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2020 : The Walk, un « pèlerinage climatique » de l’Espagne à la Finlande, et un terminus en prison

Dans 2020:The Walk, la marche comme rébellion pour Marta Moreno Muñoz. CC BY-NC-ND 4.0 / The Walk

Avec 2020 : The Walk, Marta Moreno Muñoz et Oscar Martín parcourent 4000 km à pied, train et ferry, pour rejoindre la Finlande depuis l’Espagne. Un « pèlerinage climatique » en guise de rébellion, avec pour destination finale la case prison.

S’ils ne peuvent plus voler, alors ils marcheront ! En 2019, face au réchauffement climatique qui s’accélère, Marta Moreno Muñoz, artiste vidéo, performeuse et activiste, décide d’arrêter de prendre l’avion. Son dernier voyage se fait à Helsinki, pour présenter sa performance Collapse à la galerie Myymälä2. Ce soir-là, elle lit avec ses « camarades rebelles » d’Extinction Rebellion (XR) Finlande la Déclaration de rébellion. Elle promet alors de ne plus voler et de revenir à Helsinki l’année suivante, depuis Grenade, en Espagne, à pied.

La pandémie s’interpose et repousse son projet de deux ans. Marta Moreno Muñoz part finalement le 1 avril 2022, accompagnée de Oscar Martín, artiste sonore, programmeur et chercheur, qui partagera sa route tout au long du projet, et de quelques membres de XR, qui les accompagnent symboliquement. En 5 mois, ils traversent l’Espagne, la France, l’Allemagne, le Danemark, la Suède et enfin, la Finlande. 4000 km de marche, mais aussi de trains et de ferry. « Ce voyage nous aurait pris deux ou trois ans à parcourir entièrement à pied », justifie-t-elle.

Oscar Martín et Marta Moreno Muñoz accompagnés de membres de XR, lors de leur départ de Grenade. CC BY-NC-ND 4.0 / Andrew Webster
Pendant cinq mois, cette tente a été leur maison. CC BY-NC-ND 4.0 / The Walk

Présence radicale et solastalgie

Pour ce projet intitulé 2020 : The Walk, la marche devient un acte de rébellion. « Il n’y a pas si longtemps, nous avions l’habitude de marcher sur de longues distances et, dans certains endroits, on le fait encore quotidiennement, décrit Marta Moreno Muñoz. De nos jours, marcher est un acte de résistance contre la vitesse et l’accélération insensée des sociétés capitalistes mondiales. Et elle pourrait bien redevenir une nécessité dans un monde post-pétrole et effondré. »

The Walk : Jour 48. Province de Zaragoza en Aragón (Espagne), sous une vague de chaleur extrême « la première de plusieurs et c’était juste le printemps ! », décrit Marta Moreno Muñoz. CC BY-NC-ND 4.0 / The Walk

L’itinéraire a été décidé pour emprunter certains chemins de randonnées longue distance bien connus. Des haltes sont prévues, pour aller à la rencontre des gens et permettre à des artistes ou des camarades activistes de se joindre à la marche. Le duo laisse aussi place à l’improvisation et dessine son chemin au gré des rencontres, des paysages, des besoins en ravitaillement, mais aussi « en tenant compte de notre force, raconte Marta Moreno Muñoz. Nous portions des sacs à dos extrêmement lourds, ce qui ralentissait remarquablement notre rythme. »

« Grâce à ce voyage lent et à l’immersion dans le paysage qu’il induit, de nouveaux états modifiés de conscience et de perception apparaissent, relate l’artiste. Marcher et vivre en plein air vous apporte également un autre type d’expérience et une autre perspective des territoires. En étant radicalement dans l’ici et maintenant, dans cette lenteur, il est plus facile de comprendre quels types de plantes, d’arbres, d’animaux habitent ces territoires spécifiques et comment nous sommes connectés par des relations infinies. Cela change totalement la perspective de ce à quoi nous sommes habitués et que nous comprenons comme « voyage » de nos jours. »

The Walk : Jour 81. Traversée des Pyrénées-Orientales (Catalogne- France). CC BY-NC-ND 4.0 / The Walk

« Nous l’avons également ressenti comme une transhumance, ou un mode de vie nomade extrême : vivre en plein air, au grand jour et dans l’incertitude. Reprendre contact avec la nature, apprécier toute la beauté de la toile de la vie tout en faisant le deuil de ce qui va disparaître. Être témoins de territoires dramatiquement affectés par les activités humaines et les industries extractives nous a évoqué un profond sentiment de solastalgie », témoigne-t-elle.  

The Walk: Nuit 135. Tournage dans la mer Baltique, dans la province de Kristianstad en Suède, une zone qui va disparaître sous les eaux en raison du changement climatique. CC BY-NC-ND 4.0 / The Walk

Après cinq mois de marche, The Walk s’est terminée à Art See Ocean, une residence d’artistes près de Stockholm, « où la forêt rencontre la mer » pour deux semaines de résidence à laquelle les deux artistes sont arrivés « épuisés physiquement et mentalement », retrace la performeuse.

