Makery

Résidence de recherche sur les cellules Grätzel à Hackteria : rencontre avec Shih Wei Chieh (2/2)

Shih Wei Chieh et son installation artistique DSSC "The Mind of A Greenhouse" à Awareness in Art, Zurich. Avec l'aimable autorisation de R.E.C.

L’artiste et chercheur en design taïwanais Shih Wei Chieh était en résidence de septembre à novembre au hackerspace Bitwäscherei à Zurich. Au cours de sa résidence, Shih Wei Chieh a poursuivi ses travaux de recherche sur les cellules solaires à pigment photosensible, un système photoélectrochimique inspiré de la photosynthèse des plantes qui, lorsqu’il est exposé à la lumière, génère de l’électricité. Les cellules de ce type sont parfois appelées cellules Grätzel, en référence à leur concepteur, Michael Grätzel, de l’École polytechnique fédérale de Lausanne. La Suisse semblait donc être la destination toute trouvée pour le Taïwanais. Makery a voulu en savoir plus sur son parcours et ses nouveaux projets. Seconde partie de l’interview.

Makery s’intéresse depuis quelque temps aux projets de l’artiste taïwanais Shih Wei Chieh. Initiateur de l’atelier Tribe Against Machine, un événement déjà phare dans le monde des e-textiles makers, compagnon de longue date du réseau Hackteria dans le Pacifique, Shih Wei Chieh exerce maintenant ses doigts de magicien dans le domaine des cellules Grätzel… Sa visite européenne en tant que hacker-in-residence à Bitwäscherei à Zürich était l’occasion de faire connaissance avec ce designer inspiré et inspirant. Et de lui demander quelles étaient ses recherches en Suisse.

Dans la première partie, nous avons parlé de vos projets d’avant Covid, j’ai également entendu parler de votre projet « Having Friends in the Future » pendant la pandémie, pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

J’ai travaillé sur un appel d’offres gouvernemental ouvert du National Taiwan Craftsmanship Research and Design Institute (NTCRI) pendant la période du COVID de 2019 à 2021. Après avoir organisé une exposition sur mon propre projet de teinture au laser et sa relation avec la culture des fibres naturelles locales en 2019/2020, le NCAF m’a demandé d’organiser une autre exposition. Having Friends in The Future était censé être un programme de résidence d’artistes physique orienté vers l’art e-textile au départ. J’avais prévu d’inviter les artistes e-textiles Afroditi Psarra et Audrey Briot à NCAF. Malheureusement, le Covid est arrivé et nous avons dû nous adapter aux restrictions, le programme est donc devenu un programme de résidence en ligne. L’objectif de cette résidence était d’inventer un échange entre la culture artisanale traditionnelle taïwanaise et les techniques de l’e-textile. Nous avons rassemblé 23 artistes, les participants étant pour la plupart des membres de Hackteria Open Source Biological Arts Platform, du summer camp e-textile des Moulins de Paillard et du Electronic Textile Camp (ETC) (voir partie 1, ndlr), plus quelques nouveaux visages. Finalement, nous avons collaboré à la réalisation d’un swatchbook, livre composé de petits échantillons des œuvres de chaque artiste. Les livres ont ensuite été expédiés aux 23 participants comme symbole de la collaboration.

Le swatch book de HFF2020 exposé au National Craftsmanship Research and Design Institute. Avec l’aimable autorisation de l’artiste

Vous avez commencé à travailler sur les cellules solaires à pigment photosensible, ou cellules Grätzel, pourquoi vous êtes-vous intéressé à cette technique ?

