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A Lyon, les entrepreneurs makers sortent des clous des labs (2/2)

Le stand Youfactory à la Mini Maker Faire de Lyon, les 28 et 29 mai, au Pôle Pixel. © Wolfgang Spindler Youfactory

Le lab lyonnais n’entre pas dans la définition stricte d’un lieu ouvert à tous où «faire». Makery, après vous avoir fait visiter les labs pionniers de la métropole, est parti rencontrer ces entrepreneurs inspirés par les makers… et vice versa.

Lyon, envoyée spéciale 

Si Lyon vient d’être classée parmi les villes à la traîne de la consommation collaborative (au 18ème rang, selon le cabinet d’études Asterès, derrière Paris, en 14ème position), la réalité du terrain est différente : des ateliers itinérants (comme la Fhacktory ou Les Bricodeurs), de nombreux espaces de coworking (le Gîte numérique, L’atelier des médias, La Cordée) et les écoles comme Simplon Lyon montrent un écosystème actif en pleine émergence. 

Ses acteurs ont d’ailleurs décidé d’unir leurs forces au sein du réseau Open Ara. « On se connaît tous, mais on ne se voyait que par groupe de deux ou trois », explique Pierre Aumont, président de la Fabrique d’objets libres à l’origine de l’initiative. Désormais, les makers de la région se rencontrent une fois par mois pour « échanger des informations, vers l’extérieur et entre nous ». Pas d’entité juridique – donc pas de hiérarchie –, les rencontres sont organisées à tour de rôle par la quarantaine de membres, makerspaces et fablabs. Surtout, précise Pierre Aumont, Open Ara rassemble « au-delà des fablabs ».

Car à Lyon, ville labellisée French Tech depuis 2014, makers et start-upeurs se confondent parfois. « Pour moi, un porteur de projet est un maker, résumait Karine Dognin-Sauze, vice-présidente de la métropole en charge de l’innovation et du développement numérique, lors des Rencontres de la métropole intelligente en mars 2016. Ce sont des personnes qui ont en tête le développement d’un projet et qui lui donnent forme. » Et les lieux où viennent jouer ces entrepreneurs-makers sortent eux aussi des clous du fablab. 

Programme I.D.E.A, fabrique d’entrepreneurs makers

Quand deux écoles prestigieuses s’allient, cela donne un résultat innovant : le programme I.D.E.A, né d’une collaboration entre l’Ecole centrale Lyon et l’école de commerce EM Lyon. Son programme hybride tourne autour du « design thinking », méthode venue de l’université de Stanford, en Californie, et consiste à faire des étudiants des « gestionnaires de projets axés innovation » en favorisant « la conversation entre différents univers », explique Lydie Passot, fabmanager. Pour créer le dialogue, un fablab est à disposition des élèves : 200 m2 pour un atelier bien fourni en imprimantes 3D, découpeuses laser et plieuses.

Le fablab d’I.D.E.A. © Elsa Ferreira

C’est de là que viennent Etienne Moreau et Mathieu Geiler, nos globe-trotters du MakerTour. C’est aussi de là que sortent des prototypes qui deviendront (peut-être) des entreprises, comme Cy-clope, recycleur de mégots qui trône fièrement à l’entrée du bâtiment.

Cy-clope, recyleur de mégots. © Elsa Ferreira

De l’autre côté du campus se trouve le Learning Lab, où l’on dessine la pensée en modulant les espaces de travail et les outils. On y fera aussi la rencontre d’un robot mobile, qui fait du présentéisme pour les élèves malades.

Le robot qui vient en classe à votre place. © Elsa Ferreira

Visiblement inspiré par les makers, l’EM Lyon a estampillé son école du slogan « Early maker. Entrepreners are makers, we make entrepreneurs » (Les entrepreneurs sont des makers, nous faisons des entrepreneurs). L’école de commerce devrait d’ailleurs récupérer le fablab, qui sortirait ainsi du giron de Centrale. A suivre. 

