Makery

A Marseille, la Friche débride ses machines DiY

Poétiques ou utilitaires, les machines ont envahi la Friche du 20 au 22 novembre. © Carine Claude

Le temps d’un week-end, la Friche la Belle de Mai a exploré les relations homme-machine lors du festival de culture numérique Made in Friche. L’occasion aussi pour le public de découvrir les projets de son fablab, le LFO. Visite guidée au pays des machines infernales.

Marseille, envoyée spéciale, texte et photos

L’esprit maker a frappé un grand coup à Marseille. Du 20 au 22 novembre, les espaces labyrinthiques de la Friche la Belle de Mai ont abrité un Made in Friche spécial Machines, sorte de festival d’art et de cultures numériques polymorphe déclinant les relations homme-machine par le biais d’une myriade de micro-événements, performances, dont la détonante Machine Variation, installations et autres joyeuses fiestas en mode DJ sets, le tout relayé par les plateaux en direct de Radio Grenouille, la radio locale associative et figure historique de la Friche (elle émet depuis 1991).

48 heures pour parler machines, anti-machines et hypermachines, transition numérique et nouveaux usages, fablabs et pratiques collaboratives. « Une invitation à ouvrir la blackbox », selon Thomas Ricordeau, enseignant chercheur en arts appliqués qui a prêté main forte à la coordination de l’événement. 

Faites du bruit ! «Machine Variation», la performance des Québecois Martin Messier et Nicolas Bernier.

La salle des Machinations, une mini foire au format open expo

Bravant le mistral entre deux averses de grêle, les visiteurs du festival ont trouvé refuge dans la salle des Machinations, un espace grand public pour découvrir la fabrication numérique dont la programmation a été confiée au LFO, le fablab de la Friche. « Il est temps de bousculer nos certitudes et d’explorer de nouvelles pratiques, en particulier par le faire », explique Céline Berthoumieux, directrice de Zinc, le centre de création numérique de la Friche organisateur de l’événement en binôme avec Seconde Nature, son partenaire aixois.

La salle des Machinations a accueilli un public assez familial. Ici, le hacklab 3615 señor.

Au format mini foire, la salle des Machinations expose une trentaine de projets, souvent à vocation artistique, issus de la collaboration du LFO avec d’autres labs et hackerspaces. Plusieurs ont fait le déplacement, comme le 8fablab de Crest, le hacklab 3615 señor de Besançon, les Italiens du fablab Catania, le Labomedia d’Orléans ou encore Pacabot, l’équipe des « fadas de robots » de Marseille. « C’est le principe d’une open expo, il n’y a pas de curation particulière », dit Anthony Pillette du LFO.

En guise de comité d’accueil, surprise ! Des robots-percussionnistes accrochés aux piliers du hall en nuée assourdissante agitent frénétiquement leurs baguettes de batterie dans des patterns rythmiques plutôt convaincants. Conçues au LFO avec l’appui d’autres labs, ces « chimères » illustrent bien les choix qui ont présidé à la sélection des protos en démo.

Les robots-percussionnistes du «Chimères Orchestra» (teaser):

Autre exemple de proto collaboratif : les boîtiers sonores interactifs BrutBox et les instruments de lutherie électronique DiY développés en open source avec les membres du collectif musical BrutPop, le LFO et le fablab Crest, pensés comme des outils de création sonore pour les personnes en situation de handicap.

David Lemoine du collectif BrutPop.

Moteur à eau et protos de robots 

Plus loin, une petite foule s’agglutine autour du stand de Jonathan Iapicco, un usager du LFO venu présenter sa cellule HHO, un proto un peu fou inspiré des travaux de Stanley Allen Meyer, l’inventeur américain qui aurait conçu dans les années 1970 un moteur à eau permettant de provoquer la fission des molécules d’eau pour en extraire l’hydrogène et l’oxygène. Une source d’énergie écolo controversée, qui permettrait théoriquement de faire un New York-Los Angeles avec 80 litres d’eau…

« Est-ce que ça peut exploser ? », demande un visiteur avec un petit mouvement de recul devant la cellule étanche dégageant de fines bulles. Le maker du LFO ne le contredit pas. « Je n’ai pas de connaissances en ingénierie, on ne connaît pas encore bien le procédé mais c’est très différent des piles à hydrogène », explique ce mécanicien auto de la région de Marseille qui confie avoir découvert un peu par hasard les brevets de Stanley Allen Meyer en surfant sur Internet alors qu’il était au chômage.

Pas de danger (ou presque) pour Jonathan Iapicco et sa cellule HHO.

Dans un registre plus artistique, Emmanuel Rodrigues exposait deux projets relevant d’une certaine poésie mécanique : Imprécisions, son robot à dessiner funambule et son automate Sans titre (mais aussi « sans fin et sans but »), qui répète inlassablement un mouvement fluide, précis et totalement inutile.

Le drawbot «Imprécisions» dessine des paysages et des portraits fugaces en suspension.
La mini grue robot «Sans titre» se déplace sur un rail et transporte un petit cube sans aucun but.
Un labyrinthe pour course de robots conçu par Pacabot.

Côté hackerspace, l’équipe de 3615 señor, le hacklab de Besançon « qui vit à l’heure du Minitel », vient présenter ses traceurs de sérigraphie DiY. « A la base, on est un collectif travaillant dans la micro édition, on navigue dans les arts graphiques et les arts de la rue, et le soir, on hacke ! », dit Laure Saint-Hillier, membre du hacklab qui présente un petit traceur utilisé pour fabriquer des « geek posters », des affiches imprimées en direct pendant des concerts. « Pour Made in Friche, on n’a apporté que deux traceurs, un petit et un moyen, explique-t-elle. Mais on a aussi une grande machine de 2,5 m de large pour travailler dans l’espace public et imprimer des routes, par exemple. »

L’équipe de 3615 señor, le hacklab de Besançon : «Crab», Laure, Guillaume et Ben.

Rencontre des Pacalabs

Quelques jours avant Made in Friche, le LFO avait convié les labs de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur pour une rencontre régionale. Hasard de calendrier, l’invitation avait été lancée pour le 16 novembre, juste après la rencontre nationale des fablabs à Paris les 10 et 11 novembre. « Au niveau national comme régional, on se rend vite compte que les préoccupations sont plus ou moins toujours les mêmes, comme celles de se coordonner ou de trouver les bons outils pour documenter nos projets », dit Anthony Pillette qui n’a pas « envie de réinventer la roue » pour autant.

Il aimerait que l’expérience de la salle des Machinations de Made in Friche se prolonge, « pourquoi pas en alternance d’une année sur l’autre avec des open ateliers, comme on l’avait fait pour What the Flok ». La formule ne fait pas encore consensus parmi les organisateurs de Made in Friche. Tous sont néanmoins d’accord pour refuser une mini-maker Faire sous label. « Au moins, on est unanime sur le maintien de notre indépendance. »

Retrouvez les podcasts des émissions de Radio Grenouille réalisées pendant Made in Friche à partir de jeudi 26 novembre