Makery

Artlabo Retreat : une semaine pour créer dans et avec la nature

Retraite artistique sur la fabuleuse île de Batz. © Ewen Chardronnet

Début juin, l’Association Ultra et Makery se sont associés pour organiser Artlabo Retreat, une retraite artistique sur l’île de Batz, en Bretagne. Une semaine pour créer et mettre l’île et ses ressources au cœur de la pratique. Assiettes en fleurs sauvages et radio pirate en cerf-volant… passage en revue des projets. 

Du 5 au 11 juin sur l’île de Batz, au large de Roscoff, Makery avec sa plateforme Roscosmoe, et l’association Ultra ont accueilli une trentaines de personnes, designers, artistes, et étudiants en école d’art, invitées pour apprendre, échanger et découvrir autour de l’idée de la « pensée archipélique ». « Comment travaille-t-on ensemble, vit-on ensemble, fait-on œuvre commune et comment chacun peut embarquer sur une pirogue pour aller à la rencontre des autres ? », décrivait Claire Laporte, directrice artistique de Ultra, dans notre article sur son association. En réalité, nul n’a été besoin de rappeler l’idée comme un manifeste, précise-t-elle aujourd’hui. Celle-ci s’est imposée naturellement, comme le reste de la vie en communauté, organisée en autogestion par les participants. « Les questions de circularité, de biosourcing, travailler in situ avec des matières locales et non épuisables est un procédé naturel pour Ultra », confie Claire Laporte. Chez Makery aussi ces idées nous animent : la fabrication d’outils à partir des ressources disponibles, la circularité alimentaire… nous vous en parlons depuis presque 10 ans.

Pendant une semaine, les participants se sont ancrés dans ce territoire îlien, notamment grâce à Edouard Bal (Cueilleur d’Estran), ethnobotaniste qui a accompagné les participants à la rencontre de la flore de l’île. Les algues d’abord, puis les plantes sauvages du littoral. Une attention à l’environnement qui a été remarquée et appréciée des habitants de l’île. « Il y a eu une vraie curiosité des îliens, se réjouit Carine Le Malet, responsable de projet et coordinatrice auprès de Makery. Jeunes et moins jeunes se sont intéressés à ce qu’on faisait et nous avons été super bien accueillis. »

Alors, que s’est-il créé pendant cette retraite ilienne ? Passage en revue. 

20230921_trailer_Artlabo_Retreat from Antre Peaux on Vimeo.

Pause champêtre. © Ewen Chardronnet

Encres florales et carte sensible

Qui : Camille Bernicot, designer graphique chargée de communication et médiation à l’association Ultra ; Ninon, en master 1 aux Beaux-Arts de Brest ; Mathieu, étudiant en 2ème année de Diplôme national des métiers d’arts et du design numérique ; Clara, en 1ère année de master de design sonore à l’école d’art et design du mans (Talm-Le Mans) et Solen, en service civique en graphisme au sein de l’association Ultra et en master 2 design et science social à l’Université rennes 2.

Quoi : Une carte sensible faite d’encres florales fabriquées à partir des fleurs trouvées sur l’île.

Comment : D’abord, il a fallu trouver les fleurs. Accompagnées de l’ethnobotaniste Edouard Bal, Camille Bernicot et son équipe partent en balade à la rencontre de la flore de l’île. « On a pris des plantes présentes en abondance pour ne pas impacter la flore, explique Camille Bernicot. La valériane et les ronces sont invasives, le lotier corniculé est l’une des premières plantes que l’on a remarqué partout sur les rochers. » Une fois la cueillette faite, les participants ont mis les fleurs dans de l’eau chaude et ont laissé infuser toute la nuit. Pour extraire les couleurs, plusieurs procédés sont possibles, expliquent-ils : « soit on épaissit la couleur avec de l’amidon de maïs, soit on crée une effervescence pour extraire le pigment du jus en ajoutant du sel d’alun et du Blanc de Meudon ». Au terme du processus, les couleurs sont recueillies sous forme d’une poudre pouvant être conservée longtemps. Ne restent plus qu’à choisir les pigments retenus : « il faut que les couleurs soient suffisamment abondantes pour qu’on puisse les reproduire en grande quantité, et qu’elles aillent bien ensemble pour se superposer ». Le coquelicot, le lotier corniculé et les ronces sont sélectionnés.

Pourquoi : La carte sensible n’a pas vocation à être géographiquement précise mais plutôt à représenter le ressenti personnel de l’île. L’équipe a donc demandé aux restes des participants de partager avec eux leurs souvenirs et anecdotes de l’île. Tous ont pu repartir avec leur carte sérigraphiée à l’encre de fleurs.