Rencontre « quasi-religieuse » avec le permafrost

La station biologique de Kilpisjärvi, en Laponie, leur offre un épilogue à leur voyage : deux semaines à explorer l’environnement, faire des recherches, écrire et filmer les dernières scènes, via la résidence Ars Bioarctica facilitée par la Bioart Society.

The Walk : épilogue. Kilpisjärvi – Résidence Ars Bioarctica facilitée par la Bioart Society, à l’extrême nord de la Laponie, en Finlande. Octobre 2022. CC BY-NC-ND 4.0 / The Walk

Situé dans l’extrême nord-ouest de la Finlande, à 400 km au nord du cercle polaire, ce territoire est particulièrement sensible au réchauffement climatique, explique Marta Moreno Muñoz. « Les températures de l’Arctique augmentent au moins trois fois plus vite que la moyenne mondiale. Gelés depuis des millénaires, les sols du permafrost sont en train de dégeler de manière abrupte et intense. Dans certains endroits, le dégel est si brutal que les paysages s’effondrent sur eux-mêmes. Dans un monde plus chaud, les sols du Nord libéreront d’énormes quantités de carbone et le carbone libéré dans l’atmosphère par les sols du permafrost accélérera très probablement le changement climatique de manière irréversible. »

Sur cette photo, Oscar Martín fait des enregistrements du permafrost en train de s’effondrer. Station biologique de Kilpisjärvi – Résidence Ars Bioarctica facilitée par la Bioart Society. CC BY-NC-ND 4.0 / The Walk

Pour achever leur « pèlerinage climatique », les artistes partent ainsi à la rencontre « physique » du permafrost. « Cette rencontre a été l’un des moments les plus marquants de ce projet, quasi religieux, je dirais, rapporte la performeuse. Arrivés enfin dans la partie la plus septentrionale de la Finlande, ce fut un moment d’immense émotion, de gratitude et d’abandon qui nous a aidés à nous reconnecter à notre objectif supérieur. »

« Il est de notre devoir moral de nous rebeller »

Cet objectif supérieur, c’est celui de sensibiliser le public environnemental et de faire connaître Extinction Rebellion, ce mouvement écologiste né au Royaume-Uni qui utilise la désobéissance civile non-violente pour contraindre le gouvernement à agir. Marta Moreno Muñoz en est membre depuis 2019 ; Oscar Martín n’est quant à lui pas engagé dans XR mais « ressentait le besoin de m’impliquer dans un éco-activisme plus explicite que ma pratique artistique individuelle et de donner de mon corps pour cela », partage-t-il. Lorsque Marta lui propose de le rejoindre, il adhère à son projet sans hésiter.

Messagère d’une catastrophe annoncée, Marta Moreno Muñoz parsème ses récits de données scientifiques sur le dérèglement de notre climat. « Nous sommes confrontés à des inondations, des incendies de forêt, des conditions météorologiques extrêmes, des mauvaises récoltes, des déplacements massifs de population et l’effondrement de la société, autant de symptômes du dépassement écologique et de la grande accélération provoquée par la croissance économique exponentielle. Le temps du déni est terminé. Il est temps d’agir », énumère celle qui estime qu’« il est de notre devoir moral de nous rebeller ».

« Act Now ». CC BY-NC-ND 4.0 / The Walk

Son sens du devoir l’a mené en prison, alors que, de retour de sa marche, elle se joignait à des actions de désobéissances civiles à Munich. « L’Allemagne, comme d’autres pays, emprisonne des scientifiques et des militants du climat pour des protestations non violentes, dénonce Marta Moreno Muñoz. Pour les actions menées à Munich, j’ai été emprisonné à titre préventif pendant une semaine et je suis toujours en attente de jugement avec les 15 autres militants de la Scientist Rebellion. » La prison était d’ailleurs la « véritable destination finale » de ce pèlerinage climatique, confie-t-elle. « Un sacrifice que j’étais et que je suis toujours prête à faire. »

L’art et l’activisme pour changer de paradigmes

Pour la suite, Marta Moreno Muñoz prévoit de continuer d’entremêler art et activisme, notamment en lançant un équivalent espagnol de la plateforme Culture Declares Emergency, une organisation du secteur culturel pour organiser et participer à des actions militantes en faveur de l’écologie, et en facilitant les rencontres avec des artistes-militants sensibles aux enjeux de la résilience des communautés en période d’effondrement, présente-t-elle. Oscar Martín prévoit lui aussi, en plus de ses expositions individuelles, de réactivier des projets collectifs comme EEMEEMEE, un groupe d’apprentissage collectif qui croise mycologie, art, écologie et pensée critique. « Les synergies entre l’art et l’activisme ont beaucoup à apporter pour créer les conditions qui favorisent les changements de paradigme sociaux, économiques, culturels et écologiques dont nous avons besoin si nous voulons sortir de ce système toxique, survivre en tant qu’espèce et laisser aux générations futures une planète vivable », concluent les deux artistes.

Marta Moreno Muñoz et Oscar Martín. CC BY-NC-ND 4.0 / The Walk

Le film 2020 : The Walk, sera présenté en première au Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía à Madrid le 13 avril 2023 et un livre sera publié à l’occasion de la première exposition du projet au Centro José Guerrero de Grenade en septembre 2023.

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