Expédition au Groenland avec Rewilding Cultures : Jean Danton Laffert en quête de permafrost
Publié le 13 mars 2025 par Jean Danton Laffert
L’appel à projets Rewilding Cultures Mobility Conversation 2025 est ouvert jusqu’au 31 mars. Cette bourse vise à initier des échanges culturels et finance la mobilité au-delà des formes habituelles de soutien. Parmi les projets de 2024, l’artiste multidisciplinaire Jean Danton Laffert s’est rendu pendant un mois au Arctic Culture Lab à Ilulissat, au Groenland, avec le soutien de Radiona, le makerspace de Zagreb. Retour en photos.
Texte et photos Jean Danton Laffert
Jean Danton Laffert Parraguez est un artiste visuel et doctorant chilien, actuellement basé aux Pays-Bas. Son travail se situe à l’intersection de l’art, de la science et de l’écologie à travers des installations multimédias qui utilisent la lumière, l’espace, les systèmes électroniques et la matière vivante. Il explore une esthétique hybride entre le numérique et l’organique avec des bio-interfaces, qui adressent des sujets biopolitiques. Sa méthode créative découle du processus collaboratif entre scientifiques, artistes et humanistes. Il a été enseignant dans des universités et des écoles, ainsi qu’artiste chercheur au fablab de l’Université du Chili.
Au Groenland, Jean Danton a développé son projet Observations on Permafrost, un récit visuel sur le pergélisol (ou permafrost) dans l’Arctique et son processus de dégel, traces de la crise anthropogénique actuelle. En s’appuyant sur l’art numérique, les grands jeux de données environnementales et une pratique collaborative transdisciplinaire avec des scientifiques et des artistes, il a élaboré un plan d’exploration sur le terrain, à la recherche d’une expérience esthétique située et d’enseignements sur la manière dont un phénomène aussi éloigné que le pergélisol met en évidence les interdépendances dans notre monde moderne.
Que peuvent nous apprendre les communautés isolées du Groenland sur l’adaptation à ces problèmes ? Pouvons-nous trouver dans ces régions des visions alternatives à la crise de l’Anthropocène ?
Préparation de l’expédition
J’ai commencé ce projet en juillet 2023, en collaboration avec Runa Magnusson, une scientifique spécialiste du pergélisol de l’université de Wageningen. Au départ, ce projet était une recherche de thèse pour le Master of Fine Arts – « Ecology Futures », que je poursuivais à la St. Joost School of Arts aux Pays-Bas. Après une période de recherche théorique et de petites expériences, j’ai participé en mars 2024 à la résidence Ars Bioarctica. Ce fut ma première exploration sur le terrain en Laponie finlandaise, et mes premières observations du pergélisol et de son réseau écologique : la glace, le sol, les mousses, les lichens, les rennes et le climat. Tout cela a défini ma première phase d’exploration.
En août 2024, j’ai terminé le Master Ecology Futures avec un prototype d’installation artistique. Ensuite, j’ai préparé la résidence au Groenland à l’Arctic Culture Lab pour la période octobre-novembre, avec le soutien de la bourse de mobilité Rewilding Cultures et de Radiona, makerspace de Zagreb.

“Observations on Permafrost” est un projet lié à une expérience de terrain locale dans l’Arctique. Normalement, les personnes issues de zones urbaines ou de grandes villes n’ont pas accès à ces endroits reculés, et parfois elles ne se rendent pas compte des problèmes de l’Arctique et de leur importance pour nous tous.
En ce sens, capturer la vie des populations locales, y compris les communautés inuites, était un point important de la résidence et des futurs résultats créatifs. Le pergélisol est très présent dans la vie quotidienne des Groenlandais, leur perception est donc essentielle pour intégrer le facteur humain dans mon projet.

La résidence est située à Ilulissat, une petite ville sur la côte ouest du Groenland. Elle est très proche du glacier Kangia et entourée de nombreux fjords, ainsi que de villages au nord et au sud de cette zone.
Les villages que j’ai visités fréquemment pendant mon séjour étaient Oqaatsut (au nord) et Ilimanaq (au sud). Je suis arrivé par bateau. Dans la région d’Ilulissat, j’ai fait des randonnées et des explorations de terrain sur la côte du fjord et à l’intérieur des terres, ainsi que de la voile dans une partie de la zone maritime du fjord.
J’ai prélevé des échantillons de sol et collecté des espèces végétales dans des champs ouverts et sur les côtes des fjords, où l’on trouve des traces de glissements de terrain et de tsunamis liés à la fonte du pergélisol.




Habitations éloignées
Situés dans des régions reculées de la côte ouest du Groenland, certaines zones d’habitation ne sont accessibles que par hélicoptère ou par bateau.