Ma fascination pour les cellules solaires à pigment photosensible (dye-sensitized solar cells – DSSC) a commencé lors du camp 2018 de Tribe Against Machine à Taïwan. L’étincelle est venue du projet de textile solaire de Trisha Andrew et Marianne Fairbanks, sur lequel je suis tombé par hasard via le réseau e-textile. Motivé par leur travail, j’ai décidé de me lancer dans la création de ma propre version de DSSC. Pour des raisons plus personnelles, j’ai trouvé les DSSC intrigantes en tant que technologie permettant de teindre avec des colorants naturels et de créer des motifs par sérigraphie. Le travail avec les propriétés de la lumière, évident dans les projets de teinture au laser, a toujours suscité mon intérêt. Cette curiosité a persisté et évolué au fur et à mesure que ma compréhension des propriétés de la lumière s’est approfondie. Je crois fermement qu’en continuant à me plonger dans l’apprentissage des applications photoniques, je me rapproche d’un niveau qui me permettra de m’intéresser activement à la science de la conscience, et à la science neuronale. Même si je reconnais que je suis encore loin d’avoir atteint ce stade, mon parcours d’apprentissage continu alimente mon optimisme quant à la possibilité de plonger dans ces domaines profonds.

J’ai cru comprendre que vous souhaitiez expérimenter des idées vraiment ambitieuses, telles que des cellules solaires sous forme de fibres ? Pouvez-vous nous en dire plus ?

Travailler avec de l’électronique flexible a toujours été l’une de mes principales pratiques. Je pense que je ne peux pas l’expliquer car c’est devenu une habitude, une tradition personnelle, depuis mes précédents projets de wearables. C’est aussi un moyen de me connecter à d’autres passionnés dans des communautés plus larges.

Expérience de frittage à chaud par UV pendant la résidence. Avec l’aimable autorisation de l’artiste
Le prototype de textile DSSC de Shih Wei Chieh réalisé pendant la résidence. Shih Wei Chieh a expérimenté le frittage de TiO2 sur de la fibre minérale à 450ºC.

Mes recherches et expériences sur le textile solaire en sont encore au stade préliminaire et ne sont pas vraiment innovantes d’un point de vue scientifique, il s’agit surtout de reproduire des résultats obtenus à partir d’articles. L’orientation pratique va vers les processus à basse et haute températures, non-toxiques, mais cela reste au niveau DIY. Pendant la résidence au Hacker Lab à Hackteria, par exemple, le frittage UV à chaud pour la couche poreuse de TiO2 dans les cellules solaires à pigment photosensible et le frittage de la couche poreuse de TiO2 sur des fibres minérales montrent des résultats positifs pour la fabrication de la photo-électrode des cellules solaires. L’autre orientation importante du projet consiste à créer un film conducteur transparent avec des nanofils d’argent, ce qui est également crucial pour la fabrication de dispositifs solaires flexibles. Les nanofils d’argent sont utiles pour de nombreuses applications telles que les dispositifs photovoltaïques ou les lentilles de contact intelligentes. C’était donc un moment très précieux pour découvrir leurs propriétés avec un équipement scientifique adéquat et des personnes expérimentées autour de vous.

Vous parlez également d’ordinateurs tissés avec des circuits intégrés photoniques, j’aimerais en savoir plus !

Il s’agit d’une méthodologie pour générer des œuvres d’art qui contribuent à la discussion conceptuelle de notre projet axé sur la culture textile ancienne. La trajectoire qui va de l’histoire de la mémoire à cordes de l’ordinateur de guidage Apollo (AGC) à l’informatique contemporaine sert de modèle récurrent sur la scène de l’e-textile. Des collaborations passées au projet actuel « H.Om.E » Project avec mes partenaires Satoru Sugihara, Maria Jose Rios et Ricardo Vega, notre exploration a grandi dans les conversations informelles entre plusieurs communautés éloignées avec lesquelles nous nous sommes engagés, l’Atayal de Taiwan, le projet de serre à Qinghai et le projet I_C dans le désert d’Atacama (voir partie 1, ndlr).

DSSC plus grand avec photo-électrode sérigraphiée. Avec l’aimable autorisation de l’artiste

Je vois la valeur esthétique de la redéfinition du « chez-soi » en revisitant notre environnement avec des perspectives plus larges. La notion d’informatique optique a évolué à partir de l’histoire d’AGC et s’est croisée avec le projet antérieur d’architecture de earthship à Qinghai, donnant naissance au concept d’informatique intégrée à l’architecture solaire textile. En termes plus simples, le circuit intégré photonique (PIC) est envisagé comme un outil d’archéologie conceptuelle, nous permettant de représenter visuellement l’idée philosophique de traduire le temps historique en un élément quantifiable et comparable.