Des essais d’encres florales. © Elsa Ferreira
La table de travail du groupe carte sensible. © Elsa Ferreira
Première couche pour la sérigraphie de la carte. © Elsa Ferreira

Vaisselle comestible pour banquet local

Qui : Design Social Club, designer social et utopiste ; Charlie, designer et assistant à l’association Ultra ; Marion, designer étudiant à l’Esab de Rennes, en stage à Ultra ; Blandine, étudiante en design graphique ; Théo, en service civique chez Ultra en charge de la documentation.

Quoi : De la thermocompression végétale destinée à élaborer un ensemble de céramiques biodégradables dédié à la table.

Comment : Suite d’un projet de résidence débuté à l’association Ultra il y un an, Design Social Club continue son exploration du procédé de mise en forme de végétaux par pression et chaleur sans ajout de liant. Pour ce groupe aussi, le défi était de trouver de la matière première sur place : ils ont récupéré des algues, présentes en abondance et pour certaines déjà sèches (le thermocompresseur ne peut pas presser des matières humides), les déchets des autres ateliers, notamment celui cuisine ou de la carte sensible, mais aussi les déchets post-production des acteurs de l’île. Ainsi, la brasserie locale leur a donné quantité de drèches, matière qu’il reste des céréales une fois la bière brassée.

L’équipe a également fabriqué un séchoir low tech à partir des matériaux de récupération trouvés à la déchèterie de l’île. Les plans seront partagés en open source sur le site Flat Shape, site de partage de design d’Ultra.

Pourquoi : Réinterprétation sociale et écologique des assiettes en cartons, la bio-céramique a été utilisée pour présenter la nourriture préparée par l’atelier cuisine lors de la restitution publique. A terme, et avec des recherches supplémentaires, ces biomatériaux pourraient servir à d’autres usages, comme fabriquer des panneaux pour de l’éco-construction.

Thermocompression végétale par Design Social Club. © Elsa Ferreira
Les assiettes comestibles. © Elsa Ferreira
Séchoir solaire low-tech. © Elsa Ferreira

Installations radiophoniques et sculptures électromagnétiques

Qui : P-node, collectif créé il y a une dizaine d’années. Il réunit des technicien.nes artistes streamers, musiciens, hackeuses, et « toute une liste de personnes qui s’intéressent à questionner le médium radiophonique », présentent-ils. C’est aussi une radio associative. Lorsqu’ils se présentent au sein du groupe, les individus préfèrent rester anonymes.

Quoi : Du radio art. « Habituellement, les ondes électromagnétiques sont utilisées pour transporter de l’information entre deux points distants – c’est ce qu’on appelle de la télécommunication, présente le collectif. Dans ce genre de projet on s’intéresse à la physicalité de l’onde, et comment travailler son essence poétique plutôt que de l’utiliser uniquement pour transformer une information. »

Comment : Le collectif réalise ce qu’il appelle des « sculptures électromagnétiques », œuvres qui font intervenir un aspect visuel, sonore, mais aussi électromagnétique. Dans l’une de ces installations, ils s’appuient sur trois phénomènes présents sur l’île : le vent, l’eau et les radios maritimes. Pour cela, les artistes fixent une antenne sur un cerf-volant très stable : « on crée un point d’infrastructure dans l’air qui nous permet d’élever des éléments à plus de 50 mètres du sol. Nous sommes donc le point le plus haut de l’île », font-ils savoir. Grâce à celle-ci, ils captent les communications maritimes des bateaux qui passent dans le rail d’Ouessant, à une centaine de kilomètres. Ils équipent la corde d’un micro qui permet de capter les vibrations du vent. Dans l’eau, à marée montante, ils placent des hydrophones. Grâce à un petit émetteur fixé lui aussi sur le cerf-volant, ils retransmettent en direct tous ces éléments vers des radios portables placées tout autour de la plage. Le résultat est une bande son méditative des sons du vent et de la mer, mêlés aux voix humaines qui contrôlent les bateaux et déroulent la météo à venir. « On attrape des choses dans l’air qui font partie de notre environnement, décrivent-ils de leur procédé. On a l’outil qui permet de rendre intelligibles ces informations qui passent en permanence au-dessus de nos têtes. » En plus de cette sculpture poétique, P-node met en place des plateaux radios agrémentés d’un « orchestre de haut-parleurs ». De cette façon, « l’espace sonore devient un espace de vie, d’échange, d’écoute ou de sieste ».

Pourquoi : Ces œuvres sont éphémères et liées par essence au paysage dans lequel elles prennent vie – c’est aussi cette « légèreté et délicatesse d’attraper des choses de façon parcimonieuse » qui leur plaît. Mais certaines pistes ont été évoquées pour faire perdurer l’œuvre sonore enregistrée depuis le cerf-volant. A suivre.

