner écrit immédiatement aux autorités bavaroises, qui confirment leur décision quelques jours plus tard. Le 27 mars, Zayner publie une lettre publique avec son argumentaire.

CRISPR dans la cuisine

Fait intéressant, le document qui a fuité du laboratoire bavarois mentionne dans sa dernière ligne un événement organisé à Garching, près de Munich, du 13 au 17 mars, la retraite CRISPR.kitchen, où le « kit pourrait être présenté en démonstration ». L’événement aurait-il réveillé les autorités bavaroises ? CRISPR.kitchen a pour but « d’imaginer le futur de l’édition génétique, de s’inspirer de scénarios, de consulter le manuel pour des recettes, des évaluations et des recommandations ». Lors d’un premier workshop mi-mars à l’université technique de Munich organisé par le très sérieux Institut d’évaluation de la technologie et d’analyse des systèmes de l’Institut technologique de Karlsruhe (Kit-Itas), une vingtaine de chercheurs transdisciplinaires sélectionnés par appel à projet se sont retrouvés pour écouter des conférences d’experts de haut niveau en bioéthique, en bioinformatique CRISPR, en réglementation des OGM, etc. Les participants ont ensuite imaginé des scénarios de fictions scientifiques et les ont présentés à l’université.

Durant les rencontres, le groupe a discuté de questions juridiques concernant l’édition du génome avec un fonctionnaire du gouvernement fédéral et des représentants des autorités de Bavière. Pour ce faire, l’équipe CRISPR.kitchen avait commandé en ligne le kit CRISPR-Cas9 de The Odin et l’avait exposé, sans le sortir de sa boîte. Sans penser que les autorités auraient une réponse unilatérale : quelques jours après l’atelier, CRISPR.kitchen était informé que les mêmes qui étaient venus parler des questions juridiques avaient affirmé dans leur communiqué que leur propre kit était contaminé.

La communauté DIYbio mise à contribution

The Odin argumente que la contamination a pu survenir n’importe quand, entre son envoi en octobre et son analyse plusieurs mois après, mais reconnaît ne pas avoir indiqué les délais de validité dudit kit. Sur le fil Facebook de Josiah Zayner, les discussions vont bon train. Urs Gaudens de GaudiLabs suggère d’utiliser plutôt des levures standard avec date de péremption et non de l’agar à E.coli.

L’Itas, dans le cadre de sa recherche sur l’évaluation des technologies de biologie synthétique, affirme travailler de manière responsable avec la communauté DIYbio depuis cinq ans. Pour clarifier les problèmes découlant du kit The Odin, l’université vient de mettre en place un comité bénévole dont le but est de recueillir des informations pour évaluer et apprendre de l’incident. « Nous voulons aider la communauté à vérifier ses propres matériaux et méthodes et à élaborer de meilleures normes et procédures afin de garantir leur utilisation sûre et légitime. Nous évaluons actuellement les résultats des autorités bavaroises ainsi que les données d’assurance qualité de la société The Odin. »

Les résultats préliminaires seront présentés lors de la conférence Biofabbing qui se tiendra du 10 au 14 mai au Cern à Genève et un rapport final sera publié cet été lors du dernier rendez-vous CRISPR.kitchen au Fablab Berlin. Affaire rocambolesque à suivre, donc, qui fait dire à Josiah Zayner : « Lorsque la connaissance sera hors la loi, seuls les hors-la-loi auront la connaissance. »

Pour suivre l’affaire : The Odin et CRISPR.kitchen