Avec A4, accompagner les personnes aux parcours migratoires dans l’installation en agriculture et artisanat en France
Publié le 8 août 2024 par Association A4
Makery a co-produit ce printemps le numéro 6 du journal occasionnel La Planète Laboratoire. Ce numéro imagine un futur paysan et néo-paysan, inventé par des paysans planétaires, organisés en territoires divers, cultivant des biotopes plus hétérogènes, plus démocratiques, et donc plus habitables. La section centrale est consacrée à la récente initiative Soil Assembly, et développe quelques-unes des expériences, réflexions et enquêtes recueillies au sein de ce réseau émergent. L’association A4 présente dans ces lignes son engagement en faveur de l’aide à l’installation et au développement de projets agricoles par des personnes migrantes.
L’Association d’Accueil en Agriculture et Artisanat (A4) (1) est portée par un collectif de personnes précaires – notamment en raison de nos statuts administratifs de « sans-papiers » ou « d’exilé·e·s » – souhaitant vivre de façon digne et travailler dans les domaines de l’agriculture ou de l’artisanat en France. Dans notre collectif, il y a d’anciens boulangers, des cultivateurs et cultivatrices, des soudeurs, des membres divers d’associations d’éducation populaire, déjà impliqués dans les questions agricoles ou alimentaires. Le projet est un défi face à la polarisation entre centres urbains et périphéries, entre villes et campagnes, entre ceux et celles qui ont ou qui n’ont pas de papiers, face à la montée de l’extrême droite, mais aussi face à la déprise agricole qui touche les territoires ruraux et l’expansion annoncée de l’agro-industrie en Europe, et face aux bouleversements climatiques. C’est sur la base de constats partagés et de difficultés communes entre paysan·ne·s et artisan·e·s français et personnes avec des galères de papiers que nous pourrons construire une dynamique d’accueil et d’installation d’égal à égal (2), basée sur l’entraide. Nous ne voulons pas de la charité, nous voulons établir des réseaux fondés sur des besoins mutuels. C’est une condition essentielle pour que le projet réussisse : que nous soyons considéré·e·s comme des paysan·ne·s et artisan·e·s à part entière et non pas comme de simples « bénéficiaires ». Nous sommes au carrefour des luttes de l’immigration, de l’antiracisme, des luttes paysannes et écologistes. Nous tentons de décloisonner des mondes militants qui, même lorsqu’ils partagent un territoire commun, ne se rencontrent pas. Créer un réseau ne veut pas dire supplanter l’existant mais bien contribuer à renforcer le maillage de solidarité et d’entraide puisque nous sommes aux carrefours de plusieurs enjeux politiques.
Origine : retrouver un rapport sensible à la terre
Le contexte du confinement lié au Covid au printemps 2020 nous a rappelé la grande fragilité et la vulnérabilité d’un département comme le 93 mais a aussi été un terrain fertile pour tisser des liens entre différentes dynamiques militantes, notamment portées sur des réflexions autour de l’alimentation, la terre, l’agriculture vivrière, la formation et le travail agricole. Des rencontres à la ZAD (Zone À Défendre) de Notre-Dame-des-Landes en 2021, dans le cadre de « Reprise de terres » (3), ont initié le processus de création de A4.
La question s’est tout de suite posée : à quelles conditions, nous, personnes en situation d’exil, n’ayant pour certain·e·s pas de papiers français, pourrions-nous être formés et travailler à la campagne ? En ville, de nombreuses personnes ayant des trajectoires migratoires sont contraintes de travailler dans des boulots mal payés : nous sommes exploité·e·s – BTP, ménage, sécurité, cuisine, etc. – pour subvenir à nos besoins et à ceux de notre famille au pays. Au-delà de la question du travail, il y a aussi le problème du logement, rarement possible dans des conditions dignes.
Dans les campagnes, un certain nombre d’entre nous ont aussi eu des expériences compliquées. C’est souvent difficile d’y vivre à cause de l’isolement social et des contraintes liées aux déplacements, aux faibles opportunités d’emplois. Tout comme en ville, les risques d’exploitation existent dans des situations de travail informel, avec les habituels chantages aux papiers, les menaces de dénonciations des voisins ou des employeurs en cas de conflit.
De leur côté, les paysan·nes sont, pour certains, dans des situations difficiles : ils et elles doivent faire face à la perte de vocation des métiers agricoles/artisanaux et à la déliquescence des appuis institutionnels, avec d’énormes contraintes administratives et dans une dépendance forte à l’égard du marché et des banques. Le départ en retraite d’un grand nombre de paysan·ne·s dans la prochaine décennie conduit déjà à un agrandissement des surfaces de l’agro-industrie.
Il nous paraît donc indispensable de construire un lien entre nos expériences. Nous cherchons à ouvrir des portes vers la campagne, à offrir des opportunités dans l’artisanat, l’agriculture et d’autres domaines. A4 veut être un relais entre villes et campagnes, satisfaire les besoins d’installations paysannes et assurer un partage de compétences.
