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Au hackathon de l’édition, les éditeurs sont bons joueurs

Le Labo de l’édition à Paris accueillait du 12 au 14 décembre son deuxième hackathon sur le thème des nouveaux usages du livre pour imaginer la lecture digitale autrement.

Pas d’électronique embarquée, ni d’impression 3D pour ce deuxième hackathon du Labo de l’édition, mais des crayons, des tablettes et des tas de carnets de croquis. « On a testé plusieurs formats type masterclass, tables rondes ou bookcamp, mais le principe du hackathon, dans sa dimension exploratoire, est parfaitement adapté pour repenser la mutation du livre », explique Nicolas Rodelet, responsable de cet équipement hybride entre lab et incubateur, lancé par la mairie de Paris pour accompagner le secteur de l’édition vers le numérique.

Quand les éditeurs se mettent à la bidouille

Pendant 48h, une trentaine de participants, étudiants, auteurs, créatifs, universitaires, développeurs et autres éditeurs se sont focalisés sur l’évolution des usages du livre et le renouvellement de la production éditoriale. L’originalité de ce hackathon ? Des poids lourds de l’édition comme Bayard, le Seuil, Autrement, Le Robert et Albin Michel livrent à la bidouille leur précieuse matière première : textes, graphismes, illustrations ou encore cartes. Et participent activement au prototypage des nouvelles narrations, pas seulement comme observateurs ou mentors. « Ici, les partenaires éditeurs et les participants sont vraiment dans l’action. Ils ont tout de suite pu rentrer dans le vif du sujet en se concentrant sur le faire sans passer du temps à produire du contenu », dit Nicolas Rodelet.

Le 2ème hackathon de l’édition a réuni une trentaine de participants du 12 au 14 décembre à Paris. © DR

Une première équipe se lance dans un casse-tête de la cartographie interactive. Une cartographe, l’éditeur, une graphiste et un développeur partent de L’Atlas de Rome édité par Autrement. « On a déconstruit toutes les cartes pour les reconstruire de manière dynamique, sans abuser des ajouts de photos ou de médias qui font parfois gadget », dit la cartographe. Plutôt qu’une superposition de cartes historiques, l’évolution de la ville se dévoile peu à peu, du petit bourg antique à l’agglomération moderne. Synchronisation fluide également pour leur seconde carte animée avec bande son et commentaires en prime pour revivre heure par heure le pillage de Rome par Charles Quint le 6 mai 1527.

L’enthousiasme retombe pour une autre équipe qui découvre les joies et aléas du prototypage. Les trois graphistes qui se sont penchés sur un roman jeune public de Bayard enchaînent les soucis techniques et constatent : « On a beau être graphistes, on voit bien qu’on ne peut pas faire grand chose sans développeurs ! »

Autrement souhaite montrer cet exemple d’adaptation numérique pour ses prochaines cartes. © DR

Editeur-hacker ? Faut pas rêver

Les mentors techniques veillent pourtant. « Pour le hackathon que nous avions organisé autour de la BD numérique en juin dernier, au-delà des questions d’animation, du turbo média ou du scrollable, l’idée centrale était de faire évoluer le standard ePub avec des développeurs qui mettaient à leur disposition leurs librairies de codes en s’inspirant des expériences du libre. » De là à convaincre les éditeurs de se mettre à l’open source… Car si les grandes maisons ont bien compris l’intérêt de jouer dans le bac à sable du hackathon pour piocher de bonnes idées, elles demeurent toujours aussi frileuses quant à la commercialisation non autorisée de leurs œuvres et aux détournements possibles du sacro-saint droit d’auteur. Du coup, le hackathon est encadré par une charte prévoyant que les projets soient conçus « aux strictes fins d’expérimentation non commerciale ». Mais, bons joueurs, les éditeurs précisent que les protos pourront « constituer des œuvres de collaboration et donner lieu, le cas échéant, à une contractualisation entre ses différents auteurs ».

Mutation digitale

La créativité numérique reste souvent en panne du côté de Saint-Germain-des-Prés. « Plusieurs participants venant des grandes maisons d’édition savent très bien qu’ils vont devoir convaincre en interne leur hiérarchie », admet Nicolas Rodelet. « Si tout le monde s’accorde la nécessité d’une mutation digitale, toute la question reste de savoir comment. » Certains ont pourtant un train d’avance. Albin Michel, rôdé dans le croisement éditorial entre papier et numérique, ferme la restitution publique devant une cinquantaine de personne avec la présentation des travaux sur la collection Les Petits Débrouillards et leur articulation au marketing bien huilé entre support, interface et réseaux sociaux. Florence Dell’Aiera, l’adjointe au directeur du développement numérique d’Albin Michel, sort les grandes manœuvres démonstratives. L’atmosphère se charge d’électricité corporate, non sans un léger malaise côté public.

Prochaine étape : « Pourquoi pas un hackathon sur la presse ou le livre scolaire », dit Nicolas Rodelet, aux manettes de tous les projets du labo de l’édition, mais aussi de celui des nouveaux médias avec sa micro-équipe. « Franchement, ce ne sont pas les sujets qui manquent, plutôt le temps ! »

La restitution du hackathon de l’édition sera présentée à l’occasion du Salon Demain Le Livre en février 2015 et du Salon du Livre de Paris en mars 2015.