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On est monté dans la Turtle, la voiture africaine 100% recyclée

La Smati Turtle 1, première voiture montée à la main au Ghana, s'expose devant l'espace d'art Bel Ordinaire à Pau. © E. Chardronnet

La Turtle, voiture DIY made in Ghana, est à voir (et essayer) au centre d’art Le Bel Ordinaire à Pau, dans le cadre de l’exposition « Disnovation », fil rouge du festival Accès(s).

(Pau, envoyé spécial)

Depuis 14 ans, Accès(s) à Pau explore les cultures électroniques à l’année et surtout lors de son festival éponyme, qui se déroulera cette année du 13 au 16 novembre. Fil rouge de l’édition 2014, l’exposition « Disnovation », thème choisi par les deux commissaires invités d’Accès(s), Bertrand Grimault et Nicolas Maigret (on vous en avait touché deux mots lors du Art Hack Day à Paris). Derrière ce néologisme, ils s’intéressent aux artistes et activistes qui décryptent la « propagande de l’innovation », cette soi-disant solution miracle pour relancer l’économie. Le dialogue entre dystopie (anticipation catastrophiste) et innovation proposé par leur programmation remet en question la fuite en avant du progrès, questionne notre fétichisme technologique ou encore l’obsolescence programmée de notre monde technique.

La disnovation de la tortue

Pour éclairer leur postulat critique, l’exposition donne la part belle à la Turtle, une voiture 100% made in Ghana, fabriquée par des artisans locaux, comme un défi à la logique industrielle occidentale. Garée devant le Bel Ordinaire, le lieu d’art contemporain palois, c’est un véhicule hors norme qu’il est possible de regarder sous toutes les coutures, entre pick-up et jeep, une voiture conçue et adaptée aux besoins locaux.

La Turtle n’est pas aux normes occidentales et ne fera que quelques tours de parking à Pau. © E. Chardronnet

L’histoire de la Turtle démarre il y a quelques années lorsque l’artiste de Rotterdam Melle Smets et le sociologue Joost van Onna décident de suivre la piste de déchets de pièces automobiles occidentales et se retrouvent dans un endroit appelé Suame Magazine au Ghana, où ces déchets sont traités et commercialisés par quelque 200 000 techniciens hautement spécialisés dans 12 000 ateliers informels.

Toutes les voitures ne finissent pas à la décharge, ni même comme voitures de troisième main en Afrique, et les deux compères constatent que certaines pièces séparées servent à des usages totalement inattendus et qu’une large économie du recyclage, inconnue en Europe, se développe là-bas. Smets et von Ossa décident en mars 2012 de chercher un partenaire local pour tenter de développer avec eux une voiture 100% locale.

Suame Magazine, plus vaste espace de recyclage de voitures d’Afrique de l’Ouest, au Ghana. © DR

Fort des quelques soutiens hollandais dans le domaine de la coopération, le projet devient possible grâce au Smido, la Suame Magazine Industrial Development Organisation, qui va mettre à disposition un atelier et un coordinateur technique pour assurer le processus de fabrication et la mise en lien avec les nombreux artisans et mécaniciens qui vont s’atteler au projet.

 Le projet Turtle :

S’ensuit une belle histoire collective qui va mener à la Smati Turtle 1, Smati pour Suame Magazine Automatics Technical Institute, et tortue pour le caractère solide et robuste qu’évoque le reptile. La voiture sera construite en trois mois dans les multiples ateliers de Suame Magazine et les Néerlandais contribueront à son développement en organisant un travail narratif pour raconter la chaîne informelle d’assemblage de la voiture.

Un extrait des docs vidéo sur la Turtle, avec Master Frimpong :

C’est d’ailleurs un peu grâce à leur profil de documentariste que l’idée a pu prendre forme : documenter un processus de fabrication Do It Yourself et utiliser ce travail documentaire comme moteur pour le projet. Ici : construire sur place une voiture de A à Z et suivre le processus d’atelier en atelier pour comprendre le processus et ensuite raconter l’histoire. Une histoire qui sera également largement couverte par les télévisions locales et qui amènera le roi Otumfuo Nana Osei Tutu II du Ghana à venir essayer le véhicule et à soutenir « l’innovation » locale.

Le premier prototype de la Turtle a été conçue en trois mois à Suame Magazine. © DR

La Turtle entre steampunk vingtième siècle et disnovation, auraient pu annoncer Nicolas Maigret et Bertrand Grimault. Car ici pas d’électronique (trop compliqué à entretenir), mais un moteur simple et un chassis robuste pour une voiture pick-up modulaire inspirée de la Buafo des années 1970 et qui peut porter des charges lourdes ou de nombreuses personnes ou se déployer en stand pour la vente sur les marchés.

La voiture Turtle, leçon de simplicité :

Une fois la construction de la voiture achevée début 2013, la Turtle a entamé un voyage promo européen pour stimuler la coopération dans le domaine de la formation professionnelle. Car les deux Hollandais entendent bien continuer l’aventure avec leurs nouveaux amis pour la construction d’une Turtle 2 à Suame Magazine.

La méthode Turtle est encore loin de respecter les normes européennes de circulation… Et c’est aussi cela que nous montre son exposition à Pau. La voiture ne peut guère circuler dans l’agglomération paloise, tout juste faire quelques tours sur le parking où elle est exposée. Et c’est dans le centre d’art, à travers de multiples fresques, vidéos, schémas techniques, témoignages et impacts médiatiques que nous prenons connaissance du projet, bien loin de la frénésie du Mondial de l’automobile, qui, coïncidence de calendrier, se tient en ce moment à Paris (du 4 au 19 octobre). De quoi devenir nostalgique des belles heures des pionniers de l’automobile prototype, avant l’essor de la production en série propre au capitalisme industriel, le fordisme.

Le projet Smati Turtle 1

Festival Accès(s) #14, « Disnovation, une exploration critique des mécanismes et de la rhétorique de l’innovation », exposition du 8/10 au 6/12/14, festival à Pau du 13 au 16/11