Fablab I.D.E.A., EM Lyon Business School, 23 avenue Guy de Collongue, 69130 Ecully, ouvert aux étudiants

Ecan, les makers pros

Si les makers apprennent surtout par le Faire, Xavier Lavayssière entend donner un coup de pouce à ceux qui voudraient plonger dans le monde de l’innovation façon fablab. Diplômé en droit et cofondateur des Bricodeurs, association qui regroupe des professionnels du numérique autour d’ateliers, l’entrepreneur a fondé l’Ecole de la création et de l’artisanat numérique (Ecan). Le programme est encore en rodage, mais il prévoit d’y donner des formations courtes, de la gestion d’un espace créatif à la blockchain. Des formations théoriques qui devraient déboucher sur la pratique – comme l’accompagnement au prototypage ou du conseil sur la création d’un lab.

Remy Carl et Xavier Lavayssière, futurs anciens associés. © Elsa Ferreira

Le projet a commencé à deux et une bonne dose d’ambition. Xavier et son associé, Rémy Carl, voulaient faire intervenir des experts pour des formations transdisciplinaires (du développement web à la mécatronique), longues (350h) et chères (entre 10 500 et 14 500€). Trop de démarchage commercial et de tâches administratives… Xavier Lavayssière a conservé le label Ecan et poursuit le même projet : amener des interlocuteurs plus commerciaux au contact des fablabs. Une professionnalisation du secteur avec à la clé, espère-t-il, un partage du gâteau.

Ecan, formation itinérante, guettez le programme pour la prochaine formation 

Commons Lab, les beaux-arts à la rencontre de la 3D

Le fablab temporaire des Subsistances. © Les Subsistances

Les artistes aussi s’emparent du mouvement. Depuis trois ans à l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA), la lithographie et la sculpture côtoient les imprimantes 3D et les cartes Arduino au Commons Lab, lieu d’expérimentations numériques réservé aux étudiants.

Si dans le temple des arts traditionnels quelques réticences subsistent, « il suffit de mélanger la 3D avec du plâtre », propose Nicolas Frespech, artiste professeur d’humanités numériques à l’ENSBA. C’est que les étudiants n’ont pas peur d’expérimenter avec les matières : sculpture de fil bouillant (plutôt que la modélisation donc, malin), feuille A4 en fil plastique ou utilisation des rafts (les supports des impressions 3D), les étudiants portent un regard critique sur ces technologies et développent « une citoyenneté de culture numérique », estime Nicolas, qui profite des ateliers pour parler tiers-lieu, collaboratif et culture libre.

Un discours qui porte, à voir la Récupérathèque, bibliothèque de matériaux de récup’ créée en 2015 par les étudiants. Ici, pas d’argent : on paye en grains, monnaie ultralocale de l’école. Les étudiants ont aussi créé un mode d’emploi pour essaimer le modèle. 

Bois, textile et fripes, à vendre pour quelques grains. Sur la photo, Olivier, étudiant et membre du bureau. © Elsa Ferreira

Les Subsistances, lieu de création de spectacles vivants qui partage la même adresse que l’ENSBA, se tourne aussi vers les makers. Du 25 au 30 avril dernier, l’institution a ouvert au public un fablab temporaire. Bientôt un lab permanent en collaboration avec l’école d’art devrait voir le jour : le Labo NRV, pour « Numérique, Réalité, Virtualité », se voit en artlab dédié aux « créateurs numériques ». Là encore, affaire à suivre.

Commons Lab, 8 bis Quai Saint-Vincent, 69001 Lyon, ouvert aux élèves des beaux-arts de Lyon 

Youfactory, usine collaborative

C’est l’usine de fabrication numérique et collaborative de Lyon. L’entreprise a ouvert il y a un peu plus d’un an, au sein du Pôle Pixel, hub d’industries créatives de l’image et du son à Villeurbanne où se trouvent l’Urban Lab et le Lab.Lab. Le projet a été lancé par Isabelle Laurent, artiste plasticienne, et son fils, Jean Nelson, 27 ans. L’idée ? Permettre aux professionnels d’accéder à des machines performantes pour réaliser leurs prototypes.

