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Les labs de Rennes, Gand et Toulouse vus par la chercheuse Flavie Ferchaud

Au Labfab à Rennes, la ville du réseau de fablabs, selon la chercheuse Flavie Ferchaud. © Labfab

Deux ans que Flavie Ferchaud enquête sur les «lieux de fabrication et d’expérimentation du numérique» à Rennes, Gand et Toulouse. Alors qu’elle finalise sa thèse, la chercheuse tire pour Makery un premier bilan: ces lieux hybrides aux valeurs communes transforment la ville…

Flavie Ferchaud, diplômée en sciences-politiques et en urbanisme, travaille depuis 2014 sur une thèse d’aménagement axée sur les fablabs et les hackerspaces, qu’elle désigne comme « lieux de fabrication et d’expérimentation du numérique ». Son étude comparative de trois villes, Rennes, Gand et Toulouse, l’a menée dans une vingtaine de labs, où elle a conduit quelque 150 entretiens. Avant de s’attaquer à la rédaction de sa thèse, elle tire un premier bilan pour Makery.

Flavie Ferchaud au Fablab Festival de Toulouse en mai 2016. © Makery

Parmi toutes les villes qui développent un écosystème de labs, pourquoi avoir choisi Rennes, Gand et Toulouse? 

Je souhaitais travailler sur trois villes aux contextes socio-économiques similaires. Le choix de Rennes s’est fait simplement : c’est une ville universitaire qui s’inscrit dans une tradition de portage institutionnel fort, qui compte un réseau de fablabs. Toulouse est aussi une ville universitaire qui compte historiquement le premier fablab français, Artilect, et un hackerspace, le Tetalab, connu pour organiser le festival Toulouse Hacker Space Factory. Je voulais les mettre en perspective avec une ville hors de l’écosystème français (qui est un phénomène particulier). J’ai choisi Gand en Belgique, autre ville universitaire dans laquelle on trouve notamment notamment deux lieux hybrides, Timelab et Nerdlab et un hackerspace, Whitespace.

Comment se compose le réseau des labs de ces villes?

A Rennes, la ville et la métropole mènent presque une politique publique vis-à-vis des fablabs. Le réseau des lieux de fabrication est structuré autour de la marque Labfab, qui a été rachetée par la métropole : il défend le principe du “Labfab étendu”.

Le réseau des labs rennais:

La ville et la métropole distribuent des subventions aux labs de ce réseau. Beaucoup sont en cours de structuration, et pas encore vraiment organisés. Cette année, un fablab universitaire s’est ainsi ouvert à l’université Rennes 2 : le Labfab Edulab. Il y aussi le fablab historique de l’école des beaux-arts, le Labfab Eesab, et celui de la maison des associations, le Labfab Mda, géré par l’association de médiation numérique Bug. C’est là que j’ai mené la plus grande partie de mes observations ethnographiques rennaises. Il existe aussi un fablab dans une école d’ingénieurs et trois autres à l’université Rennes 1. Enfin, le hackerspace de Rennes, Breizh-Entropy, reste indépendant des institutions.

A l’intérieur du fablab de la maison des associations de Rennes. © Flavie Ferchaud
Le fablab des beaux-arts de Rennes en pleine activité. © Flavie Ferchaud

A Toulouse, on retrouve le même mouvement de “marketing territorial” : la région et la métropole de Toulouse soutiennent les espaces de fabrication et d’expérimentation numérique. Mais pour des raisons historiques et culturelles, Toulouse a un esprit plus entrepreneur. Le fablab Artilect, par exemple, est à la fois une association et une entreprise. Il se positionne clairement comme un accompagnateur des entreprises du territoire, et s’implique activement dans la French Tech locale.

A Gand, les choses sont un peu différentes. On ne trouve pas le même rapport à l’institution, les labs se développent de manière indépendante. On retrouve un fablab avec une offre payante et un hackerspace aux caractéristiques classiques.

Comment ces lieux s’intègrent-ils à la ville?

