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Catch x Softer : rendre la technologie douce

Pour mettre de la douceur, Softer orne ses ateliers de fleurs. © Kasper Christiansen

La technologie, pensent Ida Lissner, Nicole Jonasson et Majken Overgaard, est « dure ». Pendant quatre jours, au cœur de l’été, les artistes et la curatrice ont tenu un Summer Camp pour apprendre, se rencontrer, échanger, et imaginer un monde où la technique est accueillante. Un peu de douceur dans ce monde de (techno) brutes.

Dans A Rant About Technology (une Diatribe sur la « Technologie »), l’autrice de science fiction Ursula K. Le Guin répond avec passion à un·e critique anonyme qui lui prêtait d’ « éviter attentivement la technologie ». « La “hard” science-fiction parle de la technologie et la “soft” science fiction ne contient pas de technologie, n’est-ce pas ? Et mes livres ne parlent pas de technologie car je ne m’intéresse qu’à la psychologie, les émotions et les choses molles de ce genre, n’est-ce pas ? Non. » Ursula Le Guin s’attèle alors à remettre en cause le périmètre admis de la technologie. « Nous avons tellement été désensibilisés par 150 ans d’incessantes expansions des prouesses techniques que nous pensons que quoique ce soit moins complexe et ostentatoire qu’un ordinateur ou qu’un bombardier à réaction ne mérite pas d’être appelé « technologie ». » Alors que, rappelle-t-elle, le papier, l’encre, la roue, les couteaux ou les cachets d’aspirines ne poussent pas dans la nature et sont bien le fruit de l’ingéniosité humaine.

Un texte fondateur dans la pensée de Majken Overgaard, curatrice de Catch, présente-t-elle. « A Catch nous essayons toujours d’amener des perspectives différentes sur la technologie. Nous questionnons qui la crée, qui devrait la créer et comment nous pouvons l’appréhender d’un point de vue artistique. » Un pas de côté qui permet déjà de créer un changement, « changer le discours et la conversation », milite la curatrice. Les artistes qu’elle invite, décrit-elle, « cherchent à développer des réalités alternatives ».

Réapprendre à apprendre

Ainsi cet été, pour le Summer Camp de Catch, un Centre pour l’art, le design et la technologie à quelques pas de Copenhague, au Danemark, la curatrice a invité Softer, un duo de designeuses qui s’applique à rendre la technologie plus douce. « La technologie est dure, posent en préambule Ida Lissner et Nicole Jonasson. Quand tu regardes les visuels autour de la tech, du numérique ou du design 3D, c’est une esthétique « hard tech », avec des tutos donnés à 95 % par des mecs qui parlent un langage technique, avec un débit très rapide, pour t’apprendre à faire du feu, de la fumée ou des dragons, forcent-elles un poil le trait. Il y a toute une esthétique autour de l’apprentissage de la tech qui s’adresse à un public dans lequel nous ne nous reconnaissons pas. »

Discussions IRL pour une technologie plus douce. © Majken Overgaard / Catch

Avec leur esthétique abstraite, colorée et molletonnée, Ida Lissner et Nicole Jonasson créent leur propre espace. Afin d’encourager une approche plus fluide du design 3D, elles commencent par là où elles ont-elles même débuté : les tutos. « Nous voulons créer un lieu où les gens peuvent s’impliquer de manière plus douce. » Elles montrent des programmes simples capables de faire de belles choses, comme leur jardin numérique, et surtout n’ont pas peur de montrer leurs doutes et leurs errements. « Ça a été notre ligne : laisser de la place aux erreurs et aux vulnérabilités. Tu n’as pas besoin d’être parfait, ni pour enseigner, ni pour apprendre quelque chose. »

A Catch, elles construisent cet espace IRL et profite de la présence des corps pour créer du lien à travers des repas partagés ou des séances de baignades en pleine nature. « L’important à la Summer School n’est pas d’apprendre des choses, mais plutôt de créer de la confiance, rencontrer des gens qui ont des visions similaires, se rendre compte que l’on n’est pas seul et explorer. » Les designeuses discutent des futurs souhaitables et comment le lier à sa pratique, de comment construire un monde féministe et écologique ou encore à la politique de la douceur. Elles projettent ainsi un futur « d’optimisme radical » – sentiment assez rare ces derniers temps pour être d’autant plus apprécié. « Tout le monde repart plus optimiste, renforcé, se réjouissent les artistes. Tu vois tous ces gens qui font des choses géniales, ça nous inspire collectivement pour créer des initiatives qui peuvent changer les choses. »

Pendant le Summer Camp de Catch, les participants ont crée une exposition commune. © Kasper Christiansen

« Je ne pensais pas que les conversations seraient si profondes »

C’est ensuite au tour de Majken Overgaard de prendre la main et d’ouvrir les portes au public, afin de présenter ce qui a été créé, discuter et faire le pont entre les histoires individuelles et technologiques du public et l’exposition proposée. « Les conversations que l’on a eu étaient vraiment incroyables, se réjouit la curatrice. Beaucoup de gens présents travaillaient avec de la technologie, ou avaient de la famille qui travaillent dans ce milieu, et se sentaient exclus – parce qu’ils ne parlent pas le bon langage, ou ne le parlent pas assez bien. On a aussi beaucoup discuté des enfants, comment les élever pour qu’ils se sentent partie prenante de ce futur technologique. Tous ces doutes, ces émotions liés à la technologie, c’était incroyable. » Des conversations intimes mais universelles, précise Majken Overgaard : « nos conversations ont influencé la perspective de nombreux participants, car au fond, beaucoup avaient formé ces pensées sans les exprimer. »

Ainsi, à la manière d’Ursula K. Le Guin, la définition de la technique est repensée, ouverte. « Je ne sais pas comment construire et faire fonctionner un réfrigérateur, ou programmer un ordinateur, mais je ne sais pas non plus comment fabriquer un hameçon ou une paire de chaussures, écrit Ursula K. Le Guin. Je pourrais apprendre. Nous pouvons tous apprendre. C’est ce qui est bien avec les technologies. Elles sont ce que nous pouvons apprendre à faire. » Tant qu’il y a de la douceur.

Catch fait partie du réseau Feral Labs network et de la coopération Rewilding Cultures co-financée par le programme Europe Créative de l’Union Européenne.