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L’œuf, la poule et les hormones DiY

Et si on boostait l'ovulation féminine en mangeant des œufs de poules aux œstrogènes ? © maggic.ooo

Avec «Open Source Estrogen», Mary Maggic et Byron Rich proposent de mieux comprendre l’influence des œstrogènes et des perturbateurs endocriniens sur nos corps et notre environnement. Jusqu’à imaginer une nouvelle génération de poulets aux hormones… Un concentré de design-fiction.

La biologiste et artiste Mary Maggic, aka Mary Tsang, réalisatrice de la série documentaire Diysect (on vous en parlait ici), a fait le tour de la planète DiY et bio-art, d’abord aux États-Unis, puis en Europe. « C’est là que j’ai rencontré Byron Rich, raconte Mary Maggic, un artiste canadien qui est un grand voyageur. Il m’a expliqué que lui et son amie aimeraient fabriquer eux-mêmes leur pilule contraceptive, puisqu’il est difficile de s’en procurer quand on change constamment de pays ».

La question stimule la fibre féministe et queer de la biologiste activiste. Les effets de la pilule sur les cycles féminins sont critiqués par de nombreux courants féministes. La consommation a même baissé ces dernières années (en France), d’autant que le consensus actuel considère que les contraceptifs augmentent sensiblement le risque de cancer du sein, du col de l’utérus et du foie (même si de nombreuses études montrent qu’ils réduisent de moitié la survenue de cancers de l’ovaire et de l’endomètre). Le risque sensiblement plus important de cancer du sein concerne essentiellement les utilisatrices récentes, donc les femmes les plus jeunes, le sur-risque disparaissant progressivement après l’arrêt du contraceptif.

«Hybrid Practices», dernier épisode de la série «Diysect», novembre 2015:

 

Ouvrir le débat d’une contraception DiY

En septembre 2015, Mary Maggic intègre le MIT Media Lab en tant que chercheuse en Media Arts and Sciences, avec comme spécialisation le design-fiction. Via le lab de bio communautaire Street Bio, elle intègre les ateliers « How to Grow (Almost) Anything » de George Church, le très médiatique professeur de génétique de la Harvard Medical School. Et intrigués par les multiples implications sanitaires, éthiques et politiques de la création d’hormones DiY, Mary Maggic et Byron Rich s’accordent alors pour se lancer dans une série de travaux spéculatifs qu’ils nomment Open Source Estrogen. Par exemple, quelles sont les conséquences pour les personnes transsexuelles consommant des hormones pour leur transition de genre ?

«Housewives making Drugs» («Open Source Estrogen»), Mary Maggic:

Académie en réseau «How to Grow (Almost) Anything?» © maggic.ooo

Booster les pondeuses

Mary Maggic en vient à s’intéresser aux femmes qui n’arrivent pas à avoir d’enfants, à leur stigmatisation dans le contexte bio-politique capitaliste qui associe la femme à une pondeuse et à la marchandisation de la fonction reproductive féminine par l’industrie biotech et les lobbys pharmaceutiques en général. Elle imagine alors un projet d’exagération pour montrer l’absurdité de la question. Joi Ito, le directeur du MIT Media Lab, lui prête du matériel vidéo pro et elle réalise une fausse publicité vantant une entreprise nommée « Egstrogen Farms » qui produit des « Egstro-chickens », des poules génétiquement modifiées qui produisent des œufs censés permettre aux femmes qui les mangent d’ovuler plus souvent, qu’elles veuillent avoir un enfant ou devenir des donneuses d’ovules pour l’industrie de la fertilité. Dans la publicité, le langage de l’élevage « durable » est valorisé : « poules élevées en plein air », « tout frais de la ferme », « 100% naturel », etc.

«Egstrogen Farms, a transgenic chicken commercial for women» (une pub de poulet transgénique pour les femmes), Mary Tsang, 2016:

Tournage de «Egstrogen Farms». © maggic.ooo

Parallèlement à ces projets fictionnels, Mary Maggic s’engage dans des recherches plus détaillées sur les effets mutagènes des œstrogènes dans l’environnement et comment ces stéroïdes perturbent toutes les espèces du genre animal, humains compris. Depuis plusieurs années, la question des impacts de la pilule contraceptive sur l’environnement est soulevée par la communauté scientifique et les médias. L’exemple souvent cité est celui des hormones synthétiques rejetées via l’urine des femmes prenant la pilule qui passeraient le filtre des stations d’épuration pour se retrouver dans l’eau des rivières et provoqueraient une féminisation des poissons. Et qui reviendrait même à nos robinets.

