Makery

Marie-Sarah Adenis, conteuse du vivant

Crédit : Thomas Lane

A l’occasion de l’exposition collective Réseaux-mondes, présentée au Centre Georges Pompidou à Paris du 23 février au 25 avril 2022, l’artiste Marie-Sarah Adenis exposait son installation pluri-formelle “Tousteszincs”. Une proposition artistique révélatrice du travail de l’artiste française, oscillant entre art et biologie. Rencontre.

Vue générale de l’exposition Marie-Sarah Adenis. Credit : Thomas Lane.

22 février 2022, 18 h. L’esplanade du Centre Georges Pompidou est dégagée pour une fin d’après-midi. Lorsque l’on s’approche de l’entrée principale du Musée d’Art Moderne, seuls quelques journalistes agitant leurs cartes de presse sont invités à prendre part au vernissage de ce soir. Une fois dépassée le portique de sécurité, l’artiste Marie-Sarah Adenis nous attend pour nous faire la visite de l’exposition collective Réseaux-mondes – manifestation présentant les travaux de 60 artistes designers et architectes venant des quatre coins du monde -, et questionnant la place des réseaux dans nos sociétés depuis les années 40.

Parmi les artistes exposés, le chef de file du happening Allan Kaprow, le collectif Archigram, l’instigateur du lettrisme Isidore Isou ou encore le maître du Land Art Robert Smithson. A cette occasion, Marie Sarah Adenis présente son installation Tousteszincs (toustes : formule inclusive / zincs : cousins en argot), œuvre composée d’une vidéo et d’un dôme sphérique – le Temple phylogénétique -, forme de conglomérat du vivant trouvant ses origines dans chaque corps et dans chaque espèce.

Temple phylogénétique de Marie-Sarah Adenis. Crédit : Marie-Sarah Adenis.

Notre discussion commence, devant cette double composition, enveloppée par l’ambiance sonore d’une visite de groupe dans l’espace muséal.

Des sciences au design, il n’y a qu’un pas

Pour Marie-Sarah Adenis, tout commence pendant l’enfance, période où la petite fille nourrit une forte appétence pour le monde du vivant. Tout naturellement, en grandissant, la jeune femme décide de se diriger vers le monde de la biologie pour « comprendre comment fonctionne le monde » comme elle l’explique. Mais alors qu’elle amorce un brillant parcours doctoral, Marie-Sarah décide de revenir à ce qui la passionne véritablement : la création. « J’ai attendu la moitié de ma thèse pour revenir à ce que j’aime vraiment, à savoir la création et le fait de raconter des histoires à travers des objets. Je ne voulais pas raconter des histoires pour me mettre au service de la science, mais j’avais envie de me servir de ces récits pour questionner ce qui traverse nos sociétés, nos imaginaires. Des choses pour lesquelles les découvertes scientifiques pouvaient apporter d’autres éclairages. » introduit la designer avant de poursuivre : « L’idée est de créer des dialogues avec d’autres champs disciplinaires ou d’action. L’aspect scientifique permet d’aborder les choses de façon claire, assez replicable, et en même temps, je voulais voir comment des problématiques comme la question de l’origine, de l’évolution peuvent être abordées à travers l’histoire des religions, à travers les mythes. »

Marie-Sarah Adenis. Credit : Emile Kirsch (v light).

Une fois sa décision prise, Marie Sarah Adenis intègre la prestigieuse école de design l’ENSCI, alors connue pour son approche non-académique et ouverte aux autres champs disciplinaires. « L’ENSCI n’est pas une école de design au sens classique. Elle permet aux étudiants d’aborder les choses de façon très réflexive. On nous apprend à reposer les questions plutôt qu’à délivrer des réponses toutes faites. Et moi ça fait pleinement partie de mon processus créatif. Je fonctionne beaucoup par dialogue, par exemple, si on questionne l’idée d’immortalité, je vais essayer d’aller voir comment les scientifiques interrogent cette notion et comment des cosmogonies ont donné des explications, ou des formalisations à ça. » souligne l’artiste.