Dans les mains de P-node, le cerf-volant devient une base pour émettre et recevoir © Elsa Ferreira
Un plateau radio et ses spectateurs. © Elsa Ferreira

La cuisine comme métaphore politique

Qui : Joanna Wong, artiste plasticienne et cofondatrice du collectif Enoki, elle travaille la cuisine comme médium pour parler de migration ; Lola, étudiante en première année de master à Brest ; Arbol, étudiante colombienne aux Beaux-Arts de Caen ; Camille, en 2ème année à HEAR Strasbourg.

Quoi : Une expérimentation culinaire pour valoriser les ingrédients de l’île tout en reflétant  le patrimoine et les racines de chacun.

Comment : Artiste plasticienne adepte des installations culinaires, Joanna Wong explore les implications politiques de la cuisine. Hongkongaise basée à Paris, elle défend l’idée que « notre umami, notre palais de goût, notre patrimoine culinaire dépend d’où et comment on grandit, de notre éducation, de notre parcours et avec qui on a cuisiné. Donnez un œuf et un champignon à dix personnes différentes, vous aurez dix recettes différentes, dit-elle. Chaque fois que l’on cuisine, c’est une mise en forme de notre parcours ». Comment, en tant que migrant, recréer un patrimoine culinaire, interroge-t-elle ? Sur l’île de Batz, elle donne forme à cette pensée. En glanant les aliments sur place, elle rend compte des similitudes entre la cuisine de l’île bretonne et celle de son île natale. Les algues lui rappellent les noris snackés, encas très populaire à Hong Kong, le sarrasin fait écho aux nouilles soba. L’expérimentation est concrète puisque les membres de l’atelier ont préparé les repas pour l’ensemble des participants de la retraite.

Pour la restitution publique, l’équipe a mis en place un atelier ravioli, à cuisiner à partir d’ingrédients locaux : les pommes de terre et les radis cultivés sur l’île, les oignons roses de Roscoff. L’aliment est prompt à interroger les racines et le patrimoine culturel de la nourriture, illustre Joanna Wong : « si tu trouves tous les ingrédients en Italie, est-ce que c’est encore un ravioli chinois ? Et si c’est un Italien qui le cuisine ? Et si c’est un ravioli italien cuisiné par un Chinois ? ».

Pourquoi : Pour Joanna Wong, chaque geste de cuisine est un geste d’adaptation. Il permet aussi de réunir les gens autour d’une table pour aborder des problématiques pourtant parfois compliquées, estime-t-elle. « Quand j’organise des installations culinaires je ne dis pas, « viens voir une performance artistique », je dis « viens manger » ». Une proposition plus qu’alléchante.  

Session raviolis en cuisine. © Elsa Ferreira
Kéfir, popcorn et vaisselle comestible pour les journées portes ouvertes. © Elsa Ferreira

Homo Photosyntheticus, recherche de terrain 

Qui : Ewen Chardronnet, artiste et rédacteur en chef de Makery ; Julie Verin, artiste et designer ; Arthur Barbe, artiste multimédia ; Léonore Bonaccini et Xavier Fourt pour leur duo Bureau d’études.

Quoi : un travail de recherche sur les algues dans toute ses potentialités pour la transition écologique : les algues alimentaires, la pollution aux algues, les usages médicinaux, la recherche spatiale, le biocarburant, la captation carbone, les biomatériaux… 

Comment : Dans ce projet à long terme, né en 2021, le collectif d’artistes construit une base de connaissances et la documente, en particulier en vidéo. Ils interviewent des spécialistes dans ce qui deviendra une matrice interactive où le spectateur pourra choisir le thème qu’il souhaite explorer. Sur l’île, retour au terrain avec les balades de l’ethnobotaniste Edouard Bal, dans une exploration toujours capturée en vidéo. Julie Verin explore les méthodes de conservation des algues et les films avec un microscope caméra. Le collectif se réserve aussi des moments de discussions et réfléchit aux formes que vont prendre les publications et reconstitutions. 

Balade autour des algues de l’île, par Edouard Bal. Réalisation et montage, Quentin Aurat :

Pourquoi : Homo Photosyntheticus a déjà présenté certains de ces travaux, notamment un dîner-installation autour des algues réalisé par Maya Minder. Le collectif noue des partenariats et diffuse ses créations protéiformes dans des structures artistiques comme Antre-Peaux, partenaire du projet, ou le Jeu de Paume. A long terme, un documentaire sera aussi produit. « On essaie de sortir des choses régulièrement pour animer et enrichir le projet », résume Ewen Chardronnet.

Balade au coeur des algues. © Carine Le Malet
Table de lecture. © Elsa Ferreira

Artlabo Retreat fait partie du projet coopératif Rewilding Cultures cofinancé par le programme Europe Creative de l’Union européenne.