L’impact des perturbateurs endocriniens

Un autre problème, et non des moindres, est celui de l’impact des perturbateurs endocriniens sur le fonctionnement du système hormonal, la reproduction, la croissance des enfants et bien d’autres aspects de notre santé. Ou plus exactement  des  « xéno-œstrogènes », cette catégorie des perturbateurs endocriniens ayant la capacité d’interférer avec l’action des œstrogènes. Beaucoup de ces produits chimiques synthétiques, hormones de synthèse, traitements médicamenteux et autres molécules répondant à de doux noms comme DDT, Distilbène ou Bisphénol A, sont des cauchemars de la société industrielle des 50 dernières années. Rappelons que dans la plupart des cas, l’œstrogénicité a été mise en évidence lors d’accidents et scandales sanitaires. Il est donc possible que beaucoup de xéno-œstrogènes n’aient pas encore été identifiés.

Il est pourtant clairement reconnu que ces molécules agissent sur l’équilibre hormonal de nombreuses espèces vivantes sauvages ou domestiquées. Malgré leurs effets sur la santé, leur interdiction ou limitation se heurte au lobbyisme des industries pétrochimique et pharmaceutique. Ainsi, et plus d’un an après son interdiction en France, le Bisphénol A est toujours présent dans certaines canettes et boîtes de conserve. Dans une étude publiée en avril, l’Association santé environnement France (Asef) confirme avoir encore trouvé des traces de Bisphénol A dans une canette de Pepsi et dans deux boîtes de conserve de haricots blancs des marques Carrefour et Compa. Et cela alors qu’elle cherchait à comprendre par quel produit avait été remplacé le Bisphénol A.

Le modèle industriel semble donc avoir la vie dure. C’est sans doute pour cela que l’association Alerte des médecins sur les pesticides (1600 membres), a lancé ce mois-ci une campagne de prévention contre les perturbateurs endocriniens dans quelque 1500 cabinets médicaux pour alerter les couples qui prévoient d’avoir un enfant.

Types de pénétration des xéno-œstrogènes de synthèse dans les eaux de consommation. Bien que l’éthinylestriadiol (le dérivé d’œstrogène le plus utilisé au monde dans les pilules contraceptives) a plus d’impact que les autres composants œstrogéniques, la proportion due à la consommation de pilules est bien moindre que celle provenant des autres sources de perturbateurs. Aux États-Unis, le volume d’œstrogènes vétérinaires administré au bétail est 5 fois supérieur à celui des hormones pour la contraception humaine. © maggic.ooo

Bio-détection

Mary Maggic s’est décidée à créer (et l’a fait dans son labo du MIT) un bio-détecteur d’œstrogènes dans les urines et eaux de tout type. Il ne s’agit pas de le limiter à un récepteur versatile des œstrogènes produits par les cellules de mammifères, mais aussi de capter les imitateurs d’œstrogènes, ces substances aux effets œstrogéniques que l’on retrouve dans les environnements à forte présence de pesticides ou très pollués. L’objectif est de fournir aux activistes de la science citoyenne un outil DiY bio.

Car l’œstrogénicité n’est pas cantonnée à un petit groupe de substances, mais se retrouve au contraire dans toute une série de classes chimiques utilisées quotidiennement dans l’agriculture, l’industrie, la santé, etc. Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, plus de 10 000 substances actives pouvant présenter une activité œstrogénique ont été mises sur le marché et utilisées (dans les fluides hydrauliques ou diélectriques pour condensateurs et transformateurs, colles, peintures, détergents, insecticides, herbicides, fongicides, cosmétiques, etc.).

Technique de détection de présence d’œstrogènes par colorisation de levure. © maggic.ooo
Champ d’intervention du programme «Open Source Estrogen». © Mary Maggic & Byron Rich

De la colonisation à l’évolution moléculaire?

En ce moment, Mary Maggic et Byron Rich présentent leur atelier Open Source Estrogen, à la conférence ISEA Hong-Kong, au festival « Art Meets Radical Openess » à Vienne (Autriche), puis début juin à Interactivos? au Medialab Prado de Madrid (Espagne). « On va poser de multiples questions, dit Mary Maggic. Comme par exemple : peut-on fabriquer ses hormones soi-même pour la contraception ; quelles sont les implications éthiques à s’auto-administrer des hormones DiY ; comment détecter la présence d’hormones dans l’environnement ; comment concevoir des capteurs qui joueraient un rôle dans l’analyse citoyenne des eaux locales ; peut-on éliminer la toxicité hormonale de l’environnement ? »

«Birds of Estrogenic Paradise», dessin préparatoire. © maggic.ooo

L’étape suivante pour Mary Maggic et Byron Rich est un projet présélectionné aux Bio Art and Design Awards en Hollande. Leur bio-design critique imagine une nouvelle espèce de poule qui pourrait survivre dans les environnements œstrogéniques. Et permettrait de fournir une forme d’œstrogène open source pour le biohacker citoyen, permettant la thérapie hormonale DiY, la production de contraceptifs et le « genderhacking ». Une façon de « questionner la mutagenèse collective de nos corps en cours et proposer un modèle de trans-espèce pour un “paradis œstrogénique” ». À suivre !

Atelier «Open Source Estrogen», le 17 mai  à ISEA Hong-Kong, le 27 mai à Art meets Radical Openess à Vienne et les 1er et 2 juin à Interactivos? au Medialab Prado à Madrid