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Comme un hiatus entre Valls et ses «chers geeks» de Pas Sage en Seine

Au programme de Pas Sage en Seine : surveillance, données et censure de l'Internet. © Elsa Ferreira

300 mètres les séparent… et un monde idéologique. Alors que Manuel Valls présentait la stratégie numérique du gouvernement à la Gaîté lyrique hier, le milieu du logiciel libre avait rendez-vous à Numa pour Pas Sage en Seine. 

Le président du Conseil national du numérique (CNNum), Benoît Thieulin, l’a annoncé : « Il est temps de politiser Internet. » Pas sûr que les geeks militants de Pas Sage en Seine 2015 — PSES, le versant hack du festival du numérique Futur en Seine — aient la même vision que le gouvernement, qui présentait le 18 juin à la Gaîté Lyrique les grandes lignes de son « ambition numérique ». Revue de l’avenir du numérique, version officielle ou version alternative. 

Manuel Valls on Twitter

Liberté d’innover : start-up vs. asso

Alors qu’Emmanuel Macron discute French Tech, start-ups et Emploi Store, à Numa on parle association loi 1901, bénévolat et action locale. Jérôme Poisson, venu présenter son projet de réseau social Libervia et libertaire revendiqué, explique : « On ne se revendique pas du modèle de la start-up mais plutôt de l’autogestion des années 1970 : pas de patron, égalité des salaires et prise de décision par consensus. La façon de gérer un projet est très importante pour son avenir, pense-t-il. Il y a un toujours un risque mais il est nettement amoindri que lorsque tu as un actionnaire majoritaire qui a juste à lâcher un billet pour faire ce qu’il veut. »

C’est aussi le propos de Pierre-Yves Gosset, venu présenter son association Framasoft et encourager son auditoire à « dégoogliser Internet ». Vaste programme qui commence par un « inventaire à la Prévert » des services qu’offre l’entreprise qui valait 60 milliards, de Gmail à Google Car en passant par l’outil pour développeur Google CDN ou la recherche sur l’ADN. « Ça commence à ressembler à Sarah Connor », plaisante-t-il à moitié.

S’il en passe par cet inventaire, c’est pour rappeler que Google et ses collègues des GAFAM (Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) « sont des trous noirs qui aspirent les données, mais aussi l’innovation ». Et que s’est développée « une stratégie start-up » où les jeunes entrepreneurs développent des applis dans le but de les revendre des milliards aux géants du Net. Pour les sceptiques, demandez à Whatsapp, racheté 22 milliards de dollars par Facebook.

Jérôme Poisson et Pierre-Yves Gosset en conversation. © CC-Elsa Ferreira

Égalité des droits : de la neutralité du net à la déconcentration

Manuel Valls l’a promis : la neutralité du Net devrait être inscrite dans la future loi sur le numérique. Une bonne nouvelle qui devrait réjouir tous les participants de PSES. Sauf que bien sûr, côté geek, on aimerait aller un peu plus loin. C’est le cas de John Rambouilled et iZy, deux développeurs venus présenter leur projet de réseau décentralisé. Si on n’a pas tout compris des techniques qui permettraient un tel réseau contrôlé par la communauté plutôt que par une entité unique (à PSES, il faut souvent parler le geek niveau avancé, on y reviendra), on retiendra cette métaphore assez simple : dans la montagne, un talkie-walkie peut être plus utile qu’un portable. Un réseau direct entre deux personnes vaut mieux qu’un réseau redistribué par un opérateur. « Pas besoin de neutralité puisque le réseau est ouvert et qu’aucune entité n’est pas capable d’interdire un contenu ».

Quant à la protection des données que le Premier ministre a promis d’encadrer, on est déjà bien loin : VPN, chiffrage, auto-hébergement… pour vivre heureux, vivons cachés.

A Pas Sage en Seine, on affiche la couleur. © Elsa Ferreira

Fraternité : comment éviter un internet à deux vitesses

Le gouvernement prévoit d’établir un « droit à la connexion » et d’accompagner les personnes par la médiation numérique. Sur ce point, on dirait bien que geek et gouvernement en soient au même niveau. C’est que le jargon est précis et que libre ne veut pas dire accessible. « On reste un peu dans un milieu qui se parle à lui-même », regrette Jerôme Poisson. « C’est une des grosses problématiques, confirme Pierre-Yves. Comment faire pour ne pas avoir de fracture numérique entre les gens qui savent et les autres ? Une fois que les gens sont conscientisés et sensibilisés, comment les accompagner ? Comment rendre les choses suffisamment simples ? »

La question reste en suspens même si quelques solutions sont déjà en marche : des groupes d’utilisateurs de logiciel libre (GULL) qui accompagnent les gens localement, des Cafés Vie Privée ou des Chiffrofêtes –comme à PSES– pour apprendre à utiliser les techniques de chiffrage.

Pour toucher un public plus large, Laurent Chemla fondateur de Gandi et activiste pro-libre depuis toujours, s’attache à développer un argumentaire pour sensibiliser les profanes à la question de la vie privée. Ce qu’on en retiendra : ne parlez pas métadonnées. C’est peut-être important, mais tout le monde s’en fout. Vraiment ?

Une salle, deux ambiances. © CC-Elsa Ferreira

La « République numérique » sera exemplaire…

On a déjà vu ce que donnait la République exemplaire de François Hollande. On attend la version numérique (après l’adoption de la loi sur le renseignement). A PSES, la députée Isabelle Attard et son attaché parlementaire Frédéric Toutain se frottent au public geek avec leur conférence « Hacker le parlement ». Les mis en examen et amis de Tarnac viendront ce samedi expliquer pourquoi « Hacker veut dire se rendre ingouvernable ». Va y avoir du sport…

Le programme de Pas Sage en Seine 

Le rapport Ambition Numérique