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Art4Med : L’odorat, un sens polyvalent pour l’avenir

Lucy Ojomoko, Helena Nikonole, résidentes Art4Med à Kersnikova, Ljubljana © Hana Jošić, Kersnikova Institute

Quorum sensing: Skin Flora Sensing System, un projet d’investigation scientifique et artistique mené par Helena Nikonole et Lucy Ojomoko, propose l’odorat comme activité de détection potentielle pour suivre les maladies et outil d'(auto)diagnostic. Makery a rencontré le duo sélectionné pour la résidence de Kersnikova à Ljubljana, dans le cadre du suivi du projet et de notre précédent entretien en Mai 2021.

Si vous avez perdu le sens de l’odorat, par exemple lors de l’infection au Covid-19, vous connaissez peut-être cette sensation. La sensation que vos interactions quotidiennes, comme manger ou rencontrer vos proches, vous laisse un arrière-goût fade. Imaginez maintenant que le sens limité de l’odorat que l’évolution a laissé aux humains soit renforcé par une nouvelle fonction. LLe prototype Quorum sensing, un organe odorifère artificiel à la forme biomorphique, présenté par Kersnikova, l’un des cinq producteurs du consortium ART4MED en Novembre 2021 est un projet qui permet de nouvelles formes de communication interespèces.

Lucy Ojomoko, Helena Nikonole, Art4Med residents at Kersnikova, Ljubljana © Hana Jošić, Kersnikova Institute

Smells like skin spirit

« Nous pouvons voir à l’heure actuelle qu’il existe des bactéries florales qui peuvent être connectées à la flore cutanée, à la surface de la peau. Cela pourrait constituer un nouveau sous-organe qui n’était pas présent auparavant », explique Lucy Ojomoko, biologiste moléculaire et artiste. Avec des bactéries génétiquement modifiées du microbiome de la peau humaine, Ojomoko et Nikonole expérimentent en laboratoire et cherchent à modifier l’odeur transmise par le corps humain.

Cette approche de la santé et de la prévention des maladies, en changeant ainsi radicalement de paradigme, recèle un potentiel émancipateur. Elle serait finalement considérée comme une communication inter-espèces, non seulement entre les humains, comme le proposent les auteurs, mais aussi avec différentes espèces, comme les insectes et les animaux qui seraient capables de la sentir. « Cela nous amène à une nouvelle étape d’interaction les uns avec les autres. Je pense que c’est une belle étude de la vision post-humaniste. Nous voyons un mode d’interaction véritablement symbiotique », souligne Lucy Ojomoko.

Quorum Sensing, presentation du projet, Kersnikova © Hana Jošić, Kersnikova Institute
Quorum Sensing, presentation du projet, Kersnikova © Hana Jošić, Kersnikova Institute


Auto-diagnostics post-institutionnels

Quorum Sensing, comme son nom l’indique, concerne les multitudes. « Cette notion définit le travail des nombreuses bactéries traitées », décrit Helena Nikonole. « D’une certaine manière, les bactéries peuvent travailler toutes ensemble, de sorte que nous pouvons le voir le tout comme un nouvel organe », ajoute Nikonole, tandis que nous nous tenons devant l’impressionnant prototype. Trois bols en verre sont soutenus par des supports imprimés en 3D, avec des tubes mélangeurs d’un côté de l’installation et les dispositifs d’odorat biomorphiques de l’autre.

« Je vois cela comme la poésie d’un nouveau type de communication. Nous donnons de nouvelles fonctionnalités aux bactéries et nous apportons une interface qui peut interagir avec notre corps, notre environnement extérieur et qui peut être connectée à notre état intérieur », résume Ojomoko.

Lucy Ojomoko à Kersnikova, Ljubljana © Hana Jošić, Kersnikova Institute

Le duo a travaillé en collaboration avec la faculté de biotechnologie de Ljubljana. Afin d’approfondir les résultats, la phase de test doit être menée dans le respect des normes éthiques. Le Quorum Sensing, organe qui permet de détecter les maladies à travers la peau humaine, met en scène l’aspect ludique que la science n’est pas toujours prête à adopter.

« Ce projet montre que s’il existe une possibilité de recherche commune entre les makers et les chercheurs en santé et en médecine, cela peut conduire à de l’innovation », explique Simon Gmajner, curateur de Kersnikova. Les modifications génétiques du microbiome de la peau humaine sont, comme l’affirme Gmajner, un projet potentiellement émancipateur qui conduit à un auto-diagnostic désinstitutionnalisé, libéré de l’autorité du médecin ou de l’institution.

Pour Gmajner, il y a quelque chose de beau et de pervers à la fois quand une personne atteinte d’un cancer sent la rose. À ce moment-là, la fatalité et la beauté se rejoignent ironiquement dans l’odeur des roses. Dans le projet Quorum Sensing, la recherche médicale combinée à l’art ouvrent la voie à la validation des deux disciplines en dehors de leurs zones de confort. « Les choses les plus intéressantes à voir se trouvent dans l’entre-deux », conclut Lucy Ojomoko.

En savoir plus sur “Quorum Sensing” sur le site web ART4MED

Le consortium ART4MED est coordonné par Art2M / Makery (Fr) en coopération avec Bioart Society (Fi), Kersnikova (Si), Laboratory for Aesthetics and Ecology (Dk), Waag Society (Nl), et co-financé par le Programme Creative Europe de l’Union Européenne.