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MakeHerSpace, redonner du sens à faire ensemble

Espace biblio collectif lors du micro-festival makeHERspace 14-16 juin 2022 au Funlab à Tours. © MakeHerSpace

Si la tech et le bricolage sont au cœur des pratiques dans les espaces du Faire (makerspace, hackerspace et autres fablabs), ce sont aussi deux univers aux stéréotypes de genre bien ancrés qui nourrissent des violences sexistes invisibilisées. Né il y a deux ans de ces constats, le collectif MakeHerSpace devient aujourd’hui une association qui se soucie d’outiller les communautés pour déconstruire cette approche genrée et développer des pratiques inclusives du faire ensemble. MakeHerSpace présentera ses initiatives aux rencontres nationales Faire Tiers Lieux ce mercredi à Metz.

Tribune collective rédigée par Julie Garnier et Catherine Lenoble, fruit d’une réflexion collective de MakeHerSpace

Septembre 2020, on sort d’un premier confinement qui aura vu les maker.euse.s, fablabs et tiers-lieux largement mobilisé.e.s et médiatisé.e.s dans la fabrication de masques ou de visières. À la même période paraît Maker, ma gueule !, un numéro du MakerZine (fanzine dédié aux cultures du faire) dans lequel une membre de la communauté du Faire, Partenko, y apporte sa contribution intitulée Makeuse, ma gueule.

« Imaginez une bibliothèque fréquentée majoritairement par des lecteurs et seulement quelques lectrices. Celles-ci doivent sans cesse écouter et répondre à des remarques sur leurs choix de livres et leurs méthodes de lecture, et doivent sans cesse prouver qu’elles savent lire ». Dans son article Partenko pointe le « parcours d’obstacles » qui attend les jeunes filles et les femmes rejoignant un espace du Faire pour y bricoler ou travailler. Mais aussi l’absence de réflexion ou d’actions au sein d’un « mouvement qui se veut inclusif ».

Computer grrrls, comptez sur vous

Pourtant, jusque dans les années 50, les femmes représentaient la moitié des effectifs du secteur informatique. « (…) le premier programme destiné à être exécuté par une machine a été créé par Ada Lovelace (1842) et l’algorithme à la base de nos moteurs de recherche est l’œuvre de Karen Spärck Jones (1972) » nous rappelle Marie Lechner, co-curatrice de l’exposition-manifeste Computer grrrls. Et nous ne sommes pas passé.e.s loin d’être tou.te.s équipé.e.s d’ «ordinatrices » nous dit-elle dans Donner sa langue à sa chatte, contribution publiée dans l’ouvrage Wikifemia de Roberte Larousse.

Grace Hopper, mathématicienne et amiral de la marine américaine, pionnière dans le développement du premier ordinateur UNIVAC et du langage COBOL en 1959. © Wikimedia Commons

Des opératrices téléphoniques aux calculatrices de Harvard en passant par les codeuses de langages de programmation, de protocoles de transmission ou de déchiffrement, les femmes auront joué un rôle majeur dans le secteur informatique. Le développement de la micro-informatique dans les années 80, et sa révolution économique, auront finalement pour effet de « déféminiser » la filière. En atteste la langue qui évolue avec. Fini les codeuses et les calculs, place aux travaux computationnels et aux ingénieurs logiciels. Et dire qu’aujourd’hui c’est toute une société qui est au défi de « féminiser le numérique ».

Savoir-faire technique et biais de genre

« Tu as une imprimante 3D à la maison, tu vas faire des colliers de pâtes avec ? ». Face à des situations discriminantes ou invisibilisées de violences sexistes et sexuelles dans les espaces du Faire, MakeHerSpace émerge spontanément avec la création en 2020 d’un collectif informel rejoignant le Réseau Français des Fablabs, pour alimenter un groupe de travail sur l’inclusion de genre. Les membres du collectif s’émancipent par la suite afin de se structurer en autonomie. 

Vue explosée, un atelier démontage de matériel électronique pour explorer ce qu’il y a dedans, animé par Laure Bouscasse au Funlab à Tours lors du festival makeHERspace. © MakeHerSpace

« Les hommes ont un “crédit” de savoir-faire déjà inclus dès l’arrivée dans le lieu » témoigne l’une des membres de MakeHerSpace, fabmanageuse en Ile-de-France, qui a dû faire ses preuves pour être acceptée professionnellement en tant que technicienne. À l’instar de Wikipedia – l’encyclopédie qui valorise la production collaborative de communs de la connaissance mais qui peine depuis 10 ans à ré-équilibrer la représentation des genres dans le contenu des articles ou dans la communauté (à 85 % masculine) – les espaces du Faire ont encore fort à faire pour sensibiliser et lutter contre les biais de genre.