Le parc de machines en comporte une quarantaine: imprimantes 3D, découpeuses laser, CNC, brodeuses numériques et outils traditionnels. © Elsa Ferreira

L’équipe compte désormais deux fabmanagers, Théophile Thomas, spécialisé en design industriel, et Alexandre Perier-Muzet, spécialiste de l’électronique. S’ils sont chargés d’accompagner les utilisateurs dans leurs projets, « la notion d’accompagnement est plus difficile à définir que la simple relation prestataires/utilisateurs, souligne Jean Nelson. Il y a toujours pleins de gens qui viennent se mêler des projets des autres, et c’est très bien ».

A l’étage, loin du bruit de l’atelier, l’espace de coworking. © Elsa Ferreira

Youfactory est une entreprise qui affiche des tarifs en conséquence : 50€ la journée, 200€ le mois. « Le prix de l’indépendance », estime Jean Nelson. D’origine américaine, il a découvert les fablabs dans leur berceau et estime que son usine a sa place dans la mouvance. « Nous sommes ouverts parce qu’il n’y a pas de sélection à l’entrée, et nous défendons les vertus du travail partagé, des relations de solidarité, de collaboration, d’entraide… » Ce n’est d’ailleurs pas si facile, remarque-t-il : « Il y a une vraie demande pour la fabrication artisanale mais les clients ont besoin de comprendre la valeur ajoutée du modèle collaboratif. »

Youfactory, Pôle Pixel, 50 rue Antoine Primat, 69100 Villeurbanne, ouvert du lundi au vendredi de 10h à 18h, sur rendez-vous

Tubà, labo urbain et citoyen

Sur le parvis de la gare de la Part-Dieu, au rez-de-chaussée, un lieu pour accueillir hackathons, conférences sur l’économie collaborative et voyageurs affamés de passage. Au premier, un accompagnateur de projets numériques « qui ont pour vocation de faciliter le quotidien dans la ville en utilisant ou en générant des données », explique Benoît Loeillet, chargé de la « digital innovation » à Tubà (pour Tube à expérimentations urbaines).

Ouvert en décembre 2014, Tubà s’est donné pour mission d’impliquer les citoyens et les utilisateurs dans la création de projets urbains, du compteur intelligent à la plateforme pour recréer les liens de voisinage. De la cocréation et du codesign qui s’incarnent dans des ateliers participatifs (pour travailler les idées) ou des ateliers sur le terrain (pour les tester). 

Table de ping-pong, salle de sieste et salle de réu: tout y est. © Elsa Ferreira

Le lieu, un modèle hybride où se côtoient start-ups, PME et grands groupes (GDRF, Bouygues Construction…) et qui repose à 25% sur des subventions publiques, est devenu incontournable. Mais Tubà est-il bien un lab ? « Nous sommes un lab dans le sens où nous sommes vraiment dans une phase d’itération et de coconstruction, répond Benoît. Nous ne sommes pas un fablab, nous ne sommes pas seulement un living lab, même si on en reprend une bonne partie des fondements. »

Le rez-de-chaussée, ouvert à tous. © Elsa Ferreira

Tubà, 1 Place Charles Béraudier, 69003 Lyon, ouvert du lundi au vendredi, de 10h à 18h

Lieu Totem, futur vaisseau amiral de la French Tech

Prévu pour 2017 au cœur du quartier de Confluence, devenu depuis quelques années le terrain de jeu des architectes innovants et écolos, le lieu Totem accueillera des « start-ups en hyper-croissance » et des travailleurs en coworking.

Image de synthèse de la Halle Girard en 2017. © Lyon French Tech

Un « catalyseur des initiatives French tech », promet la ville, en référence à ce label décerné par le gouvernement aux villes innovantes. En tout, 4000m2 seront investis dans l’ancien complexe industriel de la Halle Girard. Open Ara a déposé un dossier lors de l’appel à projet, mais, faute de partenaires financiers, « on ne l’aura pas », prédit Pierre Aumont. « Pour les start-ups, il y a déjà tout ce qu’il faut. On pourrait amener des tas de choses pour structurer un réseau vivant. » On en reparlera…

Lieu Totem, 70 Quai Perrache, 69002 Lyon, ouverture en 2017 

Retrouvez la première partie de notre portrait de Lyon avec labs