Ces lieux de fabrication sont un peu déconnectés des villes, ils sont peu en contact avec les habitants de leurs quartiers. A Rennes, Toulouse et Gand, ils se situent en majorité dans des espaces où la rénovation urbaine est prévue à plus ou moins long terme. Ils jouent un rôle dans la régénération urbaine et en sont même parfois directement acteurs (Artilect œuvre par exemple à un projet de rénovation de la Halle, tandis que le Timelab a un projet de construction à Gand). Parfois, à leur demande, la municipalité les place directement à des endroits où la rénovation est programmée, dans des espaces underground et alternatifs. C’est le cas de plusieurs hackerspaces que j’ai observés, comme le Nerdlab à Gand.

Le Nerdlab, le hackerspace de Gand. © Flavie Ferchaud

Les hackerspaces de Rennes et de Toulouse sont situés dans d’anciens squats portés par des collectifs d’artistes, sous convention d’occupation précaire avec les municipalités. Ce qui révèle quelque chose de leur positionnement…

Avez-vous constaté des différences entre fablabs et hackerspaces?

Il existe bien sûr des différences entre fablabs et hackerspaces, mais ces lieux se retrouvent sur beaucoup de choses. C’est pour cette raison que j’ai choisi d’employer la formulation de “lieux de fabrication et d’expérimentation numérique”, qui rend davantage compte de leur hybridité et de leurs modes de fonctionnement protéiforme, qui ne cessent d’évoluer… 

Quelles sont leurs valeurs communes?

Ces espaces de fabrication partagent les mêmes valeurs : l’accent mis sur le “faire”, le partage, la communauté… Ce qui les relie, c’est l’attention portée à l’expérimentation, aux processus itératifs et alternatifs… En même temps, il s’agit d’un mouvement complexe, tiraillé entre plusieurs contradictions. Si tous défendent officiellement une philosophie open source et s’engagent dans la documentation et la diffusion de leurs projets… ce n’est pas vraiment le cas dans les faits. Pour l’heure, plusieurs cas de figures existent et varient selon les territoires : un blog, une plateforme interne réservée aux membres… Sur le Web, certains labs sont très actifs sur les réseaux sociaux, leurs blogs et leur site internet, comme à Rennes. Au sein des hackerspaces, le libre et l’open source sont des priorités. 

Partagent-ils les mêmes préoccupations?

La question de l’ouverture de ces lieux pose des questions stratégiques. Ouvrir grand les portes, est-ce perdre l’esprit familial et communautaire de ces espaces ? Vaut-il mieux entretenir une communauté petite mais soudée ? La question de la gratuité interroge aussi : donner l’accessibilité à tous empêche d’acquérir de nouvelles machines… Il y a aussi des ambiguïtés vis-à-vis du positionnement marchand des espaces de fabrication, autour des prestations auprès des entreprises. Certains labs tranchent et se spécialisent dans le social, l’éducation… D’autres arrivent à faire un peu de tout comme Artilect à Toulouse.

Avez-vous identifié des profils de makers?

Beaucoup des gens qui fréquentent ces lieux sont multi-positionnés. C’est-à-dire qu’ils fréquentent plusieurs lieux à la fois : certains peuvent se rendre régulièrement dans un fablab, et être en même temps connecté au lab d’une école d’ingénieurs ou à une start-up locale. Via ces multi-positionnements, un réseau d’acteurs se tisse autour de l’expérimentation numérique : chacun puise dans ses ressources pour organiser un évènement, un atelier, se faire entendre sur tel ou tel sujet… Et lorsque ces communautés sont petites, cela favorise l’entre-soi.

On ne retrouve pas la même diversité de profils dans les hackerspaces et dans les fablabs. Dans les hackerspaces, l’esprit est parfois plus convivial. Les soirées d’ouverture au public ne sont pas très studieuses, les gens viennent avant tout pour se rencontrer. L’équipement est moins fourni que dans les fablabs, la volonté d’ouverture est là mais l’attention est davantage portée sur la communauté. A Gand, les gens qui fréquentent Whitespace constituent une petite famille. 

Certains membres de la communauté sont seulement présents dans le fablab ou le hackerspace, d’autres ne participent qu’en ligne (par l’intermédiaire des listes de diffusion par e-mail, des réseaux sociaux…), d’autres enfin sont actifs à la fois sur Internet et dans le lab. C’est pour cette raison que j’ai récemment mis en ligne un questionnaire destiné à entrer en contact avec tous ceux qui participent à la vie de la communauté depuis le Web.

Le questionnaire en ligne de Flavie Ferchaud