L’installation A(g)ntense a été conçue par le concepteur informatique Satoru Sugihara pour examiner la possibilité d’intégrer des algorithmes en essaim et des algorithmes d’optimisation de structure. Elle a été exposée à l’exposition Blindspot Initiative à Los Angeles en 2014. Droits réservés.

L’objectif crucial est de décentraliser notre identité des affiliations politiques régionales, afin d’être pertinents dans un contexte plus large, ce qui ne peut pas être fait par la méthode anthropologique. Une application informatique optique tissée devient instrumentale pour faciliter d’autres discussions, un récit, en incorporant des données climatiques comme matériaux philosophiques, en envisageant, peut-être, un earthship solaire tissé vivable et avec sa propre conscience. Je serai heureux de vous tenir au courant !

Quel était l’objectif de votre résidence à Zurich ? Qu’en avez-vous tiré ?

Outre ma recherche d’applications pratiques solaires, mon prototype DSSC le plus réussi ne produit actuellement qu’environ 2,5 mA par centimètre carré. L’intérêt de ce séjour a davantage résidé dans les possibilités de collaboration avec des scientifiques et les visites du laboratoire de microscopie électronique à balayage de l’ETH (Polytechnique de Zurich, ndlr). Cette expérience a été pour moi une formation précieuse qui m’a permis de comprendre comment les scientifiques travaillent avec les nanomatériaux. Comprendre les applications et les objectifs conventionnels, ainsi que les protocoles établis pour synthétiser les nanomatériaux, a été pour nous artistes une expérience rare et précieuse. Elle soulève des questions pertinentes sur la relation entre l’art et la science, et sur la manière dont ces deux domaines peuvent et doivent collaborer efficacement.

L’équipe Hackteria visite le laboratoire de microscopie électronique à balayage de l’ETH / Polytechnique de Zurich pendant la résidence. Avec l’aimable autorisation de l’artiste
La présentation de Daiki Kanaoka de FabCafe à Bitwäscherei. Avec l’aimable autorisation de l’artiste

Du point de vue organisationnel, cette résidence de hackers organisée par des amis pourrait être difficile à étendre. Nous avons intelligemment utilisé toutes les ressources disponibles en coordonnant cette résidence avec une autre exposition et un workshop organisés par le Regenerative Energy Community (R.E.C) et We Are Awareness in Art (AIA), sous le nom de Energy Giveaway Humus Punk Library. Un autre workshop a également eu lieu au Fablab de Lucerne lors d’un atelier « Medizintechnik DIY« , organisé par Marc Dusseiller. Cette approche a permis d’alléger la pression financière liée à l’organisation de résidences indépendantes. Bien que ce fut une expérience fantastique pour les artistes de travailler avec des scientifiques en toute liberté et avec un accès total aux connaissances, je me demande comment nous pourrions répéter le modèle sans aucun financement, hébergement gratuit dans des canapés et des bénévoles pour aider. D’un autre côté, je pense qu’il s’agit d’un modèle formidable qui diffère des résidences organisées par les instituts et les centres d’art, qui s’accompagnent toujours d’exigences et de demandes politiques. La propriété de la communauté joue également un rôle important. Pendant la résidence, j’ai rencontré de nombreux membres de la communauté de Bitwäscherei, dont les rôles sont très variés, comme un chimiste avec une formation de musicien, un artiste avec un diplôme scientifique ou un ingénieur avec une connaissance approfondie de l’histoire de l’ordinateur analogique. Cette dynamique est relativement rare à Taïwan, où les rôles professionnels ont tendance à être plus singuliers et où les scientifiques ne servent généralement pas d’autres domaines. Cette différence pourrait être liée à l’environnement économique local ou à des différences culturelles.