Objectifs : l’autonomie par la formation et le travail et contre l’exploitation
L’objectif d’A4 est de construire une dynamique d’accueil, de formation et d’accès au travail pour des personnes avec ou sans papiers, qu’ils et elles vivent en ville ou à la campagne. À terme, nous souhaitons faciliter les installations paysannes que ce soit en France ou ailleurs. Pour répondre à cet objectif, nous sommes à la recherche de paysan·ne·s et artisan·e·s prêts à accueillir, employer ou transmettre, mais aussi à la recherche de terres pour nous installer, de formations, et de financements pour nos activités. Pour permettre l’accueil, notre association est fondée sur trois piliers : formation, rémunération et régularisation.
Souvent, des paysan·ne·s enthousiastes à nous accueillir ont des fermes de petites surfaces, ne dégageant pas toujours suffisamment de revenus pour établir un contrat de travail, du moins à plein temps. Cela peut impliquer de réfléchir à des installations fondées sur plusieurs activités, à avoir recours aux groupements d’employeurs, ou d’autres solutions sur lesquelles nous nous penchons pour faciliter cette entraide.
Plusieurs membres d’A4 sont passés par des fermes industrielles en Andalousie et en France où nous avons fait l’expérience de l’exploitation du secteur agro-industriel, dont il est difficile de sortir. Cela s’est confirmé aussi dans nos voyages-enquêtes en Bretagne et en Provence, où les personnes sans titre de séjour se retrouvent, dans certaines grosses exploitations agricoles, à effectuer des tâches répétitives, sans transmission ni partage de savoirs, et sans droits. C’est une constante : nos situations administratives permettent de nous maintenir dans un état d’exploitation, dans des conditions indignes de vie (4).
Suite à ces constats déplorables, nous avons d’une part entamé un travail d’enquête (5) pour visibiliser et dénoncer cette réalité de plus en plus raciste et esclavagiste (6), en nous formant à l’enquête et en recueillant des témoignages auprès de celles et ceux qui sont encore dans ces situations.
D’autre part, nous avons rédigé un protocole d’accueil dont l’objectif est de nous permettre de déterminer des lieux où nous souhaitons nous former, voire, à terme, nous installer et de se mettre d’accord, avec les personnes qui nous accueillent/emploient, sur les engagements mutuels à suivre et différents points d’attention. L’objectif est de gagner en autonomie dans les rapports de travail, être moins soumis aux abus et aux risques d’exploitation, et de co-construire les conditions d’une émancipation avec les lieux d’accueil. La réalisation de ces objectifs suppose une organisation qui donne une place à chacun·e, d’égal à égal, mais en laissant l’initiative aux principaux concernés.
Résultats et défis
Aujourd’hui, nous sommes une quinzaine de personnes à porter le projet, et une centaine de personnes investi·e·s dans des groupes de travail spécifiques et dans les groupes locaux. Nous tenons beaucoup à avancer ensemble, avec toute l’hétérogénéité du groupe, quel que soit le niveau de compréhension du français de chacun·e, quelle que soit la compréhension de la réalité administrative française.
Aussi, nous nous formons et développons des outils de soin, aussi bien pour tout ce qui concerne la vie d’un collectif, la prise de décisions, le militantisme, l’action sociale ; mais aussi autour des oppressions systémiques, et en particulier le racisme et le sexisme, pour arriver à mieux dépasser les comportements intégrés et systémiques que nous avons tous·tes et mieux prendre soin les un·e·s des autres, en nous respectant et en respectant les autres.
En trois ans il y a déjà eu une soixantaine d’accueils (formation conserverie, stage de cuisine, travail saisonnier, stage de boulangerie, maraîchage, chantiers…), une quinzaine de mises en relation, un réseau d’une centaine de lieux d’accueil possibles, 3000 m² de serres en commodat à Lannion (avec des cultures de cacahuètes, piments, ananas ; la fabrication d’un four à pain et d’un poulailler…), cinq voyages-enquêtes, cinq groupes locaux à Grenoble, Lannion, St Affrique, en Ile-de-France et en Anjou.
Il nous reste beaucoup de chemin à parcourir : structurer l’association, créer un guide juridique pour mieux accompagner vers le travail et la régularisation, améliorer notre protocole d’accueil, consolider les groupes locaux, répondre aux nouvelles sollicitations et accompagner les nouvelles dynamiques… Et puis nous avons des rêves pour gagner en autonomie : monter notre, voire nos propre(s) ferme(s) collective(s) pour offrir des formations, assurer un peu de notre subsistance et permettre l’implantation de certain·e·s d’entre nous.
notes
(1) Le site internet de l’association A4 : http://www.a4asso.org
(2) Voir le film sur notre voyage dans le Limousin en février 2022, D’égal à égal (41’39, soustitré en Fr, En, Es), à ce lien : https://vimeo.com/770515263
(3) Lire une présentation de Reprise de terres dans Terrestres, (https://www.terrestres.org/2021/07/29/reprise-de-terres-une-presentation/) ou dans le numéro de la revue Socialter où ils étaitent rédacteurs en chef invités du hors-série « Ces terres qui se défendent » : https://www.socialter.fr/auteur/reprise-de-terres
(4) Une enquête qui montre les conditions du travail détaché dans le sud de la France : « Travailleurs détachés – les dessous d’une exploitation », article et podcast du 18 avril 2023, sur https://www.blast-info.fr/
(5) https://a4asso.org/enquete/
(6) Karl Laske, « Travailleurs saisonniers du Maghreb : la FNSEA lance son propre business », 29 février 2024, sur https://www.mediapart.fr