Makery

Border Sessions, 48h chrono aux frontières de la science

Programme «Biomodd» présenté par le biologiste et artiste Angelo Vermeulen. © Angelo Vermeulen

A La Haye se tenaient les 6 et 7 juillet les Border Sessions. Un concentré de conférences et ateliers qui donne l’occasion de renifler les technologies disruptives, ces «fringe techs» repoussant les limites de la science.

La Haye, envoyé spécial

La Haye n’est pas la capitale de la Hollande, mais le pays y concentre ses institutions dans une ville agréable et active en bord de mer. Le territoire environnant y est d’ailleurs prolifique en institutions de recherche de pointe et entreprises en nouvelles technologies, qu’elles soient additives, nano et bio-technologiques, spatiales, informatiques ou électroniques, etc. Makery avait donc répondu positivement à l’appel de la Waag Society à venir interagir avec les conférenciers et animateurs d’ateliers du festival Border Sessions au théâtre Korzo en plein cœur de ville. Un festival qui a pour ambition de couvrir en seulement deux jours un large panorama des dernières technologies disruptives ou « fringe techs » à la frontière des avancées technologiques, comme l’indique le nom du festival.

Robin Murphy de l’université Texas A&M, pionnière des robots de «search&rescue» pour les zones de désastres, donnait une longue conférence à Border Sessions. © Ewen Chardronnet

Hack The Hague

La durée du festival est d’ailleurs le problème si l’on considère la densité du programme. S’il s’agit de discuter « fringe techs » ou « fringe science », ces techno-sciences à la frontière des disciplines scientifiques actuellement établies, œuvrant largement sur des terrains spéculatifs sujets à réfutation ou controverses, on imagine facilement que deux jours ne suffisent pas. On aurait aimé voir le débat se déployer sur plusieurs jours, avec plus de temps que quelques quarts d’heures pour débattre des enjeux philosophiques et sociétaux de telle ou telle techno, histoire de sortir du sempiternel format de la TED « disruptif », « humaniste » et « holiste ».

Gaia Vince présentant son livre «Adventures in the Anthropocene». © Ewen Chardronnet

C’est cependant l’exercice formaté auquel se sont livrés bon nombre de conférenciers. On a tout de même apprécié les cinq pistes de programme qui se superposaient : « implantations humaines avancées », « art, makers et culture numérique », « challenges globaux, alliances sociales », « nature hackée, humains améliorés », « exploration terrestre et spatiale et développement durable ».

Parmi les sujets traités très variés, citons pèle-mêle la question du genre dans la culture maker (avec les Hackermoms de Berkeley), l’impact de la voiture sans pilote sur l’environnement, les parallélismes entre psychédélisme et informatique, le matériel ouvert pour l’humanitaire, la blockchain comme gouvernance DiY, les robots pour zones de désastres, etc. Impossible de tout suivre, et d’ailleurs, on a raté la première présentation qui s’annonçait pourtant amusante : « DIY NSA – The Funny Side of the Dark Side of Big Data », un projet du Setup Medialab qui crée des appareils douteux se servant de votre réputation dans la Uber économie (Uber, Airbnb, Blablacar, etc.) pour vous discriminer auprès de vos objets connectés. Résultat, votre grille-pain pourrait bien griller votre tartine si votre score est trop faible.

Andrew Smart explique comment fonctionne le cerveau sous l’effet du LSD. © Ewen Chardronnet

Quelle nourriture dans l’espace?

La piste spatiale a retenu notre attention, bien nourrie par la proximité de l’Agence spatiale européenne (ESA) et de l’Estec (le Centre européen de recherche et technologie spatiale) à Noordwijk. Avec une forte présence du programme Melissa (Micro-Ecological Life Support System Alternative) de l’ESA, qui étudie les systèmes autonomes pour l’alimentation humaine lors des missions spatiales à long terme.

Après une présentation par son directeur, Christophe Lasseur, et une série d’ateliers, le biologiste et artiste belge Angelo Vermeulen a donné une conférence passionnante sur les habitats clos, l’alimentation et la biologie en circuits clos pour le spatial.

Vermeulen a mené ces dernières années une thèse à l’Université technologique de Delft sur le design d’habitat spatial et d’ingénierie des systèmes participatifs. Vermeulen a raconté son expérience de chef d’équipe de la mission Hi-Seas, qui pendant quatre mois a testé les conditions de vie en station sur Mars… depuis Hawaï. Il a également présenté ses travaux d’artiste, depuis la construction de « stations spatiales » sur Terre avec le projet Seeker, jusqu’aux designs de systèmes symbiotiques humains-plantes-ordinateurs avec sa série Biomodd.

Angelo Vermeulen raconte son expérience sur Mars… à Hawaï. © Ewen Chardronnet

On retiendra également la conférence d’Ed Harwood de l’entreprise américaine Aerofarms sur les avantages de l’aéroponie. À la différence des plantes en hydroponie qui s’enracinent dans un substrat inerte, en aéroponie, les solutions nutritives sont apportées par la vaporisation permanente (brouillard) des racines accrochées à de simples supports. On imagine sans difficulté l’intérêt que porte le spatial à l’aéroponie tant cette série nous a fait penser à la prochaine génération de food-tech susceptible de rendre obsolète Seul sur Mars.

Présentation de Aerofarms par Ed Harwood. © Ewen Chardronnet

Ouvrir l’analyse environnementale et médicale

L’autre fil rouge, « Open sourcing human enhancement technologies », était piloté par la Waag Society et Lucas Evers, le directeur de son Open Wetlab. Lucas Evers proposait différentes lignes autour du biohacking – on cherche toujours à comprendre pourquoi le festival avait besoin d’utiliser un vocabulaire aussi déterministe que « l’amélioration » de l’homme…

L’Irlandais Mikael Fernström de Softday présentait le manifeste Gosh, pour Global Open Science Hardware (qu’on a traduit récemment). Špela Petrič et Lucas Evers développaient leurs travaux d’antibiotiques DiY au sein de Biostrike, une initiative portée par la Waag. Mary Maggic et Byron Rich continuaient de semer la bonne parole de leur projet Open Source Estrogen (dont on vous a parlé également ici). Jens Hauser de l’Université de Copenhague est venu conclure sur la biosémiotique trandis que l’auteur de ces lignes animait un débat raccourci.

Mikael Fernström explique le manifeste Gosh et sa longue expérience dans l’ouverture des «black boxes» de la technologie. © Ewen Chardronnet
Lucas Evers et Špela Petrič présentent le projet DiY Antibiotica. © Ewen Chardronnet

Špela Petrič et Mary Maggic menaient également dès la première matinée le workshop d’extraction DiY d’hormones à partir de l’urine des participants. L’atelier participatif et féministe se révèle également un excellent moyen de comprendre la continuelle communication entre les humains et l’environnement via leurs hormones.

Atelier d’extraction d’hormones à partir des urines. © Ewen Chardronnet
Špela Petrič expliquant comment «traire» le kit d’extraction d’hormones. © Ewen Chardronnet

Le festival allant décidément trop vite, on a loupé énormément de conférences… Fort heureusement, tout ce joli monde (un mix d’artistes, ingénieurs, entrepreneurs, scientifiques) se retrouvait au beer garden pour l’open bar et DJ set. Le speed dating tournant alors aux longues discussions stratégiques autour des avantages comparés de la Hollande, rythmées par les soudaines envolées sonores footballistiques.

Le site de Border Sessions