Makery

La leçon de choses et d’organes d’Edwige Armand

Une autre façon d'écouter un cerveau, c'est ce que propose Edwige Armand avec «Endophonie mécanisée». © Quentin Chevrier / Art2M pour Arcadi Île-de-France

Edwige Armand s’est appuyée sur le fablab Artilect à Toulouse pour concevoir l’installation «Endophonie Mécanisée», exposée dans le cadre de la biennale numérique Nemo, à Paris. L’artiste y donne à «entendre» des organes. 

Dans la salle d’exposition du 104 transformé en atelier laborantin pour la durée de l’exposition Prosopopées, dans le cadre de la biennale d’art numérique Nemo, un curieux spectacle clinique se soumet à notre observation. Placés sous verre, « transfusés » plus que connectés, un cœur, des intestins, un poumon, un cerveau et un foie se livrent à notre empathie dans une évocation murmurée d’un corps amputé et morcelé.

La jeune artiste Edwige Armand donne littéralement ces organes à entendre au public grâce à un système d’amplification et de composition sonore restitués et l’aide de Julien Rabin du GMEA, Centre national de création musicale d’Albi-Tarn. Mais pas seulement.

Son installation Endophonie Mécanisée permet « d’acquérir une conscience grâce à une attention au corps pour rompre nos automatismes langagiers, sensori-moteurs, afin de non pas écouter un autre sens de la réalité mais de l’écrire, “l’enacter”, c’est-à-dire la faire advenir par des choix et des décisions », explique Edwige Armand. Manière « d’inviter à comprendre que ce que nous ressentons, vivons, est toujours une création et que la liberté consiste à se désemparer de toutes les formes dictées, qui ne sont qu’une manière de sentir et penser le monde. »

Des servomoteurs, des organes et une amplification sonore sont à l’œuvre derrière «Endophonie mécanisée». © Quentin Chevrier / Art2M pour Arcadi Île-de-France

Face à ces organes qui lui intiment la nécessité de vivre réellement, le public devient lui-même un organisme du dispositif. « L’art interactif permet de remettre le corps du spectateur en plein centre d’une co-création qui émerge grâce à son mouvement », précise l’artiste. « Ici, la réalité perçue dépend de ses déplacements et co-structurent la pièce plastique. Son corps est acteur partiel de ce qu’il déclenche. »

Le corps acteur partiel du dispositif (ici, le regard). © Quentin Chevrier / Art2M pour Arcadi Île-de-France

De l’art interactif très DiY

Influencé par le travail de nombreux artistes (d’Atau Tanaka à Frédéric Le Junter) et philosophes (de Friedrich Nietzsche à Gilles Deleuze), dans leurs approches aussi sensibles que complexes, Edwige Armand a rapidement compris « les limites de nos outils numériques et l’importance de pousser ces outils pour qu’ils ne nous limitent pas dans la structure de l’interactivité ».

Réalisé dans le cadre d’un master de création numérique à l’Université Toulouse 2 Le Mirail, le dispositif a pour partie été conçu au sein d’Artilect. « Pour régler un certain nombre de détails techniques, seule cette structure était capable de m’apporter de l’aide hors du master. Je ne suis pas hackeuse, ni bricodeuse. Si l’interdisciplinarité consiste à mélanger nos savoirs respectifs pour réaliser ensemble un projet, je préfère faire appel à des personnes plus qualifiées tout en comprenant les enjeux de chaque discipline afin de trouver un langage et des axes communs. »

Au-delà de sa réalisation, la pièce est un casse-tête, notamment en terme de maintenance. « Les servomoteurs peuvent s’arrêter d’une minute à l’autre et il faut les changer régulièrement », poursuit Edwige Armand. « Mais le plus délicat a été la conservation des organes. Hubert Desroques, technicien au laboratoire d’anatomie de Toulouse, a cherché durant deux ans des solutions chimiques afin qu’ils puissent se conserver à l’air. Il a réussi à trouver des solutions pour trois des cinq organes. C’était la plus grande difficulté. »

En collaboration, Edwige Armand a dépassé les obstacles et poursuit l’aventure avec Artilect – une nouvelle pièce devrait être présentée ce mois-ci – et imagine d’autres dispositifs à la lisière de l’art, de la science et de la recherche en intelligence artificielle. 

«Endophonie Mécanisée» est visible au 104 jusqu’au 31 janvier dans le cadre de «Prosopopées»