Workshop du DSSC à Awareness in Art. Avec l’aimable autorisation de R.E.C.
Workshop de cartes heuristiques animé par Femke Snelting et Martino Morandi. Avec l’aimable autorisation de R.E.C.

Vous avez été actif dans le réseau HlabX de Hackteria. Quelle inspiration puisez-vous dans la méthode de « workshopology » développée dans ce réseau ? Quels sont les principaux obstacles et comment voyez-vous l’avenir ?

De 2017 à 2021, j’ai assumé activement le rôle d’organisateur, en cherchant constamment à établir des liens entre les réseaux que je connaissais et les institutions à Taïwan. Au fil du temps, je me suis retrouvé à contempler la distinction entre les « réseaux internationaux » et le « système artistique taïwanais », bien que je me sois rendu compte des pièges potentiels de les définir sans le respect et l’objectivité nécessaires. Il est devenu évident que l’accent devrait être mis sur le développement de meilleurs protocoles pour relier les scènes mondiales et locales, en favorisant les opportunités d’expériences partagées et de collaborations sans distinctions rigides.

Ma principale source d’information provient des réseaux auxquels je participe, où l’enseignement s’intègre parfaitement à mon expérience quotidienne. Généralement initiés par des rassemblements dynamiques, les participants se connectent, partagent leurs intérêts et leurs connaissances. Par la suite, des échanges continus d’idées et d’informations ont lieu sur des plateformes telles que Telegram ou les réseaux sociaux. Je trouve que ces réseaux invisibles ou « souterrains », ainsi que les connexions inter-hiérarchiques qui les composent (plus de participants avec des professionnels différents), sont sous-évalués et sous-estimés. La connaissance circule ouvertement, transcendant les structures hiérarchiques.

Dans l’industrie artistique et la formation, on a tendance à accorder une importance excessive à la pensée utilitaire, ce qui crée un fossé entre l’apprentissage et la vie. Si la pensée utilitaire est acceptable dans l’industrie artistique, elle ne doit pas dominer le processus de développement de l’éducation. C’est là que les systèmes alternatifs jouent un rôle crucial, en fournissant des connaissances dans des contextes culturels plus larges. La débat porte peut-être sur la manière de formaliser un système ou une plateforme d’apprentissage décentralisé, en développant les réseaux organiques dans une optique de durabilité.

Performance audiovisuelle au laser à Lifepatch, 2018. Avec l’aimable autorisation de l’artiste

Quels sont vos projets futurs ? Le prochain chapitre de vos recherches sur les cellules Grätzel ?

Comme je le disais, pour la partie conceptuelle, dans le projet H.Om.E, nous allons développer une architecture conceptuelle tissée qui peut servir l’environnement local. Les systèmes solaires feront certainement partie de la conception, et d’autres systèmes comme le filet collecteur de brouillard sont également discutés. Le système PIC est une partie très difficile et je pense qu’il s’agira de substrats en verre. La tâche principale consistera à chercher « quoi calculer ? » et comment incarner la relation philosophique entre 3 communautés situées dans 3 géographies déconnectées, avec un calcul conceptuel optique. D’un point de vue esthétique, le motif sérigraphié dans le verre solaire produira le calcul performatif en implémentant les portes logiques.

Sur le plan technique, je suis également très intéressé par l’amélioration de l’efficacité des cellules solaires. Je suis très curieux de savoir si je peux atteindre l’efficacité d’un produit commercial avec un laboratoire DIY. En outre, la fabrication de DSSC est une excellente formation pour la fabrication de cellules solaires de troisième génération. Je pense pouvoir passer des DSSC aux cellules organiques ou à la pérovskite, qui partagent la même technique de revêtement dans le processus de fabrication. Mais tout n’est que spéculation pour l’instant.

Lire la première partie de cette interview.

Documentation de la résidence de Shih Wei Chieh à Hackteria en septembre-novembre 2023.

Site internet de Shih Wei Chieh