Lors de ces voyages, nous avons visité, avec le photographe et un guide, différents endroits dans les villages, les maisons et les zones qui ont été touchées par des glissements de terrain causés par le pergélisol. Nous en avons discuté avec les habitants, nous avons découvert leur vie quotidienne et leur vision du changement climatique au Groenland.
Étude des effets du pergélisol sur les bâtiments
Au-delà des effets de glissement de terrain et de tsunami, certains bâtiments revêtent une importance particulière pour la société. L’un d’entre eux est le musée historique d’Ilulissat, qui fait partie de l’histoire de la ville et qui met en lumière les controverses sur la fonte du pergélisol dans la ville ; un miroir intemporel de la relation de l’homme avec la terre et le climat.
Pendant mon séjour, j’ai accordé une attention particulière à ce bâtiment. Il présente une grande irrégularité à sa base, et risque de s’effondrer dans les années à venir. Grâce au soutien d’Andreas Hoffman, l’un des directeurs du musée, j’ai pu accéder aux espaces intérieurs du bâtiment et vérifier le degré exact de dénivellation et de détérioration de sa structure, dues à la fonte du pergélisol qui augmente d’année en année.



Exploration de sites clés
Les effets du dégel du pergélisol sur le développement urbain d’Ilulissat sont considérables. Depuis quelques années, les autorités gouvernementales travaillent en collaboration avec des entreprises privées pour concevoir un nouveau plan de développement durable et résilient au climat au Groenland, en mettant l’accent sur le pergélisol.
J’ai visité le nouvel aéroport d’Ilulissat. Depuis 2022, des travaux de transformation sont en cours, qui consistent à retirer toute la couche souterraine de pergélisol afin d’obtenir une base stable pour le nouvel aéroport, car l’actuel a souffert de graves dommages dus au dégel du pergélisol ces dernières années. Nous avons réalisé des vidéos, des photos et une interview avec un ingénieur en charge du projet.



J’ai également visité le chantier d’une maison de retraite. Dans le cadre de ces travaux, une partie de la couche souterraine de pergélisol a été excavée mécaniquement aux endroits marqués d’un X rouge. Nous avons discuté avec le chef de chantier, qui nous a expliqué les détails techniques, et fait part de son impression en tant que citoyen des effets du changement climatique sur la vie quotidienne à Ilulissat.


ILLU science & art
Illu science & art hub est un lieu de rencontre pour la communauté locale, où des artistes et des scientifiques organisent régulièrement des activités ouvertes au public. Le centre a été créé par l’Université de Bergen (UiB), en collaboration avec des partenaires du projet ClimateNarratives, et de Avannaata Kommunia.
J’ai été invité à participer à des événements artistiques tels que la présentation de « Wispers of the sea », une installation de performance interactive de Birgitte Bauer-Nilsen, une chorégraphe danoise. J’ai pu ainsi établir des liens importants avec des artistes et des acteurs culturels du Groenland et du Danemark.


Dans le cadre du programme de résidence Arctic Culture Lab, j’ai été invité à participer à des activités au Ice Fjord Center à Ilulissat. J’y ai rencontré Karl Sandgreen, le directeur du centre. Grâce à Karl, j’ai pu, entre autres, participer à une activité artistique avec des enfants de la région, discuter avec eux et découvrir leur quotidien.
Au Musée historique d’Ilulissat, j’ai pu découvrir plus en profondeur la culture et l’histoire du Groenland et de ses habitants, leur langue, leur technologie et leur ancienne relation avec les pionniers européens.
Au musée d’art, j’ai pu découvrir l’art contemporain d’artistes locaux et internationaux. J’ai été confronté à différentes approches sur des sujets liés au Groenland et à sa relation avec les tendances mondiales.
Les deux institutions sont liées à la résidence Arctic Culture Lab, j’avais donc un accès direct à ses bibliothèques, ses installations et son personnel.



Activités éducatives
Il était très important pour moi d’explorer l’aspect humain du phénomène du permafrost au Groenland. J’ai donc, de ma propre initiative, mené une activité dans une école d’Ilulissat pour connaître les impressions des enfants sur ce sujet.



J’ai proposé un atelier d’une journée à l’école Mathias Storch et j’ai été très bien accueilli par les coordinateurs et les enseignants. Après deux semaines de coordination, j’ai organisé une séance de conversation avec les élèves sur le pergélisol dans leur vie quotidienne. Je les encourage à s’exprimer avec du matériel artistique de base ainsi qu’avec des échantillons de lichens et de mousses de la région que j’ai collectés lors de mes excursions.
Ce fut une expérience enrichissante et magnifique, tant pour les enfants que pour moi. Leurs écrits et leurs créations artistiques serviront de référence pour mon futur projet artistique.
Prochaines étapes
Fort de cette expérience, je prévois de réaliser une installation multimédia pour des expositions en Europe en 2025 ou 2026. Je travaille actuellement sur les prochaines étapes pour y parvenir. L’impact global que j’attends de ce projet ne concerne pas seulement les expositions d’art, mais aussi l’éducation et les conférences. Je pense que je peux contribuer aux réflexions mondiales sur le changement climatique. Comme le dit Bruno Latour, « Il ya une scission entre la nature et la culture à l’époque moderne ». Ce projet cherche également à saisir, autant que possible, une vision non occidentale en contraste avec la connaissance scientifique unique et notre perspective classique de la nature dans les sociétés occidentales.

Postulez jusqu’au 31 mars à l’appel à candidatures ouvert Rewilding Cultures Mobility Conversation
Jean Danton Laffert était soutenu par Radiona pour ce projet