En quête d’enquêtes

Quid de la répartition femmes/hommes dans les labs ? Le Livre Blanc – Panorama des Fablabs en France publié en 2017 par le RFFLabs, précise que « dans près de la moitié des lieux (49%), les hommes représentent entre 75% et 100% des membres ». En 2020 paraît une étude sur la dynamique des Ateliers de Fabrication Numérique (AFN) en France à l’initiative du Ministère de l’économie et des finances. Sur les six archétypes de lieux identifiés, celui des « fablabs génériques » (qui représente 55 % des fablabs en France), « près de 73% des personnes fréquentant le lieu sont des hommes, majoritairement cadres en activité ou retraités ». 

Travail à partir de fontes inclusives, non-binaires, post-binaires sous licences libres issues de la typothèque Bye Bye Binary pour l’édition makeHERspace du fanzine A3 © MakeHerSpace

Pour cette tribune nous aurons cherché et trouvé peu de données sur les sujets de l’inclusion de genre ou de l’égalité professionnelle au sein des communautés du Faire. Tout ou plus quelque lignes dans le Livre blanc : « Au-delà des divers outils et programmes pensés spécifiquement pour traiter cet écart dans de nombreux lieux, les Fablabs scolaires et universitaires favorisent tout particulièrement cette mixité de plus en plus paritaire ». Sans accompagnement, sans indicateurs et sans évaluation, l’impact de ces outils et programmes peut s’avérer limité. C’est bien là où MakeHerSpace a souhaité agir.

Intersections et pluriversité

Collectif plur.iel.le.s réunissant des femmes, des personnes non binaires et des hommes, MakeHerSpace se reconnaît dans une approche intersectionnelle des féminismes, car les luttes autour de l’inclusion et les discriminations se croisent et résonnent. Nous nous constituons aujourd’hui en association afin d’accompagner les professionnel.le.s et toute personne qui se sent empêchée d’entrer dans un espace du Faire et animer des actions en réseau là où les membres manoeuvrent déjà (Montreuil, Tours, Quimper…) dans des fablabs, tiers-lieux ou collectifs hors-les-murs.

Charte de bienvenu.e.s et Manuel pratique conçus par le collectif MakeHerSpace seront présentés aux Rencontres Faire Tiers-Lieux © MakeHerSpace

La toute première initiative portée officiellement par l’association sera présentée le 19 octobre prochain lors des rencontres nationales Faire Tiers-Lieux à Metz. Nous y lancerons le manuel des pratiques inclusives, en version papier, accompagné d’une version en ligne. S’appuyant sur un travail d’enquête de plusieurs mois qui aura impliqué une quinzaine de tiers-lieux et de fablabs, le manuel compile des pratiques d’inclusion de genre existantes et éprouvées, et propose un outil d’évaluation de ces pratiques dans son lieu.

À nos pouvoirs d’agir

Avant la sortie du manuel, le collectif a eu l’occasion de tester de premières actions et se prépare à les réitérer. On pense au succès des balades apprenantes en mixité choisie en juin dernier lors des portes-ouvertes organisées par le réseau Île de France Tiers-Lieux. De nouvelles visites auront lieu cet automne afin que d’autres femmes, toutes générations confondues, franchissent les portes de ces ateliers. On pense aussi à l’édition zéro de makeHERspace, micro-festival initié par La Fabrique d’Usages Numériques à Tours afin d’« éclairer de mille feux les pratiques d’empuissancement, les savoirs situés et les imaginaires écoféministes » dans les espaces du Faire.

Le 25 juin sur le parvis du fablab La Verrière à Montreuil avec les participantes de la balade apprenante, fanzine makeHERspace à la main  © MakeHerSpace

Nous vous donnons d’ores et déjà rendez-vous pour une édition 2023 de MakeHerFest, dans de nouveau-x lieu-x et pourquoi pas le vôtre ? Parce que l’inclusion de genres ne saurait être une case à cocher quand ça nous arrange ou quand on a le temps d’y penser. C’est un travail au long court à inscrire dans l’ADN même de ces lieux de culture technique que sont les fablabs, hackerspace, ou les nouveaux venus, les tiers-lieux de production (labellisés « Manufactures de proximité »). Y être bienvenu.e.s est la première étape d’un parcours pour encourager les vocations, l’orientation, la formation et l’emploi de jeunes filles et de femmes. Pour développer demain une culture de l’égalité, il faudra travailler à la mixité de ces filières, dès à présent. Alors on s’y met ?

À venir :
Faire Tiers-Lieux à Bliiida, Metz, le 19 octobre de 14h à 15h pour un temps de présentation de l’association et la diffusion du manuel.

Movicamp au Funlab à Tours, le 17 novembre de 10h à 17h pour documenter le Guide des pratiques inclusives sur le wiki des tiers-lieux Movilab

Les Menstrueuses à La Fanzinothèque/Espace Mendès France, Poitiers, le 26 novembre de 14h à 18h pour un atelier fanzine animé par le collectif

En savoir plus :
makeherspace.fr