Education nationale: le «mécénat» de Microsoft passe mal

Najat Vallaud-Belkacem et Alain Crozier, président de Microsoft France, lors de la signature de l’accord le 30 novembre 2015 (capture écran). © DR

Le partenariat Microsoft-Education nationale agite les défenseurs du logiciel libre. Un premier procès perdu, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) saisie, une pétition qui circule… Créé début 2016, le collectif d’associations libristes Edunathon a intenté une action en justice contre l’Etat et Microsoft pour contester la légalité du partenariat de 13 millions d’euros conclu en novembre 2015. Argument ? L’Etat a signé cet accord avec Microsoft au mépris du code des marchés publics. Mi-septembre, le tribunal de grande instance de Paris en a jugé autrement. Dans son ordonnance de référé, il refuse non seulement de suspendre l’accord passé entre l’Etat et Microsoft, mais condamne les associations du collectif à verser 2 500€ à l’État et 2 500€ à Microsoft.

Un véritable coup de massue pour les plaignants. « Pour l’instant, on est sous le choc, il faut déjà digérer les 5 000€ qui nous sont réclamés », constate, amère, Marie-Jo Kopp-Castinel, présidente de l’association La Mouette, co-fondatrice du collectif. L’accord passé avec l’Etat a été interprété en mécénat par le tribunal. « Après ce référé, nous envisageons d’aller faire juger l’affaire sur le fond, car c’est cette notion de mécénat que nous contestons et pour l’instant, c’est le flou juridique complet », ajoute-t-elle, expliquant n’avoir eu aucune réponse satisfaisante concernant l’absence de passation de marché public. « Sans compter que la qualification en mécénat défiscalise l’entreprise à 60% ! »

«Partenariat indigne»

Lors de la signature de cet accord non-exclusif valable 18 mois, la firme américaine s’engageait à investir 13 millions d’euros dans le cadre du plan numérique à l’école pour la fourniture gratuite de suites logicielles, la formation des enseignants et l’apprentissage du code informatique pour les élèves. « La principale question posée au tribunal est de savoir s’il est possible en France qu’une multinationale et un ministère s’exonèrent du droit des marchés publics et de la concurrence », précise le collectif dans un communiqué.

Le monde éducatif s’est également ému. Co-signées par les principales organisations syndicales et fédérations enseignantes, une pétition de l’April, association de défense des logiciels libres, dénonçait dès décembre 2015 « un partenariat indigne des valeurs affichées par l’Éducation nationale ». Elle a recueilli à ce jour 7 688 soutiens.

En effet, l’accord Microsoft-Education nationale est à rebours de la circulaire Ayrault sur l’usage des logiciels libres dans l’administration, datant de septembre 2012. A l’époque, cet engagement pour le libre avait été salué comme une « avancée majeure » par le Conseil national du logiciel libre, et d’« historique » par l’Aful (Association francophone des utilisateurs de logiciels libres). Depuis, le gouvernement publie chaque année une liste de logiciels libres recommandés, dont la suite bureautique Libre Office. 

«L’école ne peut pas être le VRP d’une société commerciale. C’est du formatage au plus bas niveau.»

Marie-Jo Kopp-Castinel, collectif Edunathon

Respect de la démocratie, respect du droit public…  Au-delà de ces préoccupations, Marie-Jo Kopp-Castinel s’insurge contre le mauvais signal envoyé par le ministère, censé garantir la diversité à l’école. Selon elle, le risque majeur est bien le formatage des élèves, destinés à devenir les futurs consommateurs de produits Microsoft. Un risque d’acculturation souligné par l’universitaire et blogueur Olivier Ertzscheid dans son billet du 14 octobre, interpellant la ministre de l’Education : « Si on apprend aux enfants, dès l’école primaire, à utiliser les outils et la philosophie Microsoft, ils ne vont pas se prendre le chou à basculer vers des logiciels libres. »

Pour l’heure, le collectif réserve sa décision quant aux suites à donner en justice. Une retenue justifiée par le risque de créer, en cas d’échec, une jurisprudence qui ouvrirait les vannes pour ce type de pratique et mettrait au tapis les petits fournisseurs de logiciels libres, incapables de rivaliser avec la puissance de feu des géants de l’industrie logicielle propriétaire. En attendant, Edunathon a décidé de saisir la Cnil concernant l’utilisation des données personnelles des enfants. Pour Marie-Jo Kopp-Castinel, « l’objectif n’est pas d’aller en justice à tout prix, mais de proposer des solutions alternatives car les logiciels libres équivalents aux suites Microsoft existent déjà ». Et de citer en exemple Framasoft.

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