Le vivant comme matière narrative et créative

Comme matière d’expérimentation plastique, la biologiste nouvellement artiste triture le vivant ou plutôt tire le fil narratif de l’histoire du vivant, en se focalisant sur la constitution de l’ADN présente dans toutes les cellules. « L’ADN me passionne depuis très longtemps, et je me suis dit que c’est le dénominateur commun de tout le vivant. C’est le fil conducteur de l’histoire que j’ai envie de raconter. Sur un plan biologique, c’est un fil moléculaire qui nous rassemble. On a des bouts communs avec n’importe quelle espèce. Ce fil est un fil qui nous relie de manière invisible, et je voulais faire ce récit, donner une parole, incarner ce fil moléculaire. »

Une matière vive qui lui permet de se placer en conteuse, oscillant entre réalisme scientifique et approche fictionnelle. « Je me qualifie comme conteuse du vivant. Mais conter, c’est aussi imaginer des histoires. Du coup, j’essaye de m’éloigner d’une approche scientifique pour faire parler le vivant. Mon rêve serait de créer une cosmogonie scientifique, c’est-à-dire, créer un récit du monde, mais qui serait basé sur la science et qui viendrait métaboliser les croyances qui ont déjà été formalisées dans des archaïsmes que l’on a déjà tous en tête. »

Crédit : Thomas Lane
Vue du Jardin des hélices. Crédit : M.S. Adenis

Entre neutralité plastique et approche pluridisciplinaire

Sur un plan formel, le travail de Marie-Sarah Adenis se veut épuré, sans signature formelle propre, comme pour susciter un sentiment d’inquiétante étrangeté, de mystère chez le spectateur. La magie du vivant pour ainsi dire. Aussi, l’artiste jongle entre les médiums, entre les pratiques, une manière de questionner une fois encore le vivant sous différents angles. Lorsque l’on regarde la vidéo présentée au Centre Georges Pompidou, nous sommes troublés par l’aspect vaporeux, fantomatique de ces silhouettes, corps vivants superposés trouvant, grâce à cet assemblage, une autre incarnation. Une façon pour l’artiste de nous faire remarquer l’imbrication, le lien possible entre chaque espèce, ne serait-ce que sur un plan formel. Pour le Temple Phylogénétique, l’artiste a dressé “une arche du vivant”, mettant en exergue les liens d’interdépendance entre chaque espèce. Ici, la sculpture se déploie en un dôme ferreux, quadrillé par des stries et formant ensemble un véritable réseau.

Quand on observe l’une de ses installations antérieures, Le Virus que donc je suis, présenté dans le cadre du Congrès Mondial de La Nature à Marseille en septembre 2021 et au Palais de Tokyo, même constat. A travers cette proposition, l’artiste cherche à nous interroger sur la place des virus dans nos vies et mettre en avant leur importance dans la constitution du vivant, à travers l’installation de masque-virus aux formes anguleuses et géométriques.

« Plastiquement, je revendique le fait de ne pas avoir une signature formelle. Les objets sont très simples, très mystérieux. Je n’aime pas du tout quand la science donne une sensation de science-fiction ou de progrès. C’est pour ça que j’utilise le noir, il y a quelque chose de plus théâtral, lié au passé, à l’inconnu. Je crois en la beauté du monde, et en la puissance narrative que revêtent les choses – je veux que les formes puissent se révéler par leur force narrative et non-esthétique. » conclut Marie-Sarah Adenis.

Rares sont les artistes à parvenir à atteindre l’universalité. En triturant et en nous contant le vivant, l’artiste Marie-Sarah Adenis parvient à réaliser cet exploit.

Chimères extraites du film « Tousteszincs ». Credit : Marie-Sarah Adenis.

 

Visiter le site web de Marie-Sarah Adenis