Makery

Ouagalab : doucement mais sûrement

Atelier Jerry au bootcamp du Ouagalab, en juin 2014. © DR

Caroline Grellier, fraîchement diplômée de l’école Boulle à Paris, vient de passer quelques mois au Woelab (fablab, Togo). En juin 2014, elle participe au bootcamp préparatoire d’Innovafrica, organisé par le premier fablab d’Afrique de l’Ouest, le Ouagalab (Burkina Faso). Pour Makery, elle fait le récit de cette réunion de makers africains.

21 juin 2014

Yes, they did it ! Après plus de trois ans d’existence nomade, la joyeuse bande du Ouagalab, premier fablab d’Afrique de l’Ouest né en 2011, est parvenue à récolter plus de 7000 euros grâce à un financement participatif, afin de s’aménager un petit nid douillet dans une cour pouvant accueillir leurs projets. Depuis le WoeLab au Togo, où je suis arrivée il y a 7 mois, je saute sur l’occasion de rencontrer Gildas Guiella, co-fondateur du Ouagalab, et ses copains, en participant au bootcamp qu’ils organisent du 22 au 27 juin, pour organiser le forum annuel InnovAfrica qui réunira fin novembre 2014 à Lomé les porteurs de projets innovants et les passionnés de technologie d’Afrique de l’Ouest. Retour sur les temps forts de cette semaine, pour découvrir ce qui se trame dans la capitale burkinabée.

Ouagadougou. Sur la route du bootcamp, chacun sur sa moto. © DR

37 heures de voyage

Une traversée nocturne du Ghana dans un bus digne d’un maracas sur une piste en travaux où foncent poids lourds surchargés vacillants, trotros rouillés, bus et taxi ; une panne de bus, puis une panne de voiture sous un soleil brûlant plus tard, me voilà au Burkina Faso, à Ouagadougou, Ouaga-doux-goût ou même Ouaga de son petit nom.

Premier aperçu de la ville à moto et premier choc… thermique : la chaleur est écrasante. Gildas nous accueille autour d’une Brakina (la bière made in Burkina Faso) et nous souhaite la fameuse « bonne arrivée » africaine. Je retrouve autour de la table du maquis mes collègues togolais, ghanéens, béninois, dans une ambiance familiale. Les Ivoiriens nous rejoindront plus tard, occupés à faire avancer en temps réel la cartographie Umap des zones inondées d’Abidjan pour aider les secouristes. Les « Mon kôrô » (mon grand frère) sont dans toutes les bouches et les rires résonnent, puisque tous se connaissent et entretiennent de fortes relations sur les réseaux sociaux.

Deux heures plus tard, dans le salon familial, sur fond de Honduras-Equateur (Coupe du monde oblige), je questionne Gildas, sur un petit nuage suite à la Kisskissbankbank bonne nouvelle, sur le pourquoi du comment du Ouagalab. En 2011, ce geek a participé au forum InnovAfrica à Ouagadougou. A la fin du forum, le virus est pris, il parle de son envie de créer une communauté de makers burkinabés. Pendant trois ans, le Ouagalab se construit lentement mais sûrement, brique par brique. A commencer par la communauté.

A défaut de pouvoir louer un local, idées et projets voient le jour au maquis entre amis, dans le garage de l’un, dans la cour de l’autre, ou encore dans un local prêté un temps par une association. Ce nomadisme forge un état d’esprit de débrouillardise. En écoutant Gildas, je perçois l’engagement de cette jeune communauté, prête à quelques sacrifices : refuser un emploi trop chronophage, décliner une mission géographiquement éloignée, donner tout son temps et son énergie pour construire ensemble et donner la preuve par l’action que oui, on peut changer les choses en agissant concrètement sur de petits riens, pour transformer le quotidien du Ouagalais, du Burkinabé, de l’Africain. « Même si on est deux, on le fait, dit Gildas. Le Ouagalab est ouvert à tous, mais n’attend personne en particulier pour avancer.»

Le noyau dur de la communauté se compte sur dix doigts. Qu’importe. Les activités fleurissent : une éolienne open source à partir de matériaux de récupération, un ordinateur Jerry monté dans une calebasse pour solutionner les problèmes thermiques, des mapping party et formations OpenStreetMap dans plusieurs villes du pays, des ateliers logiciels libres, des soirées bidouille Arduino, un atelier de montage de fraiseuse numérique.

27 juin 2014 : mapping, Arduino & co

Caprices de la connexion internet pour transférer les données de notre mapping sur OpenStreetMap… On nettoie à la brosse à dent la CNC montée en 2011. Au fond, les geeks explorent un Arduino Leonardo, discutent logiciels libres, s’acharnent au fer à repasser sur un circuit imprimé DIY en cuivre dessiné à l’aide du logiciel Eagle, concentrent leurs efforts sur le dernier exercice de la coding school Python.

Gildas et Matthieu refont une beauté à la fraiseuse numérique à coup de brosse à dents. © DR

En tant qu’unique représentante de la gente féminine, je donne un coup de main pour la couture du Jerry bicolore. En fin de journée, Gildas nous emmène tous sur le lieu du futur OuagaLab : une cour à réaménager dans un quartier calme, à 200m de la route. Ici, un hangar avec une toiture en tapettes ; là, des chambres pour les visiteurs de passage ; et au fond, des toilettes sèches. A l’heure où j’écris, les travaux estivaux ont considérablement avancé : géographes au marteau, geeks au ciment, chacun s’y est collé.

Les membres du Ouagalab prennent la parole dans leur futur local.  © DR

29 juin : Visions Afrik 

Date historique ! Celle de l’assemblée constitutive de Visions Afrik, l’association porteuse du Ouagalab, mais aussi d’un projet plus vaste de tiers-lieu, incluant un coworking space dédié à l’accompagnement et au développement de projets. L’équipe réfléchit déjà à concevoir une imprimante 3D à l’énergie solaire et à réhabiliter un bus en salle informatique itinérante pour réduire la fracture numérique chez les Burkinabés.

La journée se termine par le débrief-rituel autour d’une Brakina « bien tapée », comprenez « bien fraîche ». Pas du luxe vu la chaleur tropicale. L’heure est au bilan, à peine entaché par l’élimination discutable de la Côte d’Ivoire au Mondial.

Derniers tests de la semaine concluants à la CNC. © DR

Lors de cette semaine de bootcamp avec les communautés ivoirienne, togolaise, béninoise, ghanéenne, burkinabée et française, j’ai senti des points de connexions forts entre la culture africaine et l’état d’esprit du maker. Cette façon de vivre au jour le jour, de faire ce qu’on peut faire aujourd’hui sans attendre demain, avec les moyens disponibles et de la créativité, en s’appuyant sur des ressources humaines et non matérielles. Le Ouagalab semble en tout cas avoir évité l’un des pièges du fablab : un lieu équipé qui laisse place à la fascination de la machine, mais vide de sens et de projets. La devise de ce modèle inspirant pourrait être : les copains d’abord !

Le site web du Ouagalab